Sep 202012
 
L’agenda géopolitique est particulièrement dense en cette rentrée 2012. Et il rejoint pour une grande part des enjeux de nature économique. De Washington à Pékin, d’Athènes à Francfort, de Paris à Berlin et Kinshasa, des décisions en cours ou à venir s’enracinent dans les préoccupations du moment. Comment sortir de la crise économique mondiale ? Comment retrouver ou accroître ses marges de manœuvre ? Comment réduire ses dettes ou investir dans des territoires d’avenir, sur des marchés porteurs ? On le voit, ces questions concernent autant les Etats que les entreprises. Diplomatie d’Etat, diplomatie économique et diplomatie d’entreprise sont d’ailleurs de plus en plus liées. En attestent notamment le discours de Laurent Fabius en conclusion de la XXe Conférence des Ambassadeurs, fin août, et l’ouvrage de l’Institut Choiseul sur « les diplomates d’entreprises », à paraître en octobre. Cette actualité confirme l’importance croissante de l’analyse géopolitique pour les décideurs et managers d’entreprise.

La période qui s’ouvre est cruciale, en premier lieu, pour les deux super-grands. Le 6 novembre, l’élection présidentielle américaine fi xera pour 4 ans le cap de la politique de Washington. Dans la foulée, le XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois se réunira pour désigner la nouvelle équipe dirigeante du pays, où des factions rivales ne cessent de se déchirer. Or, l’on sait l’impact des relations sinoaméricaines sur les échanges économiques et financiers à l’échelle de la planète, donc sur l’avenir du monde. Un monde plus que jamais en mouvement. Mais où la zone euro semble chaque jour décrocher davantage, malgré les efforts de Berlin – et tout récemment de Karlsruhe – pour maintenir la monnaie unique à flot. Tous les responsables politiques et économiques suivent ces événements, ainsi que les sommets à venir du G8 et du G20, avec la plus grande attention. L’enjeu ? Intégrer la géopolitique au pilotage stratégique des organisations – qu’il s’agisse d’Etats ou d’entreprises. Dans ce contexte, quels apports en attendre pour la France et les entreprises françaises ? Comment mieux concilier intérêts géopolitiques et économiques, mais aussi intérêts publics et privés ?

Le Quai d’Orsay, nouveau « ministère des entreprises »

Le 28 août dernier, la XXe conférence annuelle des ambassadeurs a été l’occasion de préciser les principaux axes de la politique étrangère du nouveau quinquennat. Le président de la République y a livré un discours « propre mais modeste », selon Pascal Boniface, directeur de l’IRIS. L’heure n’est plus aux flamboyantes envolées, voire aux aventures incertaines (Libye), de son prédécesseur. François Hollande a notamment souhaité le renforcement des relations avec certaines puissances économiques délaissées par Nicolas Sarkozy : Japon, Brésil, Turquie ou encore Mexique. Il s’est également inquiété du trafic de drogue, élevé au rang de « défi stratégique ». Mû par des intérêts financiers colossaux, il est vrai que « le marché mondial annuel des stupéfiants est estimé par l’ONU à quelque 320 milliards de dollars » et que « des ‘narco-guerres’ ont provoqué 50 000 homicides entre Mexique et Amérique centrale ces cinq dernières années », rappelle le criminologue Xavier Raufer dans Le nouvel Economiste (18/06/2012).
Mais c’est le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui a innové en fixant à son administration un objectif ambitieux : devenir, aussi, « le ministère des entreprises ». Arguant de la nécessité pour la France d’être réellement une « puissance d’influence », dotée d’une « diplomatie économique » à l’instar de ses principaux concurrents et partenaires, M. Fabius entend faire des ambassadeurs « clairement les chefs de file de notre action économique extérieure qui doit être une priorité majeure ». Plusieurs mesures techniques illustrent cette nouvelle posture, comme la création au Quai d’Orsay d’une direction dédiée au soutien des entreprises et aux affaires économiques.
Plus généralement, les positions de la France au sein des instances internationales concernées (UE, OMC, G8 et G20, FMI, OCDE) seront guidées par une question rarement posée avec une telle simplicité : « Est-ce bon pour nos entreprises, pour nos emplois, pour le redressement de la France ? » Ce lien si étroit entre politique étrangère, économie et entreprises puise sa source dans une certitude : « L’influence de la France passe par son redressement économique ». Dès lors, l’administration est appelée à renforcer son « réflexe économique », et les entreprises leur « réflexe diplomatie ».

