Oct 252018
 

le Groupe SOCOTA fait face aux réalités malgaches

CE18-1Comment créer, maintenir en vie et développer une activité rentable dans le milieu économique le plus instable qui se puisse imaginer ?
Comment s’adapter à une confusion politique quasi permanente, dans un pays connu comme l’un des plus pauvres, avec des structures – énergie, transport, communication – délabrées, un État inefficace et une monnaie qui se dévalue régulièrement ?

Quelques réponses nous sont données par l’histoire saisissante du Groupe SOCOTA qui résiste, depuis sa nationalisation au milieu des années 70, au chaos malgache, se diversifie dans les activités les plus modernes malgré une concurrence internationale brutale, emploie 8.000 salariés et développe un CA international de 344 millions d’euros (1)…

Derrière cette réussite à la fois opiniâtre et fragile, se profilent les valeurs solides d’une famille d’entrepreneurs, le courage et l’intelligence stratégique de celui qui conduit le Groupe depuis 1976, Salim Ismaïl, son PDG.

Dans un contexte géopolitique mondial toujours plus complexe, le parcours du Groupe SOCOTA est riche d’enseignements !

Un ancrage historique et opiniâtre à Madagascar

Salim Ismaïl est le continuateur d’une longue histoire commencée vers 1850, quand son aïeul part du port indien de Porbandar  (2) sur un boutre et accoste sur la côte malgache. Son père Mamad Ismaïl quitte sa famille à l’âge de 13 ans.

Il est d’abord commis dans une maison de commerce avant de s’établir à son compte avec la création de son entreprise en 1930. Elle se développe rapidement dans le commerce avant de se lancer dans l’industrie textile à la fin des années 1950.

Son activité, déjà organisée de façon « verticale », s’étend de la culture du coton à la production de tissus destinés au marché intérieur malgache.

L’objectif de La Cotona est alors de couvrir plus de la moitié des besoins de l’île en tissus de grande consommation. Et l’entreprise y parvient !

Dès les années 70, elle devient l’un des principaux complexes textiles de l’Afrique sub-saharienne.

Aujourd’hui, après une longue période d’incertitude liée aux soubresauts politiques de la Grande Île et à l’explosion des importations de vêtements usagés et fins de série, elle s’oriente vers l’exportation de tissus et la confection pour de grandes marques internationales.

Plus récemment, le Groupe s’est diversifié avec succès dans trois secteurs nouveaux : l’élevage biologique de crevettes, la distribution des produits de la mer et d’eau douce, et l’agriculture.

Cette saga entrepreneuriale et familiale s’inscrit dans un contexte local et international particulièrement compliqué.

Les turbulences politiques et les choix économiques désastreux qui en ont été la conséquence directe, les infrastructures déficientes, la pauvreté, l’insécurité et la corruption endémiques de l’île ne pouvaient que freiner son développement, a fortiori en période de crise économique mondiale.

« Madagascar, explique Salim Ismaïl, a connu 45 ans de crise depuis les années 70 et 92% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour […] L’aide au développement ne fonctionne pas. Il faut s’attaquer à ce cancer qu’est la corruption et la réussite passe par l’amélioration du climat des affaires. » (3)

Après les effets brutaux du « choc pétrolier » et l’effondrement des cours de la crevette, c’est la politique malgache qui s’en mêle ! Didier Ratsiraka, « l’amiral rouge », est élu à la Présidence de la République.

Il impose le « socialisme révolutionnaire » et la « malgachisation » en nationalisant à tour de bras… L’entreprise n’échappe pas à cette vague et la famille se voit nationalisée sans indemnités.

Elle devra attendre 1989 pour obtenir le droit de racheter à l’État malgache des actions… qui ne lui avaient pas été payées ! Trois nouvelles périodes de crise politique  (4) n’ont pas amélioré les conditions économiques, pas plus que les tensions liées aux prochaines échéances électorales de 2018 et 2019.

Dans ces circonstances difficiles, Salim Ismaïl fait preuve d’une étonnante capacité de résilience. Il affirme ainsi, devant la 25ème promotion des jeunes diplômés de l’ISCAM  (5): « C’est la force de caractère et la résilience qui permettent de surmonter l’adversité […] ce ne sont pas des vertus innées, mais elles se cultivent. »

De fait, il anticipe les obstacles les plus incongrus et adapte son activité.

