Jan 182018
 

le quotidien géopolitique des entrepreneurs

CLESCE09-1La balance commerciale française, marqueur essentiel de la santé économique, reste désespérément déficitaire. Les causes structurelles de cet échec récurrent sont nombreuses.

Mais il y a une autre explication, souvent masquée par l’image de quelques stars internationales, start-up ou grandes entreprises, c’est le peu de poids que pèsent les PME dans les marchés de l’export.

Ces forces vives de l’économie nationale peinent à sortir de nos frontières pour se mesurer sur un terrain de jeu mondialisé.

Ces maigres performances ne sont pas une fatalité. Les exemples étrangers, allemand et italien en particulier, ainsi que les succès fulgurants de quelques pépites françaises, montrent que les PME, et même les entreprises artisanales, peuvent être des acteurs importants et reconnus sur les marchés étrangers.

L’analyse de ces réussites met rapidement en lumière trois qualités essentielles que ces entreprises partagent : un sens aigu de la stratégie marketing, une pratique très concrète de la géopolitique et un véritable esprit de conquête.

Des PME nombreuses à l’export mais fragiles et vulnérables

Dans une récente étude, la Direction générale des douanes a identifié quelques 124.000 entreprises françaises exportatrices en 2016 (1).

Parmi elles, les grandes entreprises ne représentent que 0,4% mais réalisent 54% des exportations de biens. Les PME et les micro-entreprises, qui totalisent 95% des exportateurs, n’en réalisent que 14%.

Elles sont aussi la lanterne rouge des exportations intra-européennes. Environ un quart d’entre elles n’exportaient pas en 2015 et un quart des exportateurs de 2015 ne le sont plus en 2016…

Par ailleurs, 90% de ces entreprises ont moins de 20 salariés, 65% des entrants sont des primo-exportateurs et 40% des sortants ont interrompu une première expérience.

Ces chiffres soulignent une réelle fragilité à l’export des PME françaises.

Elles sont évidemment handicapées par les faiblesses structurelles de notre économie nationale, parmi lesquelles des experts citent pêle-mêle le coût trop élevé du travail, le poids des charges, la désindustrialisation, la sous-capitalisation, les insuffisances de l’innovation, ainsi qu’un manque d’intérêt fréquent pour ce qui n’est pas hexagonal…

Mais les PME qui échouent à l’export sont souvent victimes de positionnements stratégiques dangereux, en particulier une trop forte dépendance à un produit et/ou à un pays.

Ainsi, toujours selon l’administration des douanes, 60% des PME concernées n’exportent qu’un seul produit et elles ne sont que 15% à proposer plus de 4 produits. Par ailleurs, 70% d’entre elles n’exportent que vers un seul pays, 15% seulement dépassant les 4 pays…

Ces choix rendent les PME très sensibles à la concurrence et vulnérables aux soubresauts géopolitiques.

Ajoutons que la plupart des PME ne sont pas adossées à un groupe, d’où une réelle fragilité qui se traduit d’abord par un taux d’échec important : 55% des entreprises exportatrices entrantes en 2015 n’exportent plus en 2016 (2).

Des dirigeants de PME souvent isolés et mal informés

L’importance et la rapidité de ces mouvements s’expliquent aussi par une certaine forme d’improvisation dans l’approche de ces nouveaux marchés qui font souvent rêver plus que de raison.

Car les patrons de PME français sont seuls au moment de décider. Les grandes entreprises disposent de réseaux permanents d’observation et de veille géostratégique, dont des cellules internes traitant les informations.

Elles ont ainsi accès à tous les scénarios possibles et peuvent décider en toute connaissance de cause.

En revanche, les dirigeants de PME doivent souvent se contenter d’informations très générales, souvent datées, glanées auprès des réseaux des CCI ou des Chambres de Métiers (3).

Faute de relais locaux, de données géopolitiques actualisées et d’outils d’analyse, ils ont du mal à se faire une représentation juste des risques, des opportunités et des contraintes d’un marché à l’export.

