Retour sur une politique étrangère décriée
Les Midterms de ce 4 novembre 2014 ont confirmé les doutes des Américains à l’égard de l’action du président Barack Obama. En particulier dans le domaine de la politique étrangère et de la défense, ultima ratio de la puissance de tout État. Après Hillary Clinton, deux de ses anciens secrétaires à la Défense ont publié des charges extrêmement destructrices à la veille de ces élections. Au-delà des positionnements politiciens, que valent ces critiques ? Quelle est la ligne directrice de la diplomatie américaine depuis l’accession du « premier président noir » à la Maison-Blanche ? La relecture de l’ouvrage de Justin Vaïsse, Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012), publié chez Odile Jacob en octobre 2012, et devenu un classique de géopolitique, fournit des clés utiles à une meilleure compréhension des enjeux. Un sujet essentiel compte tenu du poids conservé par la première puissance mondiale dans la reconfiguration géopolitique en cours.
Les anciens collaborateurs de l’hôte de la Maison-Blanche sont décidément peu amènes à l’égard de sa politique, de son style de gouvernement et même de son caractère. Après les Mémoires d’Hillary Clinton et surtout de Robert Gates, secrétaire à la Défense sous George W. Bush et Barack Obama, celles publiées à quelques jours des élections de novembre 2014 par Leon Panetta, ancien directeur de la CIA puis également secrétaire à la Défense d’Obama, constituent de brutales remises en cause de l’action de ce dernier. Duty (« Le Sens du devoir ») du républicain Gates comme Worthly Fights (« Les combats qui valent la peine ») du démocrate Panetta viennent alimenter le procès en absence de leadership, en incohérence voire en incompétence du président américain sur la scène internationale.
Critiques et déception du premier cercle
Pour l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, qui relève ces publications dans son édition du 23/10/2014, « Obama [est] piétiné par ses proches ». Leon Panetta est en effet sévère. Il reproche au président américain de préférer la politique politicienne aux enjeux de sécurité nationale, ainsi qu’une coupable passivité, attendant toujours qu’une situation atteigne son seuil critique pour réagir : « Il évite la bataille, se plaint et rate des occasions ». L’ancien directeur de la CIA fustige ainsi « sa réticence frustrante à attaquer ses adversaires et à rallier du soutien à sa cause », ainsi que sa tendance à s’appuyer « sur la logique d’un professeur de droit plutôt que sur la passion d’un chef ».
Bob Gates, dont la longue carrière a débuté sous Reagan, et qui salue pourtant l’élimination d’Oussama ben Laden comme « l’une des décisions les plus courageuses » qu’il lui a été donné de voir à la Maison-Blanche, déplore qu’« à l’inverse de Bush, Obama [considère] le temps passé avec des généraux et des amiraux comme une obligation », pointant une forme de condescendance à l’égard des militaires. Un tropisme « pacifiste » qui lui aurait notamment fait conduire sans enthousiasme ni sérieux la fin de la guerre en Afghanistan.
Même critique de la part de Panetta s’agissant du front irakien, au risque de favoriser la naissance de l’État islamique (« la Maison-Blanche souhaitait tellement en finir avec l’Irak qu’elle était prête à se retirer plutôt que de conclure un accord qui aurait préservé notre influence et nos intérêts »). De même sur le dossier syrien, où Barack Obama se voit reprocher ses atermoiements et revirements successifs.
Il convient cependant de relever que ces reproches, produits ou relayés pour l’essentiel par les Républicains, peuvent au contraire constituer des acquis de ce côté-ci de l’Atlantique. Au regard de la situation actuelle en Libye comme en Mésopotamie avec l’irruption de milices islamistes telles que l’EI, on ne peut que se féliciter, notamment, que l’expédition punitive projetée contre Bachar el Assad n’ait finalement pas eu lieu.
En matière de relations internationales, la « politique compassionnelle » est la pire des politiques. Seul s’impose in fine le moins mauvais des choix possibles…
Tourner la page des années Bush
Pour Thomas Snégaroff, professeur à Sciences Po, Barack Obama apparaît en réalité comme « un grand président » car il a « pris conscience que le monde avait changé » (revue Conflits, n°1). Il en veut pour preuve l’annonce que « plusieurs modèles démocratiques peuvent coexister dans le monde », semblant ainsi rompre avec la tentation d’imposer partout – et par la force si nécessaire – le seul modèle de la démocratie libérale occidentale.
Ce faisant, « Obama signe la fin d’une vision périmée des enjeux géopolitiques américains tels que les envisageaient les néo-conservateurs », forçant l’Amérique à « réinventer les modalités de son interventionnisme ».
Un interventionnisme qui est loin d’avoir disparu, mais dont l’empreinte se veut plus « soft ». Certes, la « guerre contre le terrorisme » reste d’actualité, mais la diplomatie, les stratégies multilatérales et « l’engagement coopératif » sont systématiquement privilégiés – comme en témoignent la main tendue à l’Iran et le dialogue renoué avec la Russie (jusqu’au retour au pouvoir de Vladimir Poutine et, surtout, l’éclatement de la guerre en Syrie et de la crise ukrainienne). Les succès sont cependant limités.
Dans son ouvrage de référence sur le sujet, Justin Vaïsse, directeur de recherche à la Brookings Institution et professeur à la John Hopkins University, relève ainsi un certain nombre d’échecs de la politique étrangère d’Obama.
