Sep 172015
 

Des enjeux sécuritaires aux opportunités économiques

L’accord sur le programme nucléaire iranien, conclu le 14 juillet 2015 avec les États du groupe 5+1 (États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Chine et Allemagne), est un succès incontestable pour l’antique puissance perse.

La levée des sanctions occidentales, frappant le pays depuis près de 30 ans, était devenue un objectif stratégique de premier ordre. De même que la nécessité de desserrer l’étau constitué par l’alliance de l’Occident avec l’axe d’hostilité liant Israël aux puissances sunnites.

Cet « accord historique » permet à Téhéran de retrouver toute sa place sur l’échiquier diplomatique, en particulier celui d’un « Grand Moyen Orient » aux équilibres géopolitiques menacés par Daesh.

Cet accord permet également d’envisager la relance des relations économiques et commerciales avec les pays européens. Malgré le positionnement de la diplomatie française sur ce dossier, et plus généralement le choix d’une alliance avec les pays du Golfe, nos entreprises sauront-elles saisir les opportunités qui se présentent?

Depuis la révolution islamique de 1979, puis sa volonté supposée de se doter de l’arme nucléaire, l’Iran était devenu un paria de la scène internationale. Médias et diplomates occidentaux restaient obnubilés par la posture antiaméricaine – et vigoureusement antisioniste – de Téhéran.

Mais le chaos provoqué par l’intervention américaine au Proche-Orient, et l’irruption d’un « Etat islamique » (Daesh) bien plus redoutable, ont progressivement conduit à réviser des grilles d’analyse par trop manichéennes.

Allié de la Russie et plus récemment de la Chine, siège du mouvement des non-alignés depuis 2012, l’Iran apparaît aujourd’hui indispensable à la résolution des crises qui déchirent la région.

Une puissance aux racines profondes

De la Perse à l’Iran, c’est en fait un pays vieux de plus de 3 000 ans qui effectue son retour dans le concert des nations. « L’histoire fixe la création de l’Empire perse par Cyrus vers 550 av. J.-C. Conquis par les Grecs, en guerre permanente avec les Romains puis les Byzantins, vaincu par les Arabes, par les Turcs Seldjoukides, puis par les Mongols, le pays qui correspond à l’Iran actuel rebondit à chaque fois avec les Parthes, les Sassanides ou les Samanides, rappelle Pascal Gauchon dans le dernier numéro de la revue Conflits, dont le dossier est précisément consacré à l’Iran.

Il constitue ainsi l’un des rares pays islamisés de la région à avoir conservé sa langue, le persan, et donc sa culture, dans un territoire dont le centre de gravité est resté inchangé » .

Le maintien de cette identité singulière, d’un peuple de civilisation perse et de religion majoritairement chiite (à 85 %), s’explique pour une grande part par la géographie. Le pays est en effet constitué d’un ensemble de hauts plateaux et de bassins entourés de chaînes de montagnes (monts Zagros et Elbourz, Kopet-Dag, hauteurs du Khorasan et du Baloutchistan prolongeant les chaînes afghanes et pakistanaises…).

Le géographe Bernard Hourcade parle d’une « île » au sein du Moyen-Orient : « Comme la Bohème autrefois, l’Iran se présente ainsi comme une forteresse gardée de tous côtés par de puissantes murailles, explique Pascal Gauchon.

Ce coeur bien individualisé n’est cependant pas isolé du reste du monde » , de nombreux cols et passages ouvrant sur l’extérieur et notamment les deux plaines littorales bordant la Caspienne, au nord, et le golfe Persique au sud.

Ces fondamentaux se trouvent paradoxalement renforcés par les crises actuelles. C’est notamment l’analyse d’Antoine-Louis de Prémonville dans son éclairante Géopolitique de l’Iran (Puf, juin 2015) : « L’Iran se trouve aujourd’hui au centre géopolitique du monde dans la mesure où il peut contrôler les réserves majeures d’hydrocarbures de la mer Caspienne et du golfe Persique. De même, il se présente comme un intermédiaire idéal entre la Chine et l’Occident ainsi que comme la clef des paix yéménite, irakienne et syrienne » .

Pour autant, le pays se représente toujours comme « une nation entourée d’ennemis » , un « empire confiné » : « En réalité, seule une politique d’alliances multilatérales lui permettrait d’échapper au pillage énergétique et de renouer in fine avec la puissance » .

L’univers mental iranien

Pour François Thual, « l’Iran a toujours perçu sa position géopolitique dans l’appréhension constante des menaces que font peser sur lui les États ou les nations qui l’entourent » .

Dans cet environnement incertain, la République islamique affiche son attachement à la stabilité régionale et son refus de toute ingérence étrangère. A fortiori depuis 1988, au sortir de son long et sanglant conflit avec l’Irak, qui lui a fait prendre conscience qu’elle ne disposait plus des moyens de mener un conflit direct.