D’où des décisions qui tiennent parfois davantage du pari ou du coup de coeur que d’une stratégie maîtrisée.

Enfin, dévorés par le court terme et le quotidien, les dirigeants de PME manquent souvent d’une vision marketing et stratégique.

Comme le confirme Myriam Diallo, responsable des questions internationales à la Fédération française du bâtiment, « les PME qui réussissent à l’export sont celles dont les dirigeants ont pris le temps de développer une solide vision stratégique. »

Car le choix de marchés étrangers s’inscrit dans une stratégie globale de développement.

Pour ne pas se réduire à un gadget ou un caprice de dirigeant, la démarche d’export doit faire l’objet d’une analyse marketing et d’une organisation précise qui se traduira par des objectifs mesurables, un calendrier, des étapes et des moyens.

Et la dimension internationale des cibles oblige à intégrer une composante géostratégique et culturelle forte qui concerne aussi bien les produits que les clients.

L’export, un choix stratégique et une démarche marketing

Car contrairement aux idées reçues, la globalisation de l’économie mondiale n’a pas (encore ?) uniformisé les goûts et les attentes des clients.

Les spécificités géopolitiques concernent autant le produit lui-même que la façon de le positionner et de le vendre.

Le travail de marketing consiste à jouer avec ces différents paramètres pour définir un produit et les différentes façons de le vendre.

Par exemple, la société des Anis de Flavigny réalise 30% de son CA à l’export en privilégiant son histoire (qui remonte au Moyen-Âge) et son implantation historique en Bourgogne.

Dans un tout autre registre, l’entreprise de « menuiserie et charpente d’exception » Asselin met en avant son expérience en monuments historiques et la fameuse french touch pour vendre des fenêtres haut de gamme à de riches américains qui rêvent de châteaux (3).

Beaucoup des PME qui ont réussi à l’international doivent leur succès à la nature même des produits vendus.

Il s’agit le plus souvent de « marchés de niche », liés à un savoir-faire unique et reconnu ou à des produits techniques sans concurrence.

Par exemple, la PME Les Fils de Jean George a développé une offre dans le placage de bois exotiques, proposant un catalogue de 170 essences rares différentes.

Quant à l’entreprise Forécreu, elle est devenue, avec ses 70 salariés, le leader mondial des barres métalliques de haute précision et des composants pour les implants chirurgicaux.

Proposer un bon produit à son catalogue est une condition nécessaire mais non suffisante pour qu’une PME réussisse à l’export.

Encore faut-il a minima se faire connaître, susciter l’intérêt des clients étrangers, puis rendre le produit « compatible » avec les données – en particulier commerciales et culturelles – du pays visé.

Aujourd’hui, l’intérêt pour un produit passe souvent par un positionnement haut de gamme, des résultats innovants de R&D, un savoir-faire très spécifique, des labels, des brevets ou des appellations contrôlées.

Ce sont là autant de façons de « débanaliser » une offre et de la sortir d’une concurrence sur le seul prix.

On voit donc comment des données culturelles précises permettent de positionner un produit sur son marché et de lui associer les arguments de vente les plus pertinents.

Ainsi, la Société Celtic, qui réalise plus de 60% de ses ventes d’eau minérale à l’international, a su adapter le positionnement d’un même produit à plusieurs marchés nationaux en se fondant sur différents « ressorts » culturels.

« Aux États-Unis, analyse Robert Haehnel (5), elle est l’eau des bébés. En Corée, sa pureté en a fait la matière première incontournable dans la fabrication de cosmétiques. En Russie, elle se vend comme une spécialité française haut de gamme, avec une étiquette à l’avenant. »

Reste à mettre en place une démarche de prospection commerciale, un effort qui s’inscrit souvent dans le temps long. Sa réussite suppose une bonne connaissance de la culture, des pratiques commerciales et du droit local, donc du travail en plus et du temps à trouver pour le dirigeant de PME…

Des modes de distribution spécifiques

Il existe cependant des façons de procéder plus rapides et moins coûteuses. Par exemple, les PME peuvent s’appuyer sur le développement à l’export de leurs propres clients et les « suivre » à travers leurs filiales étrangères.

