Nov 302017
 

Un an après son élection, tentative de décryptage de l’action internationale du 45e président américain

CLES211-2« Trump est plus dangereux qu’impuissant », affirme son ancienne compétitrice Hilary Clinton dans un récent entretien au quotidien Le Monde (24-25/09/2017), reflétant le bruit de fond médiatique qui domine en ce premier anniversaire de l’élection du 45e président des Etats-Unis.

La personnalité et les méthodes de Donald Trump ne cessent de heurter l’intelligentsia, au-delà des frontières américaines. Mais « Trump désole le monde, pas ses électeurs », souligne Eric Le Boucher dans Les Echos (10-11/11/2017) : « Le populisme est né des maladies du capitalisme et rien, rien de rien, n’est guéri. »

La force de Donald Trump est, alors que bon nombre d’analystes alertent sur les risques d’une nouvelle crise économique et financière mondiale, de s’appuyer sur le courant actuel d’une « mondialisation en procès », les progrès économiques n’offrant plus de perspectives d’ascension sociale pour le plus grand nombre.

Ce retour de balancier frappe le « modèle américain » en son coeur. Trump ne serait-il pas dès lors le symptôme d’une « désoccidentalisation » du monde ?

La politique étrangère américaine s’inscrit dans « un monde en voie de recomposition », ainsi que le décrit Pascal Boniface, directeur de l’Iris (Comprendre le monde, 4e édition, Armand Colin, avril 2017).

Le monde n’est pas encore multipolaire dans la mesure où il n’y a pas d’équivalent à la puissance américaine – et tout l’enjeu de Washington est de retarder le plus possible ce moment fatidique.

Mais déjà les Etats-Unis n’arrivent plus à imposer leurs volontés aux autres puissances (Chine, Iran, Russie, mais aussi Syrie…), dans un mouvement plus vaste qui est celui de la fin du monopole occidental. dans les affaires du monde

La « fabrique » de la géopolitique trumpienne

L’élection de Donald Trump est en soi une manifestation de cette prise de conscience du recul du « modèle occidental » à travers la planète, tendant à remettre en réalité en cause le « modèle américain », fondé sur la démocratie libérale et le « capitalisme toutes frontières ouvertes » (Alain Frachon, Le Monde, 19/01/2017).

Le candidat, qui avait promis de défendre « l’Amérique d’abord », faisait craindre un retour à l’isolationnisme, jusqu’à se désintéresser de ses alliés traditionnels.

N’avait-il pas, pendant la campagne, laissé planer des doutes sur la défense de l’article 5 de la Charte atlantique et incité le Japon et la Corée du Sud à développer leur propre arsenal nucléaire face à la menace nord-coréenne ? Sur ce dernier sujet, on a pu observer depuis son accession à la Maison-Blanche qu’il pouvait être d’une fermeté inédite – au moins verbalement.

Et si sa première initiative en politique internationale fut de dénoncer l’Accord de partenariat transpacifique (TPP), la suivante a été de bombarder une base de l’armée syrienne près de Homs, à la suite de l’attaque à l’arme chimique d’un village tenu par les rebelles syriens – ce que Barack Obama avait toujours refusé à faire.

Deux principaux traits de la diplomatie de Trump apparaissent à l’aune de ces décisions. D’une part, sa conception de la négociation, directement issue de ses pratiques dans le privé. « Donald, marchand new-yorkais qui, dans ‘L’Art du deal’, explique comment il part d’une position de négociation excessive, pour forcer son interlocuteur aux concessions, a ouvert un grand marchandage. Du coup, ses partenaires de l’Otan se disent déjà prêts à augmenter leur contribution au budget défense ! » (« Le monde selon Donald Trump », Le Figaro, 15/12/2016).

D’autre part, l’influence de son entourage proche, où prédominent désormais les militaires.

Si Trump s’était entouré initialement de militants républicains voire de l’Alt Right à la fois nationaliste et de tendance isolationniste, comme Reince Priebus et surtout Steeve Bannon, démissionnaires dès l’été 2017, il s’appuie désormais sur Rex Tillerson (secrétaire d’Etat), James Mattis (ministre de la Défense), H. R. McMaster (conseiller à la sécurité nationale) et John Kelly (chef de cabinet de la Maison-Blanche).

Trois d’entre eux sont des officiers supérieurs (Tilerson, ex-PDG d’Exxon Mobil, faisant exception), partisans d’une ligne dure sur les dossiers les plus chauds de politique étrangère, comme l’Iran ou la Corée du Nord. « À travers eux, le monde militaire accroît encore son emprise sur la politique étrangère, s’inquiète The Washington Post cité par Courrier international (02-08/11/2017).

Pour autant, s’ils ont fait carrière dans les « croisades » décidées par G. W. Bush contre les pays de « l’Axe du Mal », les militaires sont plutôt des pragmatiques, formés à mesurer le rapport coût/efficacité de toute action.

Tous sont d’ailleurs respectés sur les questions stratégiques et internationales : « Ces hommes sont avant tout des réalistes, décidés à affirmer la puissance américaine quand c’est nécessaire » (Le Monde, 05-06/11/2017).

L’influence croissante du conseiller spécial et gendre de Donald Trump, Jared Kushner, très proche des intérêts israéliens, attesterait davantage d’une potentielle dérive belliciste et du retour de « la préférence américaine pour la force » (Jeffrey D. Sachs, Les Echos, 05/10/2017).

