Nov 122010
 

L’avenir n’a jamais été aussi présent ! Comme le souligne Virginie Raisson, auteur d’un Atlas des Futurs du Monde, “il ne se passe pas une semaine sans que les médias se fassent l’écho de phénomènes dont les évolutions engagent l’avenir de la planète.” Bien entendu, ce désir de connaître l’avenir n’est pas neuf. Le fait remarquable est plutôt l’inquiétude qui le sous-tend.  Il y a peu, le futur était encore porteur d’espoir et synonyme de progrès. On pensait, un peu naïvement, que demain serait nécessairement mieux qu’aujourd’hui si bien que l’on se souciait assez peu des conséquences de nos actes. Aujourd’hui, les crises multiformes auxquels nous sommes confrontés – économiques, sociales, écologiques, etc. – ont réintroduit une dimension tragique dans nos existences. Si bien que nos visions de l’avenir ont parfois des relents apocalyptiques.

Ce constat appelle une réaction intellectuelle à laquelle souhaite contribuer l’ESC Grenoble en organisant le troisième Festival de géopolitique et de géoéconomie qui se tiendra en mars prochain sur le thème : “Un monde d’urgences : risques et défis géopolitiques d’aujourd’hui”. En effet, si le temps de l’insouciance est révolu, il faut aussi se souvenir que le pire n’est jamais sûr. C’est ce que permet la géopolitique en distinguant les parts respectives du déterminisme, de l’inertie et du volontarisme. L’atlas prospectif de Virginie Raisson a bien sûr été conçu dans cet esprit : “non pas pour prédire l’avenir mais pour donner à comprendre les mutations à l’oeuvre et pour inviter ensemble le débat et l’action”. Raison de plus pour découvrir les scénarios qu’elle nous propose.

Pas plus que les hypothèses proposées dans cet atlas ne prétendent décliner toutes les versions possibles de l’avenir, les thèmes qui y sont abordés ne suffisent à en dessiner le portrait. Un peu comme les extraits d’un film, ils invitent à en voir davantage. À leur tour, les scénarios qu’on trouvera dans ce livre proposent des esquisses du futur qu’il reviendra à chacun de préciser et à l’histoire de compléter”, prévient Virginie Raisson en introduction de son Atlas des Futurs du Monde.C’est ce qui fait tout l’intérêt de cet ouvrage : il ne prétend pas prédire l’avenir mais donne à le penser au moyen de quelques coups de projecteurs qui sont autant de jalons.

Le nouveau défi démographique :
un monde avec des vides et des pleins

Ceux consacrés aux questions démographiques démontrent combien les déterminismes peuvent, paradoxalement, se conjuguer avec une forte incertitude. En effet, en raison de phénomènes d’inertie, la démographie se plie assez aisément à la prospective à moyen terme. On peut donc estimer sans grand risque de se tromper que “d’ici à 2033, la population mondiale devrait augmenter de 1,56 milliard de personnes pour s’élever à 8,4 milliards d’habitants” avec une poursuite du phénomène de “grand basculement Nord-Sud”. En effet, “l’Asie rassemblera à elle seule 58 % de la population mondiale, soit 4,9 milliards d’individus” tandis que “l’Afrique devrait rapidement combler son retard” en rassemblant “près d’un cinquième de l’humanité en 2033 et même le quart en 2100.” En revanche, “à l’exception des États-Unis […], les pays développés – Russie comprise – se distinguent par le repli progressif de leur population.” Pour reprendre le titre de l’une des parties de l’ouvrage, les tendances démographiques dessinent un monde avec “des vides et des pleins”.

À données identiques, dynamiques divergentes :
l’impact des choix stratégiques

Toutefois, ces projections ne suffisent bien sûr pas à déterminer le destin de chaque pays ou zone géographique. En effet, chaque ensemble a son équation démographique et ses solutions pour la résoudre. “Ainsi, le déclin démographique pourrait conduire la Russie sur la voie de la fermeture et du repli nationaliste tandis que l’ouverture migratoire américaine devrait au contraire contribuer à maintenir les États-Unis dans leur capacité de grande puissance”, observent les auteurs de l’Atlas. Autre exemple – que nous avions nous-mêmes traité dans une précédente note d’analyse (voir CLES n°1 du 1er octobre 2010) : “Si la chute de la natalité pousse les Japonais à rebondir grâce à l’investissement et à l’innovation, elle pourrait fragiliser la cohésion politique d’une Europe encore dépourvue de solidarité sociale et de tout partage migratoire.” Au-delà des données recueillies, il faut donc aussi prendre en compte l’impact des choix de société et des stratégies mises en œuvre.