De la sorte, en 2009, lorsque Madagascar se trouve exclu des avantages de l’AGOA (6) par l’administration américaine, alors que le marché US représente alors un tiers de sa capacité de production, Salim Ismaïl n’attend pas le couperet de l’exclusion : ses équipes marketing trouvent de nouveaux débouchés commerciaux en Europe et en Afrique du Sud.

Il sait utiliser toutes les opportunités offertes par la SADC (7) dont il assure dans une interview : « La SADC, c’est capital pour Madagascar ! C’est capital pour son industrie textile et c’est capital pour tous les secteurs de l’économie […] c’est un marché qui est à nos portes et […] qui a un fort pouvoir d’achat […]. » (8)

Des valeurs solides et une vision humaniste

De son père, le PDG de SOCOTA a reçu comme un héritage qu’il révère, un courage, une ténacité et un altruisme hors norme. « [Nous ne devons] jamais oublier, rappelle-t-il, que la chance que nous avons eue […] nous impose à notre tour de tendre la main à ceux qui en ont besoin. » (9)

Et ce ne sont pas là de simples mots dans ce pays rongé par le chômage, la pauvreté, la corruption et l’insécurité. Outre ses 8.000 emplois actuels, le Groupe fait vivre les quelque 100.000 personnes qui composent leurs familles.

« Notre réussite, dit encore Salim Ismaïl, passe avant tout par le développement de notre capital humain. Nous sommes très attentifs à nos collaborateurs mais en contrepartie, nous sommes aussi stricts sur le travail. »

Et c’est un donnant-donnant très concret ! Le Groupe investit environ 3% de sa masse salariale dans des actions liées à la RSE.

Ainsi a-t-il co-fondé un important service médical interentreprises multispécialisé bénéficiant des dernières technologies numériques, un centre de PMI (protection maternelle et infantile), une pharmacie et un service d’urgence ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. SOCOTA a aussi installé des cantines dans ses établissements.

Ainsi, explique Fabrice Bertin, DRH de la division textile et habillement du Groupe, « nous distribuons gratuitement des repas équilibrés à nos employés […]. Nous veillons qu’à chaque repas un employé reçoive 500g de riz, 120g de viande, 80g de bouillon, un fruit de saison et un yaourt… »

Sont aussi mis à disposition des salles d’allaitement et des équipements de toilette pour des salariés qui n’en disposent pas.

Comme l’affirme Salim Ismaïl, « notre développement économique […] n’a de sens que s’il contribue à l’amélioration du sort des plus démunis. »

L’éducation est une autre priorité affirmée du Groupe. Les enfants des employés peuvent suivre des cours de français et d’anglais ainsi que des formations aux nouvelles technologies, trois disciplines qui sont autant de clés pour entrer dans la vie professionnelle et accéder à l’ascenseur social.

Comme le dit encore Fabrice Bertin, « le français figure parmi les langues officielles du pays. L’anglais est incontournable si l’on veut aller plus loin. Les TIC sont aussi un élément indispensable dans la vie professionnelle. C’est pour ces raisons que nous avons mis en place ces cours pour les enfants de nos employés […] Les enfants sont les bâtisseurs de l’avenir du pays. »

La formation universitaire est un autre domaine d’investissement de SOCOTA dans l’avenir de Madagascar.

Le Groupe a contribué à financer la construction des annexes universitaires d’Antsirabe et accueille régulièrement des stagiaires dans ses domaines de spécialité.

Pour lui permettre de conserver son leadership et de développer de nouvelles activités, la formation continue tient une place importante dans la stratégie du Groupe.

En partenariat avec des universités canadiennes et Harvard, 58 modules de formation sont mis à la disposition des salariés.

Ils ont permis 15.000 heures de formation en 2015 et plus de 20.000 en 2017.

Un Groupe agile, audacieux et responsable

Sans jamais renier le respect qu’il porte à la longue tradition familiale dont il est l’héritier, Salim Ismaïl est résolument moderne et ouvert sur l’avenir.

Il pilote lui-même son avion pour se déplacer dans la Grande Île et reçoit volontiers dans le bureau aménagé dans son monospace.