Une « diplomatie francophone » au service de l’économie »

La francophonie est aussi un enjeu économique », assure encore Laurent Fabius. Si 220 millions de personnes parlent le français dans le monde, ils pourraient être de 700 à 750 millions vers 2050, dont 80 % en Afrique. Or le continent regorge de matières premières et connaît depuis une décennie une croissance moyenne de 5 % par an. Ce n’est pas un hasard si la Chine et les Etats-Unis s’y intéressent tellement ! Le gouvernement français entend reprendre l’initiative sur ce terrain en faisant de la francophonie une arme économique : « Un partenariat pour la croissance est nécessaire afin que le français soit également un outil au service de l’économie dans les échanges nord-sud et sud-sud. » Les services de l’Etat sont ainsi invités à « inciter les entreprises à exploiter les liens que crée la langue ». Le hasard du calendrier, et de la géographie, veut que le prochain Sommet de la francophonie se tienne en octobre à Kinshasa, au risque de paraître cautionner le régime de Joseph Kabila, connu pour son respect peu scrupuleux des règles démocratiques et plus généralement de l’Etat de droit. Mais la situation n’est pas si simple. Car la République démocratique du Congo est surtout déstabilisée, depuis près de deux décennies, par les visées du Rwanda voisin sur la province du Kivu, riche en minerais. Ainsi cet immense pays, au centre du continent, n’en finit-il pas de sombrer, nous rappelant que l’Afrique reste pour une grande part chaotique. Pour être porteurs, nombre de marchés y sont également instables, voire dangereux.
Les entreprises françaises qui y sont implantées en savent quelque chose. L’analyse géopolitique est pour elles une obligation vitale ! Après les entreprises stratèges, les entreprises diplomates ? Dans un monde en perpétuelle transformation, l’entreprise fait face à des environnements toujours plus complexes et incertains. Les dirigeants doivent donc comprendre puis agir en direction de ces environnements multiples pour piloter efficacement leur stratégie, c’est-à-dire développer la performance et la compétitivité de leur société. C’est tout l’enjeu de la « diplomatie d’entreprise », ou Public Affairs, qui s’impose peu à peu comme un outil de pilotage de l’entreprise au sein de son écosystème. En témoigne l’ouvrage collectif que publie le mois prochain le directeur général de l’Institut Choiseul, Didier Lucas. Dans la lignée des travaux initiés par Christian Harbulot (Ecole de guerre économique), l’entreprise est contrainte d’occuper « trois échiquiers » : celui de son marché bien sûr (« l’échiquier concurrentiel »), celui des institutions qui ont un pouvoir de norme ou de régulation sur ses activités (« l’échiquier géoéconomique »), celui de l’opinion publique enfi n (« l’échiquier de la société civile »). Les acteurs économiques maîtrisent en général assez bien leur environnement concurrentiel et institutionnel immédiat. Ils sont en revanche peu familiers de l’analyse géoéconomique et surtout de l’environnement culturel et sociétal où se déploient, au sein de la société civile, les débats d’idées qui auront un impact direct sur leurs activités.
C’est pourquoi apparaissent les « diplomates d’entreprise ». Directement rattachés à la présidence ou à la direction générale, ils ont en charge les affaires publiques – ou relations institutionnelles – qui peuvent être considérées selon Claude Revel comme le soft power des entreprises : « C’est la même notion d’influence à long terme, avec une cohérence absolue entre affichage et réalité. » Cette fonction stratégique suppose une capacité d’anticipation et une connaissance aiguë de l’environnement – en particulier géopolitique lorsque l’entreprise se projette à l’international. Les environnements hautement compétitifs générant une instabilité des pouvoirs, le succès réside dans la rapidité de l’analyse puis de la décision. Car la diplomatie, d’Etat, économique ou d’entreprise, exige d’être toujours en éveil, curieux, réactif, inventif. Comme l’indiquait déjà Thucydide il y a plus de 25 siècles, « il faut choisir : se reposer ou être libre ». Une belle maxime pour une rentrée énergique !

 

Pour aller plus loin :
  • Politique étrangère : Hollande rend une copie propre mais modeste, par Pascal Boniface, 28/08/2012, www.iris-france.org ;
  • XXe Conférence des ambassadeurs. Conclusions du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, Ministère des affaires étrangères, 29/08/2011, www.diplomatie.gouv.fr ; Les diplomates d’entreprise.
  • Pouvoirs, réseaux, influence, par Didier Lucas (dir.), Choiseul, 240 p., 24 € (à paraître en octobre 2012).