Tour d’horizon des sujets les plus chauds du moment
L’importance prise par les questions internationales dans l’agenda du nouveau président de la République, Emmanuel Macron, depuis sa prise de fonction, ne doit rien au hasard.
Au prestige politique attendu d’une présence active dans le jeu diplomatique mondial s’ajoute une certitude : le destin de la France s’inscrit dans sa géopolitique, la prise en compte de son environnement à la fois régional (européen) et mondial.
Car ce n’est pas le moindre des paradoxes de la mondialisation : la financiarisation de l’économie, et donc pour une part sa déterritorialisation, ne la rend pas moins sensible aux « frictions » du réel que reflète la géopolitique.
Tout événement peut avoir des effets immédiats sur les marchés financiers, mais aussi plus généralement sur la conjoncture et donc les décisions des acteurs, publics comme privés.
Pour ces derniers, rester attentifs à l’évolution du monde et aux « signaux faibles » de l’actualité internationale est devenu une obligation.
Cette rentrée 2017 est singulière. Certes, « une ‘brise de croissance’ souffle sur la planète » (La Lettre de L’Expansion, 28/08/2017) : elle devrait s’établir à 2,9 % cette année, tirée par une révision à la hausse de la croissance au Japon (+0,1 point, à 1,2 %), en Chine (+0,4 point, à 6,7 %) et dans les pays de la zone euro (+0,2 point, à 1,9 %) – même la France semble enfin en profiter !
Pour autant, la croissance mondiale restera inférieure à 3 % pour la septième année consécutive, et très inégalement répartie, avec des corrections à la baisse des prévisions pour les Etats-Unis, l’Amérique latine, le Moyen-Orient ou encore l’Afrique du Sud.
Surtout, des risques persistent : « une nouvelle crise trouverait les décideurs politiques démunis » et « les marchés pourraient se reconnecter au risque politique », selon une récente étude d’Euler Hermes pour Allianz.
C’est dire l’importance à accorder aux différents foyers d’où pourrait surgir quelque « Cygne Noir » géopolitique.
L’Europe toujours en question(s)
Au sein de la zone euro, le rétablissement des échanges commerciaux et l’augmentation des investissements, après les fortes incertitudes politiques qui ont marqué la fin de l’année 2016 et le début de l’année 2017, soutiennent la reprise de la croissance économique.
Les élections fédérales allemandes, qui auront lieu le 24 septembre prochain, devraient contribuer à la stabilisation générale.
« La campagne a été jugée ‘ennuyeuse’ par des médias nationaux, les candidatures d’Angela Merkel (CDU/CSU) et de Martin Schulz (SPD) n’ayant déclenché aucun engouement, relève le site Les-yeux-du-monde.fr (31/08/2017). L’issue du scrutin semble déjà jouée. Néanmoins, 46 % des Allemands affirment être encore indécis. »
Une indécision qui pourrait profiter notamment à l’AfD (Alternative für Deutschland), qui a rencontré des succès spectaculaires l’année dernière, à l’occasion de la « crise des migrants » dont les effets ne se sont sans doute pas encore pleinement fait sentir.
Certes, les mouvements et candidats dits « populistes » ont échoué ces derniers mois à accéder au pouvoir en Autriche, aux Pays-Bas et en France (cf. note CLES n°206, « Géopolitique des populismes », 20/07/2017).
Mais aucun responsable politique n’estime que les ressorts de ces votes sont définitivement cassés. Ainsi s’explique, pour partie, l’activisme d’Emmanuel Macron sur la scène européenne, en particulier s’agissant de la révision de la directive « travailleurs détachés ».
Tandis que les élections (législatives) autrichiennes, italiennes puis dans une moindre mesure hongroises et suédoises, prévues dans les mois à venir, seront suivies avec attention par toutes les chancelleries du continent.
