Hier encore désignés sous l’acronyme réducteur de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), les pays émergents voient leur liste sans cesse s’allonger. L’Afrique du Sud d’abord, puis le Mexique, la Corée du Sud, la Turquie ou encore l’Indonésie sont fréquemment associés au club des grandes puissances de demain. « L’émergence est devenue le concept facile pour évoquer ces pays aujourd’hui solidement assis sur leurs bases économiques, alors même qu’on pourrait les considérer comme déjà émergés si l’on conservait la définition littérale du concept », souligne Sylvia Delannoy dans son remarquable manuel de Géopolitique des pays émergents édité aux Presses universitaires de France. Si ces puissances « nouvelles » ont en commun une forte croissance et une élévation du niveau de vie de leur population, elles se caractérisent aussi par une constante augmentation de leurs budgets de défense. À l’heure où l’Europe désarme, les émergents se dotent d’outils militaires à la mesure de leur environnement régional, quand ils n’ambitionnent pas d’en faire le fer de lance de leur politique étrangère.
“Cet essai relate une véritable bataille des cartes”, prévient le géographe Michel Foucher pour présenter son dernier ouvrage consacré à la guerre des représentations qui se déroule dans un monde en transformation. En effet, la mondialisation rebat les cartes obligeant chaque puissance à réévaluer sa position et ses ambitions sur l’échiquier mondial. Face à cette exigence tous ne sont pas également à l’aise. Pour l’auteur, “le grand clivage contemporain sépare ceux qui regardent l’histoire en cours avec le sentiment d’en être, d’avoir un avenir et de pouvoir la façonner, et ceux qui croient – à tort ou à raison – la subir parce qu’ils doutent d’eux-mêmes.” La seconde catégorie est bien sûr constituée des vieux pays industriels saisis de vertige face à l’émergence de nouvelles puissances issues de ce qu’ils qualifiaient il n’y a pas si longtemps de Tiers-monde…De fait, ces nouvelles puissances économiques n’entendent pas en rester là. Elles ont aussi des ambitions géopolitiques et défendent dès à présent une vision alternative du monde qui s’inscrit dans des cartes mentales. Pour Michel Foucher, ce mouvement de fond est porteur d’un impératif : l’Occident et l’Europe doivent redéfinir leur rôle et leur statut, “trouver de nouveaux vecteurs d’être au monde, choisir le reclassement pour éviter le déclassement”. Mais nous n’en sommes pas encore là. Aujourd’hui, ce sont plutôt les autres qui pensent le monde et s’y projettent.