Elles peuvent ainsi avancer en terrain déjà balisé et bénéficier en même temps de leur notoriété. De cette façon, la Société Clauger, spécialisée dans la production de froid et le traitement de l’air, a « accompagné » à l’étranger ses clients à forte notoriété (Danone, Bel, Lactalis, Bongrain ou Sanofi).

« Au départ, soulignait Frédéric Minssieux, directeur général de la PME familiale, nous avons suivi nos grands donneurs d’ordres à l’étranger, et nous nous y développons progressivement avec de nouveaux clients locaux. »

Faute de cette voie royale vers l’export, les PME doivent choisir les circuits de distribution qui correspondent aux habitudes commerciales locales.

Par exemple, explique encore Robert Haenel, la PME Vétalis Technologies qui produit des compléments alimentaires pour l’élevage, « utilise en Allemagne le canal des vétérinaires.
En Irlande les ventes se font directement aux éleveurs, en Espagne il faut passer par les pharmacies.
Pour couvrir l’Afrique et le Moyen-Orient, un accord a été conclu avec un groupe mondial.
Au Brésil et en Chine, la société va s’implanter, condition nécessaire pour exister dans ces pays. »

Internet, symbole et moteur de l’export pour les PME

Internet, vecteur principal et symbole de la globalisation du monde, met à la portée des dirigeants de PME les données géopolitiques nécessaires à leurs projets.

Les applications de veille, les sites d’information des différents pays, les sites de l’administration française dédiés à l’export, les sites commerciaux, les réseaux de chefs d’entreprise sont autant de moyens indispensables.

Ils concentrent sur un même écran, organisent, trient ou évaluent en permanence les informations géopolitiques utiles (6).

Certes, s’ils fournissent un socle rationnel et documenté à la prise de décision, ces services, nécessairement généralistes, ne dispenseront jamais l’entrepreneur de décider lui-même.

La mondialisation de l’économie a sorti l’export de l’exceptionnel et fait de l’international – avec ses singularités financières, juridiques et managériales – une dimension « normale » de l’activité des entreprises, fussent-elles PME ou artisanales.

Reste à aider leurs dirigeants à faire ce saut qui exige une solide information et, sans doute aussi, un accompagnement spécifique.

Les projets du gouvernement vont conforter Business France dans son rôle de premier informateur public.

On peut imaginer aussi de confier aux Business schools une fonction de coaching à l’international des patrons de PME tentés par cette nouvelle dimension de leur métier.

Pour en savoir plus :

– Le site généraliste de Business France (BPI France) – http://www.businessfrance.fr/

– Le site d’échange des PME exportatrices – http://www.lespmeexportent.fr/

1/ Ministère de l’action et des comptes publics – Direction générale des douanes et droits indirects – Le chiffre du commerce extérieur 2016 – télécharger le document

2/ Ibidem.

3/ Il existe aussi des réseaux associatifs de dirigeants de PME intéressés par l’export.

4/ La « Maison Asselin », installée à Thouars (Deux-Sèvres) est dirigée par François Asselin, actuel Président national de la CPME. Entre autres chantiers historiques prestigieux, les charpentiers de l’entreprise ont construit une réplique de l’Hermione, la frégate qui emmena le marquis de La Fayette aux États-Unis.

5/ Robert Haehnel est éditeur du site lespmeexportent.fr

6/ Les informations et les services personnalisés proposés par Business France (offre de la banque BPI France) ont aidé (ou dissuadé…) nombre de dirigeants de PME . Voir le site déjà cité : http://www.businessfrance.fr/

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