Au-delà des questions sociales (creusement des inégalités, décrochage de la classe moyenne, crise migratoire et problèmes d’intégration), c’est bien évidemment le terrorisme qui occupe les esprits et pourrait plus directement menacer la stabilité en Europe – en plus des tensions persistantes avec la Russie depuis la crise ukrainienne.
Les attentats qui ont frappé ces derniers mois Paris, Londres, Bruxelles, Turku (Finlande) ou encore Barcelone témoignent de la persistance de la menace islamiste.
Dans ce dernier cas, la crise sécuritaire se greffe sur l’une, plus ancienne, de nature institutionnelle : le référendum sur l’indépendance de la Catalogne, prévu pour le 1er octobre prochain, constitue un test pour l’avenir de l’Espagne.
Mais aussi d’autres pays européens, le SNP au pouvoir en Ecosse ayant annoncé l’organisation d’un nouveau référendum à la suite de la victoire du Brexit au Royaume-Uni.
C’est donc plus globalement à une crise de sens, d’identité, de vision que sont confrontés l’Europe et la plupart de ses Etats membres.
D’autant que les précédents du Kosovo et, en retour, de la Crimée, attestent de la fin du dogme de l’intangibilité des frontières sur le Vieux Continent.
Chaque risque de fêlure, chaque tension infra- ou interétatique est donc à observer de près.
Le Moyen-Orient encore sous tension
La défaite militaire de l’Etat islamique sur le terrain est certes vivement souhaitée, et désormais très probable.
Mais au risque d’amplification de la menace terroriste en Europe, par une dispersion mal contrôlée des « combattants » de l’EI, s’ajoutent les incertitudes politiques pesant sur l’avenir de la région (sans compter la prise en compte des multiples traumatismes endurés par les populations civiles).
La « sortie de crise » syrienne reste à négocier – même si Emmanuel Macron affiche une position plus réaliste que son prédécesseur, en ne faisant plus du départ de Bachar al-Assad un préalable à toute négociation.
Le nécessaire retour à la stabilité est sans doute à ce prix. Il n’en demeure pas moins que le conflit qui déchire depuis plus de six ans la Syrie, et dans une moindre mesure l’Irak, a contribué à accentuer les tensions entre chiites et sunnites, ainsi qu’entre puissances sunnites.
En témoigne la crise du Golfe ouverte début juin 2017 entre le Qatar et l’Arabie saoudite et ses alliés (EAU, Bahreïn, Egypte), qui reprochent à Doha son soutien à « divers groupes terroristes » (en réalité et plus explicitement, les Frères musulmans), ainsi que ses liens avec l’Iran.
Derrière cette crise, la plus grave depuis la création du Conseil de coopération du Golfe, c’est le jeu de l’Arabie saoudite qui est en cause, les reproches faits au Qatar n’étant en rien nouveaux.
Le royaume saoudien est en pleine mutation, notamment du fait de l’accession à la place de prince héritier du fils du roi, Mohammed ben Salmane.
« Quelqu’un de très dynamique, assez charismatique, mais qui a des idées très dures vis-à-vis de l’Iran ainsi que sur la diversification économique du pays, prônant un certain nombre de réformes régionales et intérieures », selon Bernard Haykel, professeur à l’université de Princeton (interview à L’Orient-Le Jour, 12/08/2017).
Ryad cherche à conserver son leadership sur le camp sunnite, et pensait bénéficier du soutien du président américain Donald Trump.
Sauf que s’imposent des impératifs économiques et stratégiques, à savoir l’importance du Qatar pour les activités d’ExxonMobil dans le monde, et celle de la grande base américaine d’Al-Udeid, également au Qatar, pour les opérations militaires menées de l’Afghanistan jusqu’aux confins de la Méditerranée.
« L’Arabie saoudite et les Emirats n’ont pas su quoi faire de la réaction américaine, qui s’avère plus complexe que l’appui total et inconditionnel de Trump, explique Bernard Haykel. Dans la situation actuelle, les Américains ne laisseront pas la crise dégénérer en conflit armé. »
Quid de la politique étrangère américaine ?
