Oct 222010
 

Vins de terroirs contre vins de marques

Les deux modèles aboutissent en effet à des conceptions radicalement différentes de ce que l’on nomme “vin”. Dans le modèle français, le vin est envisagé comme un produit vivant, “fruit de la terre, du soleil et du travail des hommes”. Les AOC prennent ainsi en compte la qualité des sols, la nature du climat et un savoir-faire établi. D’où une multitude d’appellations et aussi de “châteaux” qui dévoilent la nature traditionnelle et patrimoniale de la viticulture française. Chaque vin est ainsi unique, et faute d’intervention massive lors de la vinification, sa saveur varie d’une année sur l’autre. Cela fait bien sûr le charme du vin français, mais aussi sa complexité pour les nouveaux consommateurs.

Rien de tel dans la production des pays du Nouveau Monde. Les vins issus des wineries ne font pas référence aux lieux mais plutôt au cépage. Peu importe où le raisin a été collecté et les conditions climatiques de l’année car l’étape cruciale est celle de la vinification. Hautement technologique, celle-ci permet d’assurer une qualité constante d’une année sur l’autre, comme pour les sodas. Cela manque de charme bien sûr, mais cela rassure les néophytes. Ils peuvent se fier à une étiquette compréhensible et sont, croient-ils, assurés d’en avoir pour leur argent.Voilà pourquoi, au restaurant, nos amis anglo-saxons commandent presque invariablement un “Cabernet-Sauvignon” ou un “Chardonnay” lorsque nous hésitons entre un Sancerre, un Bourgogne ou un Saumur…

Lobbying en faveur d’un marché global du vin

Gare toutefois au snobisme et à tout sentiment de supériorité mal placée ! Notre longue histoire viticole ne nous met nullement à l’abri de la concurrence. Non seulement nos challengers des Amériques, d’Australie ou d’Afrique du Sud sont capables de produire, eux aussi, d’excellents crus, mais, s’agissant des vins destinés au grand public, leur modèle est d’une redoutable efficacité commerciale. Grâce à des conditions climatiques très favorables et à des coûts de production bien inférieurs à ceux en vigueur en Europe, ils sont en mesure de produire d’immenses quantités de vins. Reste alors à créer un marché global du vin capable de les absorber. D’où un lobbying extrêmement actif visant à effacer les entraves que constituent, selon eux, les normes françaises diffusées internationalement par l’OIV.

Le premier acte a consisté à quitter cette instance d’essence française pour créer une organisation concurrente : le World Wine Trade Group, dont le nom est, en lui-même, tout un programme. Comme l’affirme sans ambage le site Internet de l’association, ses membres “ont un intérêt commun au développement du commerce international du vin. Ils ont identifié des obstacles à l’essor du marché global du vin”. L’objectif n’est donc plus de garantir une origine et un savoir-faire spécifique mais de stigmatiser ceux-ci comme des entraves à la libre concurrence. Très significativement, la prochaine bataille se jouera d’ailleurs devant l’OMC. “Or l’Europe y est en position de faiblesse. Une définition très en deçà des standards européens devrait donc primer : tout ce qui n’est pas reconnu comme mauvais en termes de santé publique, comme l’aromatisation, pourrait être accepté”, préviennent Raphaël Schrimer et Hélène Velasco-Graciet.

Un avenir pas nécessairement sombre

Dans ces conditions, l’avenir est-il sombre pour les viticulteurs français ? Pas nécessairement. D’abord parce que le monde viticole français dispose encore de beaux atouts. Les auteurs de l’Atlas mondial des vins soulignent ainsi que les coopératives viticoles françaises et européennes sont “capables de produire des vins de qualité à destination de la grande distribution ou de la restauration” et que “leur puissance devrait permettre de jouer à armes égales avec les entreprises du Nouveau Monde”. Sans négliger l’importance de la bataille des normes et du goût qui passe par des stratégies d’influence et de communication, ils suggèrent aussi de s’engager dans de nouvelles voies en proposant “des vins de qualité, respectueux de l’environnement et qui, surtout, font rêver le consommateur”.

Il est vrai que dans la métamorphose du paysage viticole mondial, certains signes donnent à espérer. Ainsi, à côté des “vins de marques” emblématiques des productions industrielles standardisées, les consommateurs se montrent friands de vins différents: plus typés ou subtils mais surtout porteurs d’une histoire. “Il y a un dynamisme interne des régions – souvent par réaction à une mondialisation perçue comme uniformisatrice – qui redécouvrent leur patrimoine architectural, gastronomique et viticole”. Stratégie de repli identitaire ? Nullement, car jouer la différence permet aussi de séduire aussi les consommateurs étrangers. “Le tourisme, à la recherche d’exotisme ou d’authenticité y contribue d’ailleurs”, ajoutent les auteurs.

Jouer la qualité, la différence et l’imaginaire

Une vision optimiste consiste d’ailleurs à penser que les vins standardisés ne sont que des vins d’initiation séduisant de nouveaux consommateurs appelés à devenir plus exigeants et curieux de nouvelles expériences gustatives à mesure qu’ils avanceront en âge et en connaissance. Dès lors, le marché à venir sera gigantesque. Mais pour qu’un tel scénario se réalise, pas question toutefois de se reposer sur ses lauriers! Séduire ces nouveaux consommateurs exige de l’ingéniosité. Raphaël Schrimer et Hélène Velasco-Graciet proposent ainsi de s’inspirer sans complexe de certaines pratiques étrangères comme l’oenotourisme, développé avec succès en Californie, ou le renouvellement de l’architecture vinicole de façon à accueillir le public sur le lieu même d’élaboration du vin.

En effet, comme l’avait bien perçu Lévi-Strauss, le vin n’est pas un produit comme un autre : il ne suffit pas qu’il soit bon à boire, encore faut-il qu’il soit bon à penser et même à rêver. Or, sur ce terrain, fort de sa longue et prestigieuse histoire viticole, notre pays est mieux positionné que tout autre. Comme en bien d’autres domaines, notre tradition viticole restera vivante et dynamique à une condition : croire en nous et aller de l’avant pour déceler des opportunités là où nous ne voyons trop souvent que des menaces. Il n’est pas dit que la mondialisation du vin doive nécessairement nous donner la “gueule de bois”.

Atlas mondial des vins. La fin d’un ordre consacré ?, par Raphël Schrimer et Hélène Vasco-Graciet, Editions Autrement, 80 p., 17 €.