Science et conscience des temps présents
Guerres et rivalités exacerbées au Proche-Orient, effondrement des cours du pétrole, réveil jihadiste et attentats terroristes en Europe, essoufflement économique chinois et dévissage des bourses mondiales…Jamais sans doute la géopolitique n’a paru avoir une influence aussi évidente sur le cours des événements qui affectent non seulement la vie des États, mais aussi celle des acteurs économiques et de tous les citoyens.
Dans un monde à la fois ouvert, digital et complexe, où les équilibres semblent toujours plus précaires, il est impératif de chercher à se prémunir des risques et à saisir les opportunités qui, malgré tout, se présentent.
La géopolitique permettant la compréhension du monde tel qu’il est, sans idées reçues ni vaines illusions, elle vise à l’action et à l’engagement. Matière vivante par excellence, elle n’a pas vocation prédictive, mais permet d’éclairer au mieux la décision.
C’est donc un outil devenu indispensable aux managers d’aujourd’hui et plus encore de demain. Une conviction qui est au cœur de l’ADN de Grenoble Ecole de Management depuis bientôt 10 ans.
Par communiqué en date du 11/01/2016, le groupe Air France-KLM estime à 70 millions d’euros l’impact des attentats islamistes de Paris sur son chiffre d’affaires du mois de décembre. Sur le coup, au mois de novembre, la compagnie avait évalué cet impact à 50 millions d’euros.
La fuite des touristes n’a donc pas affecté seulement les secteurs de la culture, des spectacles et loisirs, ou encore de l’hôtellerie-restauration. Globalement, l’Insee estime le contrecoup des attentats sur l’économie française à 0,1 point de croissance sur le seul 4e trimestre 2015.
À moyen terme, les conséquences sont plus difficilement mesurables. Mais la confiance, moteur éminent de toute reprise économique, est d’ores et déjà touchée : 58 % des Français se disent en effet pessimistes sur l’avenir, selon un sondage Ifop du 10/01/2016. Une hausse de 9 points en un an.
2015-2016, années décisives
Le climat économique reste un excellent thermomètre de la situation politique. Qui pourrait d’ailleurs nier aujourd’hui l’influence de celle-ci sur l’économie? Et donc l’influence de la géopolitique sur une économie désormais mondiale?
Ainsi en Europe, où les perspectives pourtant initialement favorables, se voient remises en cause pour 2016 : « L’ébranlement de Schengen par la crise des réfugiés, les bruits de plus en plus forts de ‘Brexit’ venant de Londres, et une réforme des retraites potentiellement explosive en Grèce, n’incitent pas les nanciers du Vieux continent à cultiver l’optimisme » (Les Echos, 09/01/2016).
Les résultats de ces faits éminemment géopolitiques sont concrets: les bourses dévissent, le retour de la croissance s’éloigne, et avec lui la perspective d’une résorption même partielle du chômage.
« La période actuelle favorise le repli sur le marché domestique, éventuellement prolongé par la promotion de regroupements préférentiels, relève Patrick Allard pour le Diploweb (09/01/2016). Les exemples abondent.
À l’ initiative de pays avancés : T TP en Asie-Paci que, T TIP entre les Etats-Unis (EU) et l’ Union européenne (UE) ; même l’ UE, région phare de l’intégration, semble tentée par le remodelage (Brexit, Grexit, ré exions sur des groupes pionniers restreints mais plus soudés à l’intérieur de la zone euro – ZE). À l’initiative de pays émergents aussi : Banque des Brics, AIIB, Route de la soie, Union eurasiatique, etc. »
Les cartes sont rebattues rapidement et, plus que jamais, la mondialisation semble à un tournant.
« On sait que l’intensification des relations économiques n’a pas suffi dans le passé à contenir les tensions politiques et à prévenir les conflits armés entre nations. Il reste à espérer que les nouveaux dérèglements de l’économie mondiale ne joueront pas comme facteurs d’aggravation des tensions géopolitiques ».
Car au-delà, c’est l’histoire qui semble s’accélérer, et le réel reprendre ses droits. Bien loin des rêves de « village global » planétaire et de l’extension sans limite de la « démocratie de marché », qui constituaient à la fois le carburant et l’horizon indépassable de la « mondialisation heureuse » (Alain Minc, 1999).
Le phénomène protéiforme « Daesh » (cf. notes CLES n°163, « L’Etat islamique, laboratoire du siècle ? », 11/06/2015) n’est pas accidentel, ni isolé. Partout, sous des formes diverses, s’observent le retour des réflexes archaïques, la remise en cause de l’ancien monde dominé par l’« Occident », l’invention de nouveaux modèles économiques aussi.
La géopolitique, « culture générale » du monde moderne
Étude des rapports de force dans l’espace et le temps long, la géopolitique est une grille d’analyse particulièrement opérative pour temps chaotiques. Sa compréhension est ainsi devenue l’une des principales clés de la prise de décision des managers et des entreprises.
