Juin 202013
 

Une industrie de puissance au service de la compétitivité des États

Rendez-vous international incontournable de l’aéronautique et de l’espace, la 50e édition du Salon du Bourget va s’achever dans un climat optimiste. Bousculé par la crise de 2008, le secteur aéronautique a renoué avec les commandes dès 2011 – dans un marché mondial d’environ 265 milliards de dollars. Il affiche depuis lors des perspectives à la hausse.

Certes, son segment Défense pâtit de la réduction des budgets militaires des principaux pays occidentaux. Mais « l’industrie aéronautique demeure un secteur en pleine expansion qui sait se renouveler, évoluer et faire face aux nouveaux défis qui l’attendent », explique Émeric d’Arcimoles, commissaire général du salon 2013. Contrôle de l’espace aérien, sécurité et sûreté, développement durable, formation, innovation,… sont autant d’enjeux auxquels doivent répondre tant les acteurs institutionnels que privés. Surtout, l’industrie aéronautique civile évolue dans un environnement hautement concurrentiel et largement mondialisé où la guerre fait rage. Quand bien même ne serait-elle qu’économique.

Incontestablement, l’aéronautique mondiale ne connaît pas la crise. Ainsi, le chiffre d’affaires de l’industrie aéronautique française a progressé de 16 % entre 2011 et 2012, dont près de 75 % réalisés à l’export. Les grandes compagnies comme les petites entreprises du secteur recrutent sans discontinuer avec pas moins de 13000 embauches en 2011 et plus de 15000 en 2012. Des tendances similaires sont observées dans l’industrie aéronautique à l’échelle planétaire.

Un secteur qui conjugue croissance et nouveaux marchés

Et dans les années à venir, le trafic aérien mondial devrait augmenter de 5 % par an en moyenne. L’Organisation de l’aviation civile internationale prévoit que le nombre de passagers aériens devrait doubler à l’horizon 2030. Cette « progression devrait être trois fois plus rapide dans les pays émergents. Dans le cas de la Chine et de l’Inde, les prévisions d’Airbus et de Boeing tablent même sur une multiplication par 4,6 du trafic passagers entre 2011 et 2031 », rapporte Bruno Trévidic, journaliste chargé de l’aéronautique aux Échos. Entre autres facteurs explicatifs: des « travailleurs nomades » et migrants internationaux de plus en plus nombreux, l’essor du tourisme mondial, la montée en puissance des classes moyennes dans les pays émergents, l’explosion démographique ou encore l’augmentation de la population urbaine. Or, « rien ne convient mieux au développement du transport aérien qu’une mégapole dotée d’un grand hub aéroportuaire ». Pour faire face à cette demande, les compagnies aériennes renouvellent leur flotte et multiplient les commandes. Ces grands contrats permettent de surcroît aux constructeurs qui en bénéficient de se mettre à l’abri des aléas des cycles conjoncturels. Dans le domaine des gros porteurs, les commandes signées avant la crise économique ont ainsi permis à l’américain Boeing et à l’européen Airbus de garantir respectivement 7 et 8 années de production et de traverser sans trop de heurts la mauvaise passe de 2009-2010.

Le secteur aéronautique bénéficie également du décollage de nouveaux marchés, moins traditionnels. Ainsi, celui des hélicoptères d’affaires enregistre de belles performances dans les pays émergents où ce mode de transport n’est pas jugé ostentatoire. Pour le conquérir, les constructeurs s’associent aux grands noms du luxe. Eurocopter travaille depuis peu avec Hermès et Mercedes, et Agusta Westland avec Karl Lagerfeld. Mais ce sont les drones civils qui représentent probablement le marché le plus novateur. D’abord utilisé à des fins de reconnaissance militaire, puis de combat et enfin d’applications civiles, « l’aéronef sans pilote » tend à suivre la même évolution d’usage que l’avion a ses débuts. Ce segment « va connaître, après des débuts timides il y a deux décennies, une forte croissance dans les années à venir », prévient la revue Le Fana de l’Aviation dans un numéro spécial consacré au Bourget 2013. Des missions de police à la surveillance d’infrastructures industrielles ou de transport terrestre, en passant par l’agriculture de précision, la liste des services offerts aujourd’hui par les drones civils ne cesse de s’élargir. Surtout, ce type d’aé- ronef autorise des coûts d’exploitation moindres que l’avion ou l’hélicoptère. « Les prévisions de développement pour la décennie à venir tablent sur un doublement du marché ».