Tout d’abord, « l’espoir de restaurer l’image des États-Unis, notamment en reprenant l’avantage moral, a été largement déçu », les frappes de drones, le recours aux forces spéciales et le maintien de Guantanamo symbolisant la continuité de la politique sécuritaire américaine. Au Moyen- Orient, « le dossier israélo-palestinien constitue certainement le plus lourd échec d’Obama » – un échec de surcroît pour partie personnel.
Quant à la politique de main tendue vers les « États voyous », elle « n’a produit aucun succès direct », laissant place à « une classique politique de sanctions » (Syrie, Iran). Et « l’ambition de résoudre les problèmes globaux grâce à un engagement coopératif et une gouvernance mondiale renouvelée a débouché sur de piètres résultats ».
Il en va ainsi de la « stratégie de Pittsburgh » visant à associer davantage les pays émergents à la gouvernance de la « communauté internationale », de la question climatique et – dans une moindre mesure – de la prolifération nucléaire, tous chantiers pourtant privilégiés par Obama.
Enfin, l’ambition de « restaurer les fondations de la puissance américaine en musclant son économie et en réduisant sa dette n’a été qu’en partie satisfaite » : le déficit budgétaire dépasse largement les 1 000 milliards de dollars par an, et la dette augmente inexorablement, « tandis que les réformes de structure ou les investissements d’infrastructures n’arrivent pas ».
Ce dernier point n’est cependant pas l’apanage des États-Unis, loin s’en faut ! A contrario, Obama peut se prévaloir de réussites ou quasi-réussites. Justin Vaïsse estime ainsi qu’il a remporté la guerre contre Al-Qaida et qu’il a su endiguer la montée en puissance de Pékin (« l’Amérique est redevenue un acteur de l’Asie-pacifique à temps plein, dont la présence est demandée par une majorité de pays dans la région, ce qui la place en bien meilleure posture pour répondre avec équilibre à la montée en puissance de la Chine »).
Il a réussi plus globalement à « renforcer l’alliance avec les pays partenaires d’Europe et d’Asie », obtenant en effet leur alignement sur les positions américaines dans la plupart des dossiers (Afghanistan, Iran, bouclier antimissiles, printemps arabe, Libye, etc.).
Et s’agissant du « printemps arabe », il a évité « deux écueils évidents » : s’accrocher au statu quo ou se lancer dans une « croisade démocratique ».
Mais le point fort de son bilan tiendrait à sa capacité « empirique », rompant avec l’unilatéralisme américain et portant une attention plus soutenue aux émergents.
Une prise de conscience des changements du monde
Dans les faits, les diverses facettes de la politique étrangère conduite par Obama depuis 2008 révèlent un profond pragmatisme, prenant à contre-pied la vision doctrinaire imposée par les néo-conservateurs de l’administration Bush. Au risque d’apparentes contradictions ? Même si elles sont justifiées a posteriori par les équipes de communication, Justin Vaïsse souligne que « la plupart des décisions de politique étrangère américaine ne sont pas planifiées à l’avance, et ne font pas partie d’un projet cohérent. Elles se prennent dans l’urgence, en réaction à des événements inattendus et, au mieux, peuvent être infléchies pour se rapprocher des préférences de l’administration ».
Reste une approche générale, privilégiée dès le début et qui pourrait constituer la ligne directrice de la politique étrangère de Washington en ce début de millénaire. « L’Amérique a fait fausse route, analyse Barack Obama à son arrivée à la Maison-Blanche. Il faut à présent qu’elle réoriente son attention et adapte son leadership à ses moyens diminués et surtout aux vrais défis du monde nouveau ; en un mot, qu’elle ‘pivote’. Le pivot est un terme sportif qu’affectionne Obama : c’est le mouvement qui consiste, pour un joueur de basket, à se tourner dans une nouvelle direction tout en gardant un pied au sol pour pouvoir conserver le ballon. Ce terme a été employé dans un contexte bien précis, celui du ‘rééquilibrage’ (rebalancing) de la politique étrangère américaine du Moyen-Orient vers l’Asie, en particulier lors du voyage du président en Indonésie et en Australie en novembre 2011 ».
Mais il pourrait également constituer une métaphore de l’approche choisie par Obama, et « désigner le redéploiement de la politique américaine dans son ensemble : pivot non pas seulement du Moyen-Orient vers l’Asie, mais aussi des ‘vieilles puissances’ européennes vers les puissances émergentes (ou tout du moins du monde du G8 au monde du G20), des questions militaires vers les questions diplomatiques et géoéconomiques, de l’unilatéralisme vers la coopération et l’engagement, enfin, dans une certaine mesure, des efforts à l’international vers les efforts à l’intérieur ».
Peut-être est-ce en fin de compte cette « nouvelle donne » qui déroute le plus les Américains. Même si elle prend acte de leur relatif effacement, peut-être est-ce aussi une chance pour les Européens. Dans un monde plus que jamais chaotique, la prise de distance américaine est l’occasion pour les pays de la « Vieille Europe » de renouer avec un destin propre.
Pour aller plus loin :
- « Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) », par Justin Vaïsse, Odile Jacob, 283 p., 24,90 € ;
- « Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) », recension de Vincent Satge pour Diploweb.com/Les Yeux du Monde.fr, octobre 2014 ;
- « Où va l’Amérique ? », dossier de Manière de voir, n°125, octobre-novembre 2012 ;
- « Barack Obama, un grand président », par Thomas Snégaroff, in Conflits, n°1, avril-mai-juin 2014.