Juin 232016
 

Un été entre Euro et JO

« Malraux avait tort. Le XXIe siècle ne sera pas religieux avant tout : il sera sportif. Nous sommes entrés dans l’ère du sport mondialisé. Le sport est devenu le nouveau terrain d’affrontement – pacifique et régulé – des États.

C’est la façon la plus visible de montrer le drapeau, d’être un point sur la carte du monde et d’exister aux yeux de tous. » Pascal Boniface, dans Géopolitique du sport, donne le ton de l’été 2016. Fort à propos, la revue Conflits s’apprête à publier un dossier sur ce sujet.

Entre le Championnat d’Europe de football, organisé par la France du 10 juin au 10 juillet et les Jeux olympiques de Rio au Brésil, du 5 au 21 août, des milliards de spectateurs sont invités à vibrer en soutenant les athlètes d’une nation contre ceux d’une autre.

Le formidable marché que cela représente intéresse en premier lieu les acteurs économiques. Mais ils doivent prendre en compte l’aspect émotionnel, irrationnel de la compétition sportive. Ces grands rendez-vous sportifs sont continentaux ou planétaires.

Mais ils ont pour ressort l’attachement à une certaine identité nationale. Les événements sportifs de l’été 2016 sont-ils dès lors un bon révélateur des rapports entre les puissances ?

Les grands événements sportifs constituent un moyen pour les nations d’affirmer autrement leur puissance. C’est ce que nous avions analysé, avec Pascal Boniface, dans une précédente livraison (note CLES n°135, Géopolitique du football, 12/06/2014). L’actualité estivale permet de remettre ce thème en perspective.

L’éternel retour des nations ?

Jamais l’Europe n’est aussi large qu’au foot. Elle intègre sans ciller la Russie, mais aussi la Turquie et Israël. Et entre la précédente édition de l’Euro et celle-ci, le nombre de participants a été élargi de 16 à 24 pays.

Certains États européens sont présents pour la première fois dans une compétition internationale de football : l’Islande et l’Albanie. La Slovaquie participe pour la première fois à l’Euro.

Enfin, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles deviennent également acteurs du ballon rond sur la scène internationale. Une revanche des « petits » et « nouveaux » pays d’Europe ?

En matière de qualifications, cette impression est plus nette encore. Pour la première fois, l’Ukraine et l’Autriche se sont qualifiées sur le terrain et non pas en organisant la compétition.

À l’inverse, ni les Pays-Bas ni la Grèce, championne en 2004, n’ont passé les éliminatoires.

Les Jeux olympiques, ouverts par définition à tous les pays, sont plus consensuels, constituant une sorte de transposition sportive de l’ONU.

Une agora qui permet d’afficher une indépendance fraîchement acquise : en 2016, Kosovo et Soudan du Sud participent ainsi pour la première fois à des JO. Mais une agora dont on peut être également exclu.

En mai 2016, la question du dopage de certains athlètes russes lors de Jeux olympiques d’hiver de Sotchi (2014) et celle de la conformité des tests pratiqués au Kenya ont fait peser une menace sérieuse sur la participation de ces deux pays. Aux JO comme à l’Euro, ce sont les nations qui sont sur le terrain.

Dans le domaine du football, un grand reclassement s’opère. Alors que les clubs constituent un monde de mercenariat, liés au mercato et à la finance internationale (on pourra penser à la présence du Qatar au PSG et à celle, plus récente, de la Chine à l’Inter de Milan), l’Euro rassemble les joueurs par nations.

La question du rapport entre identité nationale, compétition sportive et mondialisation se pose alors, comme l’a souligné la controverse sur la composition de la sélection française.

La violence de certains groupes de supporters rappelle cette dimension passionnelle et les excès qu’elle génère parfois. Elles s’appuient, mais pas systématiquement, sur des rivalités historiques.

Parmi les « matchs sensibles », celui opposant la Croatie à la Turquie n’a finalement pas provoqué d’affrontements. Contrairement à la rencontre entre Russie et Angleterre. La « géographie de la haine » qu’évoque Didier Giorgini dans son article sur le hooliganisme dans la revue Conflits de cet été est parfois capricieuse !

Certains observateurs relativisent d’ailleurs beaucoup les effets géopolitiques des événements sportifs.

Ainsi de Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté : « Il ne faut pas donner trop d’importance au football […] Oui, c’est un lieu de rencontres et sans doute de découverte de l’autre mais il s’agit d’une émotion éphémère. Le ballon rond ne fait pas avancer la géopolitique » (entretien à La Croix, 03/06/2016).

Le sport apparaît en effet davantage comme un révélateur des rapports de force que comme un moyen de les modifier. Ce n’est pas parce qu’elle participe à l’Euro que la Turquie intégrera plus rapidement l’Union Européenne !

