Mar 202014
 

De l’altermondialisme à la « démondialisation »

Le salon des technologies de production Industrie Paris 2014, qui ouvre ses portes à la fin du mois, stipule que « l’avenir de l’industrie en France passe par la redynamisation, et le soutien aux relocalisations ».
Un sujet d’actualité qui renvoie au label « made in France » promu par le ministre du Redressement productif.

Le paradoxe de l’anglicisme n’est qu’apparent. Au-delà de son aspect marketing, il atteste de l’emprunt étranger de la formule. La « démondialisation » promue par Arnaud Montebourg dans son célèbre livre-manifeste de 2011, sous-titré « La République plus forte que la mondialisation », ne s’inspirait-elle pas déjà des travaux du sociologue philippin Warren Bello, en 2002 ?
Langue internationale, world culture… Le « made in France » apparaît ainsi comme l’expression d’une autre mondialisation, non comme le refus de toute mondialisation. Relève-t-il davantage de logiques politiques, économiques ou géopolitiques? Sans doute des trois. C’est pourquoi il est intéressant de relever les éléments-clés de cette notion et de les mettre en perspective, notamment à l’aune du dernier livre du ministre, La Bataille du Made in France (Flammarion, 2013).
La question du made in France est souvent perçue, ou présentée, comme un rejet de la mondialisation libérale. Une forme de crispation – forcément suspecte – sur la défense des intérêts nationaux. Voire une tentation néocolbertiste. Sa promotion par l’actuel ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, classé à l’aile gauche du gouvernement, confirmerait ces soupçons.

Une réaction contre la mondialisation « libérale »

Les plus farouches partisans du made in France sont convaincus que la mondialisation, dans ses formes actuelles, conduit à l’appauvrissement de la France. Pour deux raisons. La première: la fuite des capitaux à l’étranger, par le biais d’achats de produits « non-nationaux ». Une idée qui réactive le vieux fantasme hexagonal énoncé déjà en 1615 par Antoine de Montchrestien : « Les marchands étrangers sont comme des pompes qui tirent hors du royaume […] la pure substance de nos peuples ». La seconde raison tient à la disparition des emplois français, de production puis désormais de conception, dans le cadre de la division internationale du travail compte tenu des bas coûts de main-d’œuvre dans les pays émergents ou en voie de développement. Le coût horaire du travail dans l’industrie en France est en effet de 42,12 $ contre 2,01 $ aux Philippines (cf. note CLEs n°120, Géopolitique de la compétitivité, 12/12/2013).

S’y ajoute le poids des normes imposées à nos industriels : souvent nécessaires, elles sont rédhibitoires pour la compétitivité à l’international. En parlant de la mondialisation, dans son ouvrage de 2011, Arnaud Montebourg estime que « le bilan de la dernière décennie de mondialisation est un désastre pour ceux qui n’ont d’autres ressources que leur travail ». Il affirme qu’« elle a fabriqué des chômeurs au Nord et augmenté le nombre des quasi-esclaves au sud, détruit les ressources naturelles partout, donné le pouvoir aux financiers et retiré aux peuples les moyens qu’ils avaient conquis de s’autodéterminer ».

C’est pour éviter ces fléaux qu’il s’engage dans une promotion du made in France dès sa nomination au gouvernement, en 2012. Si la rhétorique de la « démondialisation », qui structurait son manifeste de 2011, s’efface alors, une campagne de promotion des produits fabriqués en France s’organise. Elle ne part pas de rien. Depuis 2010, Bercy a créé un Observatoire du fabriqué en Francez. Depuis, les initiatives se multiplient : premier « salon du made in France » en 2012, photographie du ministre en marinière Armor Lux, montre Herbelin au poignet et robot ménager Moulinex à la main (couverture du Parisien magazine du 19/10/2012), commande de 400 exemplaires du même modèle de marinière pour la « Fête de la rose » (18/09/2013)…

Cette promotion politique du made in France est clairement dirigée contre la « mondialisation libérale » et ses principaux acteurs : les pays émergents, qui pratiqueraient le « dumping social« , et les réseaux internationaux de la finance, qui l’encouragerait sous prétexte d’une « meilleure compétitivité possible ». Pour preuve, la question du made in France focalise l’opinion sur les secteurs en crise, et non sur le made in France qui profite à plein des mécanismes de la mondialisation – en premier lieu les industries du luxe et les produits alimentaires haut de gamme. Le débat porte donc davantage sur le « made in France en France », ce qui le place dans une logique centrée sur le marché national.

Une question hexagonale

Derrière les discours et postures politiques apparaît une constante de la géopolitique française : l’idée d’un marché national protégé, permettant l’enrichissement du pays. Ce qui renvoie au mercantilisme de Colbert, avec l’idée que le pays doit produire ce qu’il consomme pour éviter de perdre son « métal précieux« . Une vision divergente du capitalisme anglo-saxon qui fait le pari du libre-échange – même si cette césure est à relativiser car, face à la crise des années 1930, la Grande-Bretagne fut la première à se replier sur son marché intérieur (étendu il est vrai à son Empire colonial). Il apparaît cependant qu’à chaque grande crise de l’économie, les autorités françaises ont tenté de galvaniser l’opinion sur la question de la production nationale: la droite lors du choc pétrolier de 1973, la gauche en 1981 avec le recours aux nationalisations, notamment industrielles (Usinor, Sacilor, Rhône-Poulenc…).