Il a su s’entourer de cadres dirigeants de haut niveau auxquels il accorde une large délégation et des pouvoirs étendus. SOCOTA a toujours un projet d’avance.

C’est ainsi qu’après avoir connu des difficultés sur son marché intérieur, l’activité textile a été entièrement réorientée à l’exportation vers de grandes enseignes internationales comme Camaïeu, Cape Union Mart, Decathlon, Marks & Spencer, Orchestra, Oysho, Puma, Woolworths ou Zara…

De même SOCOTA Agriculture met à profit ses 3.200 hectares de terres cultivables destinées jadis à la culture du coton pour élargir ses productions vers des produits agricoles premium comme les riz spéciaux, les légumes, les huiles essentielles ou les épices.

Le Groupe vise une production de 1.700 tonnes sur 4.000 hectares en 2019.

Avec l’aquaculture et la distribution de produits de la mer, SOCOTA s’est lancé avec succès dans le secteur alimentaire. OSO est le pionnier de l’élevage de gambas bio dans une ferme aquacole à l’environnement protégé dans la région d’Ambilobé, au nord de Madagascar.

Il s’est associé à la société française Reynaud, référence historique du négoce de produits de la mer, pour créer le Groupe R&O Seafood Gastronomy. Ses 1.200 collaborateurs dans le monde produisent un CA de 260 millions d’euros.

Aujourd’hui enfin, et dans un tout autre domaine, SOCOTA investit environ 60 millions d’euros dans l’immobilier à Maurice, où a été installée la holding du Groupe.

SOCOTA Phoenicia y développe de l’immobilier tertiaire avec un « business park » au design soigné, une conception « green building » et une ferme solaire.

Ces exemples illustrent bien les choix stratégiques de SOCOTA. D’abord l’international puisque la plus grande part des productions est destinée à l’export.

Ensuite la création de valeur dans des filières intégrées et verticales, depuis la récolte, culture ou pêche, et la transformation jusqu’à la livraison.

Valeur encore par le choix de la haute qualité, qu’il s’agisse du design, en collaboration avec une agence parisienne pour la confection, ou des labellisations « Agriculture biologique » pour les crustacés et BCI (10) pour la production de coton. Création de valeur, enfin, par les engagements « responsables ».

Dans ses domaines d’activité et dans les différents aspects de ses métiers, le Groupe revendique une pratique scrupuleuse du développement durable, l’éthique dans les affaires et le respect des salariés.

Il pratique aussi une solidarité active et concrète avec son environnement local, en particulier à travers son implication dans de nombreux programmes humanitaires. SOCOTA a fait du RSE un puissant levier de développement.

Bon nombre d’entreprises françaises, souvent tétanisées sur nos pesanteurs nationales, pourraient sans doute méditer avec profit les leçons à la fois modestes et brillantes de Salim Ismaïl et de son équipe aux commandes du Groupe SOCOTA.

Pour en savoir plus :

http://www.groupesocota.com

1/ CA de 2015 développé à Madagascar, à l’île Maurice et en France.

2/ Porbandar est une ville administrative de l’état de Gujarat.

3/ L’ECO Austral, portrait de Salim Ismaïl, Alain Foulon, 12 septembre 2014.

4/ Les crises de 1991-1992, 2001-2002 et 2009-2013. Voir France Diplomatie, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/madagascar/presentation-de-madagascar/

5/ Créé en 1990, l’Institut Supérieur de la Communication, des Affaires et du Management est le premier établissement entièrement privé d’enseignement supérieur à Madagascar.

Grenoble École de Management est un partenaire actif de l’ISCAM. http://www.iscam.mg

6/ L’African Growth and Opportunity Act est une loi fédérale américaine qui permet aux pays d’Afrique subsaharienne d’exporter sur le marché américain sans droits de douane.

7/ Madagascar est membre de la Zone de Libre Echange de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) depuis 2008.

8/ Madagate, dossier de Jeannot Ramambazafy, 25 Juillet 2011.

9/ Madagascar – Matin, 13 juillet 2018 http://www.matin.mg/?p=28399

10/ Better Cotton Initiative (BCI) est une organisation à but non lucratif qui promeut de meilleures normes dans la culture du coton.

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