Un enjeu pour les pays organisateurs

Euro et JO sont surtout un défi pour les pays qui les organisent. Dans la réflexion qu’il propose aux lecteurs dans son éditorial du 10 juin 2016 sur le site de l’IRIS, Pascal Boniface montre que la France et le Brésil sont confrontés à plusieurs enjeux communs, directement liés à la place que ces pays souhaitent occuper sur la scène internationale.

Si « le premier enjeu est d’abord sportif, il ne faudrait pas l’oublier (…), le deuxième enjeu est sécuritaire ».

On peut évidemment penser à la France confrontée au risque terroriste après les attentant meurtriers du 5 janvier et du 13 novembre 2015.

Pour le Brésil se posent davantage les problèmes liés au crime organisé, mais, comme le rappelle Pascal Boniface, « aujourd’hui, tout événement sportif mondialisé attire les terroristes, dont le but premier est de communiquer, attirer les médias pour frapper les esprits ».

Le dispositif sécuritaire manifeste donc la volonté des États de maintenir le contrôle sur des territoires où leur capacité à assurer la sécurité est contestée.

La capacité de la France comme du Brésil à réussir de tels événements est fondamentale pour le développement de l’activité touristique. Le Brésil s’affirme ainsi comme un pays où il est possible d’organiser des événements d’influence planétaire.

Des événements de tous types : forum social international de Porto Alegre en 2001, JMJ de 2013, coupe du monde de football de 2014, et maintenant les Jeux olympiques.

Pour la France, il s’agit de montrer la solidité du pays après les attentats et conserver ainsi son potentiel d’attraction touristique : « 2,5 millions de spectateurs sont attendus pour l’Euro 2016 et de 7 à 8 millions de supporters au total », selon Les Échos du 10 mai 2016.

Avec, en perspective, la possibilité d’afficher aux yeux du CIO que Paris est un candidat crédible pour les JO de 2024.

Ainsi, les deux événements de l’été 2016 montrent combien il est important de faire partie des « puissances du sport » dont parle Jean-Marc Holz dans la revue Conflits.

Une compétition également économique

Les enjeux économiques sont de taille et concernent tous les acteurs. Les chiffres rapportés par Les Échos sont éloquents en ce qui concerne l’Euro 2016.

Sur un bénéfice attendu de 1,24 milliard d’euros, « 800 millions seraient dus aux visiteurs, dont 600 millions pour l’hébergement, la restauration, le commerce. Par ailleurs, les dépenses sur les ‘fans zones’ sont chiffrées à 200 millions. En outre, le montant total des marchés remportés par les entreprises françaises en lien avec l’organisation est estimé à 400 millions ».

D’importantes retombées sont également attendues au Brésil. Toutefois, les coûts directs et indirects de ces manifestations posent la question de la répartition des bénéfices.

Au Brésil, l’État tente de réduire les coûts de l’opération, estimés à 8,75 milliards d’euros, au moment où l’inflation atteint 10,7 % et où le PIB s’est contracté de 4,8 % en 2015, ainsi que le rappelle Nicolas Baverez dans Le Figaro du 4 avril 2016.

Ces grands événements sportifs sont également liés à la mondialisation de l’économie, à laquelle les nations sont tenues de s’adapter.

L’événementiel lié aux Jeux olympiques de 2016 a été attribué après appel d’offres à une entreprise italienne, Film master group.

Quant à l’Euro, l’UEFA a négocié avec l’État français des accords fiscaux particuliers, prouvant ainsi que les règles nationales doivent s’accommoder des logiques financières transnationales. En ce sens, l’économique rejoint le politique.

Organiser un événement sportif n’est pas sans risque pour un gouvernement. Dilma Rousseff tombe dans le contexte de l’ultime ligne droite vers les JO. En France, l’action du gouvernement est contestée par une partie de la gauche et la présence de l’Euro accroît la visibilité des actions demandant le retrait de la loi travail.

Ainsi, les deux événements de l’été 2016 montrent comment sport, géopolitique et économie s’articulent étroitement. Le Brésil y joue une carte importante pour relancer son économie et affirmer son rayonnement.

La France doit prouver sa capacité à organiser un événement majeur dans un contexte de menace terroriste et de tensions sociales. C’est un autre point commun aux deux événements : la volonté de ressouder le « lien social ».

Entre ceux qui profitent de l’émergence et ceux qui en sont exclus, au Brésil. Pour lutter contre le communautarisme et la montée de l’extrémisme social et politique en France.

Ce qui pose la question des rapports entre la communication et la réalité vécue, l’événementiel et le durable, le symbolique et le politique.

Pour aller plus loin :

  • Atlas du sport mondial : Business et spectacle, l’idéal sportif en jeu, collectif, éditions Autrement, 2010, 80 p., 17 € ;
  • Géopolitique du sport, par Pascal Boniface, Armand Colin, 2014, 192 p., 17,50 € ;
  • JO politiques : Sport et relations internationales, par Pascal Boniface, Eyrolles, 2016, 202 p., 16 € ;
  • revue Conflits n°10, juillet-août-septembre 2016, 82 p., 9,90 €.