Une industrie sous contrainte et fortement concurrentielle

Depuis plusieurs années, les avionneurs et les motoristes doivent innover et intégrer de nouvelles technologies pour répondre aux exigences imposées tant par les compagnies aériennes de fret et de passagers que par de nouvelles législations. Le besoin de réduire les coûts d’exploitation des opérateurs aériens et les contraintes environnementales imposent « des avions à l’aérodynamisme toujours plus performant, dotés d’un poids réduit et de moteurs ayant une consommation nettement diminuée [et moins bruyants]. Ces enjeux poussent l’arrivée d’avions nouveaux et révolutionnaires qui conduisent à l’accroissement des risques techniques, d’où les nombreux retards sur les nouveaux programmes de Boeing ou d’Airbus et les problématiques rencontrées sur les nouvelles motorisations », analyse une étude de marché réalisée par Eurostaf. Plus inquiétant, le coût des innovations « tend à augmenter les risques commerciaux dans la mesure où le nombre d’avions nécessaires pour amortir les programmes est plus élevé (450 appareils pour l’ A380 par exemple) ». Enfin, l’industrie aéronautique européenne est fortement pénalisée avec une production majoritairement réalisée en Europe alors que les ventes sont négociées en dollar. Louis Gallois, lorsqu’il était à la tête d’EADS, avait amorcé un début de délocalisation hors de la zone euro. Il n’empêche que, pour des raisons politiques, notamment s’agissant de la maîtrise des technologies clefs et du maintien des compétences, les délocalisations ne peuvent concerner que la production de pièces simples – au moins pour l’instant.

Jusqu’à présent, le marché est largement dominé par Boeing et Airbus. Pour combien de temps ? « Dans dix ou quinze ans tout au plus, [ce] duopole aura vécu. Voulant leur part du gâteau, Chinois, Russes, Japonais et Canadiens se lancent sur le marché des avions commerciaux », prévenait déjà L’Usine Nouvelle en 2009. Pour l’heure, seul le Canadien Bombardier, avec son Cseries qui inaugurera son premier vol en juin 2013, est en mesure de « challenger » les deux supers grands. Les versions concurrentes proposées par les sociétés russe Irkout et chinoise Comac n’entreront pas en service avant 2016. Seront-elles cependant capables de rivaliser avec les leaders du marché en termes de technologies et de fiabilité ? Selon l’étude d’Eurostaf déjà citée, « tout l’enjeu pour les acteurs historiques est de conserver une longueur d’avance, grâce à l’innovation technologique, sur les nouvelles nations aéronautiques ».

Quel ordre de bataille pour préserver l’industrie française?

Comme l’a rappelé récemment le ministre délégué chargé des Transports, Frédéric Cuvillier, le secteur aéronautique « est stratégique pour l’économie et la souveraineté de la France. Il compte dans ses rangs quelques-uns des leaders mondiaux de l’aéronautique civile ». Le gouvernement a donc proposé en février dernier une politique de soutien en trois axes : poursuite du versement de l’avance remboursable de 1,4 milliard d’euros sur la période 2009-2017 pour l’A350 d’Airbus et projet d’un mécanisme similaire pour l’hélicoptère X6 d’Eurocopter; mise en place de mesures fiscales et financières particulières pour les compagnies aériennes afin de restaurer leur compétitivité; modernisation des aéroports d’intérêt national. Si l’effort est louable, suffit-il à répondre aux attentes de l’industrie et aux défis auxquels elle doit faire face?

Situation paradoxale alors que le taux de chômage atteint des sommets, le tissu industriel aéronautique rencontre depuis des années des difficultés à embaucher. La filière peine à recruter de jeunes diplômés, trop peu d’étudiants s’orientant vers les métiers de l’aéronautique. Malgré le financement direct par les industriels d’une partie de la formation, la pénurie perdure. L’État s’était engagé dans les années 2000 à rétablir cette situation, sans succès et sans réviser depuis sa stratégie. Surtout, la France reste encore bien trop timide dans l’affirmation de la protection et le soutien de son secteur aéronautique, alors que « certains États se sont sans conteste dotés d’une authentique stratégie de puissance économique en […] élaborant des dispositifs de soutien des entreprises à l’export et de protection du patrimoine technologique et industriel, à travers des politiques dites de sécurité économique » (voir la note CLES n°83, 18/10/2012). Budget de la défense en berne oblige, l’industrie aéronautique et spatiale française va pourtant devoir compter de plus en plus sur son volet civil et encore un peu plus sur l’export pour assurer sa croissance. Bref, elle va devoir se battre pour rester concurrentielle au sein de la compétition mondiale.

Pour l’analyste Ronan Choyer, l’État français a ici un rôle à jouer, principalement à travers deux outils : l’adaptation de la politique de concurrence de l’Union européenne et la mise en place d’une véritable politique industrielle globale. Deux axes pour le moins ardus à exploiter ! Le premier passe par une nécessaire entente avec nos partenaires, le second renvoie à une créativité politique qui nous fait dé- faut depuis longtemps. « C’est l’esprit qui mène le monde et non l’intelligence », relevait déjà l’écrivain-aviateur Antoine de Saint-Exupéry. C’est d’autant plus vrai à l’heure de l’affrontement des volontés économiques.

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