Soit un réalignement de l’administration Trump sur la politique traditionnelle des Etats-Unis – que confirmerait par ailleurs le bruyant soutien à l’Arabie saoudite face à l’Iran.

Une politique « imprévisible », vraiment ?

S’il reste parfois imprévisible, voire impulsif, Trump est avant tout un opportuniste. Ainsi, il a certes pris ses distances avec l’Europe pour se rapprocher du Japon et de la Chine. Mais c’est dans la droite ligne de la stratégie américaine de « pivot stratégique » vers la région de l’Asie-Pacifique, décidée par l’administration Obama dès 2009.

Et dans le même temps, il a réaffirmé son soutien à l’Otan et promulgué le 2 août 2017 de nouvelles sanctions économiques contre la Russie, adoptées par le Congrès, rassurant au passage les chancelleries européennes, notamment de l’Est, face à ce qu’ils considèrent comme une « menace russe ».

L’analyse des contempteurs de Trump s’impose dans les médias. Les journalistes Marc Semo et Gilles Paris, pour Le Monde (05-06/11/2017), s’appuient sur Laurence Nardon, spécialiste des Etats-Unis à l’IFRI et coordinatrice avec Thomas Gomart de l’ouvrage collectif Trump un an après. Un monde à l’état de nature ? (Etudes de l’IFRI, novembre 2017) : « Donald Trump se revendique comme un pragmatique, mais il agit de façon idéologique, même si son idéologie n’est pas structurée […] Trump a décidé de rester dans la veine populiste qui lui a fait gagner l’élection. [Il] n’est pas isolationniste. Son nationalisme est celui d’une Amérique qui souhaite se retirer du monde, mais qui n’hésite pas à intervenir quand ses intérêts sont en jeu. »

Au regard des décisions prises plus particulièrement au Moyen-Orient, selon Bertrand Badie, professeur à Sciences Po, « les deux seuls vrais soutiens de Trump dans l’arène internationale, partageant ses objectifs tactiques et stratégiques, sont Israël et l’Arabie saoudite ».

Une approche globale et plus nuancée est proposée par Georges-Henri Soutou, de l’Institut. Dans la revue Défense nationale (n°849, 09/12/2016), il estime que les Etats-Unis devraient passer à la « stabilisation par procuration ». Ce qui rejoint l’analyse de Renaud Girard, dans Le Figaro (24/01/2017) : « Refuser l’ingérence en politique étrangère, orienter cette dernière vers la sauvegarde des seuls intérêts américains, ce n’est pas obligatoirement vouloir s’isoler du monde. »

La fin de l’ordre américain ?

L’absence de résultats tangibles en bientôt un an d’exercice est régulièrement reprochée à la nouvelle administration américaine. Mais elle s’inscrit dans un mouvement plus large, dont Trump serait le révélateur davantage que l’initiateur.

Pour Alain Frachon en effet (« Donald Trump et la fin de l’ordre américain », Le Monde, 19/01/2017), le nouveau président ne fait qu’acter, en brisant quelques tabous, « la démonétisation des ‘valeurs’ libérales » et la remise en cause du système international issu de l’après-guerre.

« Il a rompu un consensus bi-partisan sur les bénéfices que l’Amérique retire de ‘l’ordre libéral’ mis en place par Washington au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; chef de la plus puissante économie du monde, il s’attaque au dogme libre-échangiste promu avec constance par tous les présidents américains depuis 1945 ; Trump n’aime pas l’Union européenne et voudrait qu’elle se disloque – revirement sans précédent depuis le début des années 1950 : l’unification européenne est un enfant de l’après-guerre américaine […] ; il s’est élevé contre l’une des traditions de la politique étrangère américaine, celle qui assigne au pays, au nom d’une ‘destinée manifeste’, la promotion de la démocratie dans le monde »

En 1941, Henry Luce avait prophétisé l’avènement d’un « siècle américain ». La fin des idéologies et de leurs représentations iréniques oblige à un retour au réel. Force est de reconnaître avec Olivier Zajec, universitaire à Lyon III, « la nouvelle impuissance américaine » (L’Oeuvre, 2011).

Le système américain s’est certes révélé flexible, plein de ressources et de capacités à rebondir, à saisir toutes les opportunités pour accroître sa puissance. Mais « l’ère postaméricaine a commencé, tant sur les plans économique, militaire que culturel », estime Zajec.

C’est sans doute psychologiquement que cette réalité géopolitique était la plus difficile à admettre. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de Donal Trump que de nous y inciter.

Avec en toile de fond, la signification et le devenir de l’idéologie américaine « dans le nouveau concert des nations orphelin de son surmoi américain ».

Pour aller plus loin :

  • « Donald Trump et la fin de l’ordre américain », par Alain Frachon, Le Monde, 20/01/2017 ;
  • « Etats-Unis : Donald Trump ou la diplomatie du chaos », par Marc Semo et Gilles Paris, Le Monde, 5-6/11/2017 ;
  • « Le monde selon Donald Trump », par Laure Mandeville, Le Figaro, 15/12/2016 ;
  • Civilisation. Comment nous sommes devenus américains, par Régis Debray, Gallimard, mai 2017, 240 p., 19 €.

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