Aujourd’hui encore, l’opinion française se montre particulièrement sensible à cette thématique. Dans un récent sondage, 95 % des Français considèrent le fait d’acheter français comme un acte citoyen, 65 % se disant prêt à la veille de Noël 2013 à favoriser les achats de produits français. Pourtant, si on y regarde de plus près, on ne sait guère, en France, ce qu’est vraiment le made in France. La notion est en effet fondée sur des normes, relevant de l’appareil législatif, mais aussi des réglementations des douanes, de la DGCCRF… D’où de multiples possibilités pour caractériser cette notion.

S’agit-il de prendre en compte la transformation de matières premières françaises ? Ou, à l’instar de l’Allemagne, le seul assemblage ? Cette absence de lisibilité est liée pour partie au fait que le made in France n’est pas reconnu ou pris en compte par certains acteurs économiques majeurs. L’OMC, par exemple, ne préconise que l’affichage des marques commerciales de fabrique et des normes internationales de standardisation. Quant à l’Union européenne, elle s’en remet à la mention du « fabriqué en Europe »

Le « made in France », une bonne affaire pour la France ?

Officiellement, le made in France se veut une politique de valorisation des activités de production et d’assemblage en France. Elle entend répondre au défi du maintien des emplois industriels, si possible dans leurs régions d’origine (cf. CLEs n°83, secteurs stratégiques et mondialisation, 18/10/2012). C’est l’un des aspects du combat pour les hauts-fourneaux de Florange.
La défense du « finalized in France » l’emporte donc sur celle du « designed in France » – qui soulignerait pourtant la possibilité d’un réel smart power français. On peut certes se féliciter de belles réussites dans le « finalized in France ». Dans le secteur automobile par exemple, en 2013, 69 % des composants des voitures françaises fabriquées en France étaient de production locale. Et ces mêmes voitures représentaient 48,7 % des véhicules neufs vendus dans l’Hexagone.

De même dans le secteur, très large, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, puisque l’on estime, par exemple, que seulement 6,5 % de la valeur d’un téléphone portable vient de son assemblage en Chine. Ce chiffre est révélateur d’un fait majeur. C’est le poids des services – amont ou aval – qui est déterminant. Or ce secteur est fort peu mis en avant dans les discours sur le made in France.
Une étude récente du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) confirme que la rhétorique du made in France concerne des secteurs économiques à faible valeur ajoutée, fortement concurrencés à l’international. Appliquer la préférence au made in France sur ces produits déboucherait sur une hausse des dépenses des ménages évaluée à quelque 300 € par mois.

Ce qui conduirait, en l’état actuel de la dynamique de pouvoir d’achat, à un manque à gagner pour les secteurs des services, pourtant plus compétitifs, comme ceux des loisirs. Il est vrai que la valorisation de ces derniers serait ici paradoxale, puisqu’il impliquerait d’entériner les principes de la nouvelle division économique du travail que l’approche par le made in France entend précisément contester…

Un autre écueil tient à la trop faible prise en compte de la R&D, ce qui constitue il est vrai un vice national. Souvenons-nous du Minitel ! La France a été le premier pays au monde à développer, au début des années 1980, un système finalement très proche du futur Internet. Pourtant, l’objet et ses services n’ayant pas évolué, le Minitel est passé en quelques années du statut de produit high-tech à celui de dinosaure. Le Bi-Bop, premier téléphone mobile, connut le même sort. Il y avait pourtant là matière à proposer des produits à fort potentiel sur la scène mondiale. Enfin, si le made in France devait s’accompagner, en toute logique, d’une politique de nature protectionniste, il pourrait placer le pays dans une situation de relative fermeture. Il obérerait l’adaptation au marché mondial, les entreprises se focalisant sur la satisfaction du marché national. Or celui-ci n’est pas suffisamment large, et solvable, pour qu’une entreprise n’innove que pour lui. Et le marché français est trop ouvert aujourd’hui sur l’étranger pour que les consommateurs ne souhaitent pas posséder des produits à la pointe de l’innovation… donc en grande partie étrangers!

La réponse à ces écueils réside sans doute dans la qualité des produits, plus chers mais plus durables, les questions environnementales, à travers la réduction du coût-carbone, ou encore l’équilibre des territoires, par la valorisation des produits du terroir. Il n’en demeure pas moins que les consommateurs, au-delà de l’affirmation croissante d’un souci « localiste » ou « patriote », restent guidés par des calculs essentiellement économiques.
Pour preuve : on a enregistré un recul de 8 % des achats made in France à Noël dernier… Il reste encore loin de la coupe aux lèvres !

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