D’autant plus que si l’histoire s’accélère, l’innovation aussi, entretenant « cette phase historique de destruction-création schumpéterienne » que décrit Nicolas Barré dans Les Echos ( Le monde en 2016, 04/01/2016). Ce qui ouvre bien des possibles, où le pire n’est bien sûr jamais certain.
Comprendre et expliquer le monde, ses constantes et changements toujours à l’œuvre, permet d’éclairer les choix stratégiques, non de prévoir l’avenir.
C’est aussi ce que nous enseigne la géopolitique, qui n’est en rien une science prédictive, mais « une science des probabilités », plus humble, ainsi que le rappelle Pascal Gauchon, directeur de la revue Conflits (éditorial du n°8, 1er trimestre 2016) : « Sa marge d’incertitude correspond très exactement à la liberté que conserve le politique. ‘Géo’, elle part du temps long de la planète et de l’humanité ; ‘politique’, elle dépend de ceux qui détiennent le pouvoir, de leurs choix changeants, de la façon dont ils réagissent à l’imprévu ».
Dès lors, « la plus belle géopolitique du monde ne peut donner que ce qu’elle a ».
Mais c’est déjà beaucoup !
La géopolitique au cœur de l’ADN de Grenoble Ecole de Management
Dans des systèmes dilatés à l’échelle de la planète, les étudiants doivent savoir comment agir rapidement et avec responsabilité face à des situations inédites, à l’altérité, aux « frottements » (Clausewitz) et aux potentialités qui caractérisent l’interculturel.
C’est pourquoi, dès 2007, Grenoble Ecole de Management (GEM) a placé la géopolitique au cœur de sa stratégie et de ses formations.
L’objectif étant d’offrir aux décideurs et futurs acteurs économiques les outils d’aide à la décision nécessaires pour naviguer dans un environnement au sein duquel les risques et opportunités évoluent sans cesse.
La géopolitique est ainsi devenue un cours de tronc commun à part entière pour les trois années du Programme Grande Ecole. Ces cours sont dans un premier temps centrés sur l’approche en termes de conflictualité, suite à la déstabilisation des rapports mondiaux après la n de la guerre froide. Ils portent sur les concepts et tentent de les appliquer à deux régions particulières : le Proche-Orient et « l’étranger proche » de la Russie.
Cours, conférences et travaux dirigés s’intéressent autant aux aspects géographiques et économiques qu’aux aspects politiques (internes et externes, avec le rôle de ces pays ou zones au plan mondial, et les enjeux internationaux qui leur sont liés).
En 2e et 3e année, l’enseignement a pour objectif de permettre aux étudiants d’acquérir des connaissances à caractère géopolitique et économique sur certaines zones et pays du monde en émergence ou à risque (Brésil, Russie, Chine, Méditerranée, Afrique, Afghanistan et Pakistan), ainsi qu’à maîtriser la globalisation de l’économie (États nationaux, organisations internationales et ONG).
Toutes ces actions sont structurées autour du Centre d’Etudes en Géopolitique et Gouvernance (CEGG), organisateur du festival annuel de Grenoble au succès croissant (3 000 participants en 2015 et environ 4 000 connexions dans le monde pour suivre les conférences en direct sur le site de l’événement), et qui diffuse les présentes notes CLES.
Cette 175e édition atteste de la viabilité de notre projet éditorial, auquel sont abonnés aujourd’hui près de 10000 internautes et qui bénéficie d’une très forte reconnaissance sur les réseaux sociaux. Avec ses hors-série dédiés à l’interview de personnalités, cet outil d’analyse géopolitique se veut également une plateforme de ré exion et de connexion de réseaux.
En témoignent les partenariats construits au fil du temps autour de ces questions, notamment avec le Diploweb, les Presses universitaires de France (Puf), l’IRIS et l’EISTI, la revue Conflits et Radio France International (RFI), l’Association des Professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC), et bien sûr le monde de l’entreprise (EDF, groupe Axyntis, CCI de Grenoble, etc.).
À Grenoble Ecole de Management, nous considérons la géopolitique comme LA culture générale moderne. Celle qui permettra aux managers de décrypter la complexité du monde et d’y agir durablement, avec toute l’intelligence – des hommes, des situations et des cultures – requise.
Ce choix de GEM, novateur il y a bientôt 10 ans, se trouve conforté par la réalité des temps présents. Je souhaite aux lecteurs des notes CLES une belle année 2016 de défis à relever et vous donne rendez-vous à Grenoble en mars, pour le 8e festival de géopolitique et gouvernance.
Pour aller plus loin:
- 8e Festival de géopolitique et gouvernance de Grenoble du 16 au 19 mars 2016 sur le thème « Afrique, Afriques », www.festivalgeopolitique.com, (ouverture du site et inscription les 25/01/2016).