Quelques lignes de force se dégagent toutefois. “Sur le grand échiquier de la mondialisation, chaque pays place ses pions. Tandis que la Russie, le Brésil et le Canada avancent leurs richesses naturelles, l’Égypte, Singapour et le Panama jouent leur position stratégique. D’autres enfin, comme l’Inde et la Chine, profitent de leur avantage comparatif démographique.” Mais, ici encore, gare à toute simplification ! Les auteurs soulignent ainsi les stratégies divergentes des deux géants asiatiques que sont l’Inde et la Chine. Certes, pour l’un comme pour l’autre, la croissance économique est permise par le recours à une main-d’oeuvre pléthorique. Toutefois, leurs modèles de développement laissent aussi apparaître des différences remarquables : ainsi, “tandis que le marché intérieur indien absorbe près de 80 % des biens et des services produits sur le sous-continent, la Chine, elle, réalise 40 % de son PIB à l’export”. Autre différence : la classe moyenne représente 25 % des habitants en Inde contre seulement 7,5 % en Chine. Autant dire que les deux pays ne sont pas exposés aux mêmes défis ni aux mêmes risques.

La Chine au coeur de toutes les incertitudes
(et de tous les risques)

Le cas de la Chine est bien sûr celui qui excite le plus la curiosité en raison de son poids déterminant dans le système-monde. “Qu’il s’agisse des prix alimentaires, de consommation énergétique ou d’émission de gaz à effet de serre, tout ou presque ramène à la Chine”, écrit Virginie Raisson. De fait, sur un grand nombre de dossiers cruciaux pour l’avenir de la planète, c’est l’inconnue chinoise qui déterminera le résultat de l’équation.

Les auteurs soulignent ainsi que la Chine n’est pas seulement un champion de l’exportation. Pour alimenter sa dynamique de croissance, elle capte aussi une part croissante des ressources naturelles mondiales. Elle est déjà le second plus gros importateur mondial de pétrole et pourrait ne pas en rester là puisque sa demande énergétique croit plus vite encore que son PIB… Les experts prévoient ainsi que le parc automobile chinois devrait passer de 56 millions de véhicules aujourd’hui à environ 130 millions en 2030, ce qui obligerait le pays à importer plus de 80 % de sa consommation de brut. De même en matière alimentaire : “Contrainte de nourrir 20 % de la population mondiale avec seulement 7 % des terres cultivées, la Chine devra consacrer une part de plus en plus grande de ses réserves monétaires à l’achat de céréales”.

Une telle évolution n’est pas seulement source de tensions sur les cours mondiaux de l’énergie et des denrées alimentaires. Elle donnera un tour nouveau à la question de l’accès équitable de tous aux ressources naturelles et à celle de la “faim dans le monde” mais aussi aux enjeux environnementaux. Dès à présent, l’Empire du Milieu est le principal pays émetteur de gaz à effet de serre.

Refuser le fatalisme,
renouer avec un volontarisme humaniste

Est-ce à dire que la montée en puissance de la Chine rend par avance dérisoire tous les efforts que nous pourrions consentir pour établir un ordre international harmonieux et respectueux des équilibres économiques, sociaux et environnementaux ? Rien n’est moins sûr. D’abord parce que rien ne dit que l’avenir de la Chine puisse être extrapoler en prolongeant ses performances actuelles. Virginie Raisson et son équipe estiment ainsi que “parmi les scénarios possibles, celui d’une Chine vieille avant d’être riche et instable avant d’être puissante n’est pas le moins probable”. Ensuite parce que les tensions exercées par la croissance chinoise, notamment sur l’environnement, ne font que rendre plus incontournables la recherche de solutions globales, concertées et innovantes.

Virginie Raisson le souligne elle-même : “Ce n’est pas l’apocalypse qui nous guette mais une révolution de civilisation, dont la gestation prend la forme de crises économiques et écologiques. Cependant, pour qu’elles donnent naissance à un futur mieux-être, ces crises exigent encore que soient réunis état de conscience, humanisme et envie d’avenir.” Nul doute que la géopolitique, en éclairant avec réalisme la multitude des possibles, y contribue fortement. Face aux défis à venir, l’heure n’est pas au fatalisme, mais au volontarisme. Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry, “l’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’as pas à la prévoir, mais à le permettre.”

2033, Atlas des futurs du monde, par Virginie Raisson, Éditions Robert Laffont, 199 p., 30 €