Mais elle conserve une vision stricte de ses intérêts stratégiques dans sa sphère d’influence directe, chiite, qui s’étend de la Méditerranée au golfe Persique, en passant par la Syrie. D’où son soutien au Hezbollah libanais et aux gouvernements syrien et irakien, et dans une moindre mesure au Hamas palestinien et aux rebelles houtis du Yémen.

Et les craintes que nourrissent en retour, face à cet activisme, Israël et les pays sunnites de la région.

Comme le souligne Olivier Hanne dans Conflits, le surgissement de Daesh à l’été 2014 a certes contribué à accélérer le mouvement de détente engagé avec Washington, facilité par l’arrivée au pouvoir en 2013 du président Hassan Rohani et de son chef de la diplomatie, Mohammed Javad Zarif, jugés plus pragmatiques et responsables que leurs prédécesseurs par l’administration Obama.

Mais la nouvelle menace constituée par l’État Islamique a également « confirmé les vieilles failles géopolitiques dans la région, en particulier la coupure entre sunnites et chiites, souvent considérés comme des citoyens (ou des sujets) de second ordre dans les pays sunnites » .

D’autant plus que le chiisme autorise une lecture du Coran plus libre que dans le reste du monde musulman : un véritable sacrilège pour les salafistes et leurs alliés wahhabites ! C’est pourquoi la véritable « guerre froide » opposant Ryad à Téhéran n’est pas prête de cesser.

Le pari de Washington étant sans doute que l’équilibre des forces entre les deux camps assure celui de la région dans son entier. L’ouverture économique et donc le nouveau décollage de l’Iran ne doit-il pas y contribuer ?

Des opportunités économiques à saisir

Le « dégel » permis par les États-Unis pourrait déboucher sur des résultats économiques rapides. Le déblocage des fonds iraniens gelés par Washington (on parle de 100 à 150 milliards de dollars, localisés pour une large part en Chine) constitue une véritable manne pour un pays dont le PIB est de l’ordre de 500 milliards de dollars par an.

D’autant que les besoins d’investissement laissent présager la signature de fructueux contrats dans des secteurs où l’Iran a des besoins urgents, notamment l’aviation. Téhéran souhaite en effet acquérir une flotte de quelque 400 avions d’ici dix ans (pour 20 milliards de dollars) et bâtir neuf terminaux aéroportuaires internationaux.

Mais aussi développer ses autres infrastructures de transport (réseau ferroviaire, routes, autoroutes) et un certain nombre de secteurs stratégiques (énergie, mines, industrie – notamment de défense -, pharmacie, agroalimentaire)…

« Les entreprises américaines sont bien placées pour remporter [ces marchés] car, malgré les sanctions, elles sont restées indirectement présentes, estime Shervin Ahmadi dans Le Monde diplomatique (janvier 2014).

Autre atout : l’importante diaspora iranienne installée aux États-Unis, qui n’a jamais rompu avec la mère patrie » .

Pressé de tendre la main aux investisseurs, l’Iran appelle aussi les entreprises européennes à profiter de la réouverture de son économie, « un marché d’environ 80 millions d’habitants » , afin d’ »enclencher une nouvelle phase de coopération économique et industrielle » (Le Monde, 16/07/2015).

Il y a urgence. D’une part, pour trouver de nouveaux relais de croissance face à l’essoufflement chinois. D’autre part, pour inverser la tendance négative observée ces dernières années : « En deux ans, les exportations iraniennes vers l’Europe sont passées de 16,5 milliards d’euros à 5,6 milliards, et les importations, de 10,5 milliards à 7,4 milliards » (Shervin Ahmadi).

Interviewé par la revue Conflits, l’ambassadeur de la République islamique à Paris, Ali Ahani, le déclare sans ambage : « Auparavant les entreprises françaises ont été très présentes et ont conservé une image relativement positive. Mais elles sont aujourd’hui trop prudentes, en particulier pour des raisons bancaires. Les autres entreprises européennes ainsi qu’américaines sont beaucoup plus actives, (…) elles sont déjà présentes. Que les Français ne perdent pas de temps. C’est le moment ! »

Le moment d’une « diplomatie économique » bien comprise ?

Pour aller plus loin :

  • « Le grand retour de l’Iran », dossier de la revue Conflits, n°6, juillet-août-septembre 2015, 9,90 € ;
  • « Géopolitique de l’Iran », par Antoine-Louis de Prémonville, Puf, coll. Major, 176 p., 27 € ;
  • « Le monde selon Téhéran » , par Shervin Ahmadi, Le Monde diplomatique, janvier 2014, www.monde-diplomatique.fr ;
  • « Faut-il avoir peur de l’Iran ? » , Courrier international n°1275, avril 2015, www.courrierinternational.com