L’influence des Etats-Unis sur les affaires du monde reste donc tangible.
Elle se manifeste également sur un autre front : celui du nucléaire nord-coréen, et plus généralement de la sécurité en Asie-Pacifique.
Là encore, malgré la multiplication des provocations de Pyongyang (dont le test d’une bombe H le 03/09/2017) et les surenchères verbales entre Donald Trump et Kim Jong-Un, la situation est trop sensible pour laisser penser à un brusque basculement vers un conflit armé.
Paradoxalement, ce sont la Chine et la Russie, qui se sont rapprochées sur ce dossier, qui sortent à ce stade renforcées par la crise.
Une Chine qui ne cesse d’assoir sa propre influence régionale – comme en témoigne le rapprochement opéré également avec l’Inde lors du 9e sommet des BRICS, organisé du 3 au 5 septembre dernier dans la station balnéaire chinoise de Xiamen.
« L’impasse nord-coréenne est un sous-produit des tensions croissantes qui marquent la relation entre la Chine et les Etats-Unis – sur le plan commercial, en mer de Chine et ailleurs », selon le journaliste Alain Frachon (« Le ‘piège de Thucydide’ et la Corée du Nord » in Le Monde, 31/08/2017).
Washington a ainsi décidé le renforcement des capacités de défense du fidèle allié sud-coréen.
Plus proche des frontières américaines, le Venezuela est « au fond du gouffre », selon Axelle Degans, professeur de géopolitique en classes préparatoires économiques et commerciales (Diploweb, 01/09/2017).
« L’escalade des tensions depuis le printemps 2017 trouve en partie ses racines dans les manipulations politiques du président Maduro qui cherche désespérément à se maintenir au pouvoir, la dernière en date étant une Assemblée constituante dont un tiers des sièges lui est de facto réservé ».
Les violences ont déjà fait une centaine de morts et provoqué la fuite d’environ un million de personnes vers les pays voisins, comme la Colombie, mais aussi l’Espagne.
La situation est d’autant plus préoccupante qu’une intervention politique directe – y compris militaire – des Etats-Unis ne peut cette fois pas être totalement exclue, dans un pays qui dispose des plus importantes réserves de pétrole au monde (296,5 milliards de barils, contre 264,5 milliards en Arabie soudite).
Pour le Courrier international (17/08/2017), « sur fond de chaos économique (…), les menaces d’ingérence des Etats-Unis accentuent la crispation ».
Quoi qu’il en soit, et malgré la montée des doutes et des remises en cause, les Etats-Unis restent à l’évidence la première puissance mondiale. Le XXIe siècle sera-t-il pour autant américain ?
C’est à cette question que s’attachera le 10e Festival de géopolitique, organisé à Grenoble du 14 au 17 mars 2018. Bonne rentrée et à bientôt !
EXTRAIT :
Le ‘piège de Thucydide’. « La perception chinoise du conflit américano-nord-coréen est frappée au coin de la suspicion : les Etats-Unis s’en serviraient pour resserrer leurs alliances militaires régionales (Séoul et Tokyo) afin de contenir la prépondérance émergente de la Chine.
Cette configuration de deux grandes puissances en compétition recouvre ce que le politologue américain Graham Allison appelle ‘le piège de Thucydide’.
Au Ve siècle avant J.-C., l’historien athénien expliquait les guerres du Péloponnèse par la crainte qu’Athènes, puissante montante, inspirait à Sparte, la puissance établie.
Allison y voit une loi quasi physique des relations internationales : sans l’avoir toujours cherché, du fait de l’escalade d’un différend local et du jeu des alliances, la puissance établie finit souvent par entrer en guerre avec la puissance montante.
Le premier conflit mondial est en germe quand l’Allemagne commence à concurrencer la suprématie britannique. » (Alain Frachon in Le Monde, op.cit.)
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