Mai 292012
 

Cette volonté de relocaliser est-elle spécifique à Rossignol ?

C’est d’abord la performance industrielle qui nous a poussés à relocaliser. Notre mission est de développer une base industrielle solide pour les années à venir, ce qui implique des coûts compétitifs, de l’agilité, de la qualité. Nous devions nous montrer capables de maîtriser notre production, en direction de nos marchés traditionnels en Europe et Amérique du nord, et en restant compétitifs. L’axiome « produisons français » ne tient que si l’on a l’assurance d’être financièrement compétitifs. Ensuite, il y a d’autres avantages à produire en France. Le marché est à 60% dans les Alpes. Nos structures de R&D, de production et de marketing sont ici, bien en symbiose. D’autant que je crois beaucoup à la proximité physique de certaines structures pour être réactifs sur certains sujets.

Concernant la relocalisation stricto sensu, nous n’avons pas cherché à bénéficier d’aides particulières de l’Etat. D’abord parce que nous devions agir dans l’urgence et que nous n’avions pas le temps de monter des dossiers complexes comme c’est le cas d’ordinaire. On a préféré se concentrer sur l’action opérationnelle et prendre au plus vite les décisions qui s’imposaient. En revanche, sur certains points, par exemple l’obligation de mettre certaines équipes en chômage technique, on a reçu un soutien effectif de l’appareil d’Etat. De même, le principe du Crédit Impôt Recherche est précieux dans un métier comme le nôtre, où l’on renouvelle des collections par tiers tous les ans. Beaucoup de travail d’innovation donc ! Or, on arrive à financer quasiment un tiers de notre recherche au titre du crédit impôt-recherche. Sans ce mécanisme, nous serions donc plus faibles. D’autant que l’on compte environ trois ans entre l’apparition d’une idée et sa concrétisation. Il faut par exemple en passer par de nombreux tests-neige. Aussi étrange que cela paraisse, même après la modélisation et les approches PAO, lorsque l’on teste le prototype, on a toujours des surprises sur la longue durée. Par exemple pour vérifier si les fixations sont adéquates, en fonction des différents terrains, températures, types de neige, environnements, buts fixés, etc. Les paramètres sont complexes et très nombreux à prendre en compte. De la même manière, dans la guerre économique en cours, nous privilégions l’innovation et nous la protégeons par des dépôts de brevets, tout en maintenant une veille active sur le marché et les concurrents, quitte à réagir fortement le cas échéant. Mais plus qu’une posture défensive, nous prônons une authentique proactivité, en nous efforçant d’être au maximum à l’écoute des consommateurs.

Existe-t-il un marché spécifique pour les jeunes, pour lequel il faut intégrer les nouvelles tendances de la « glisse » ?

Pour le segment que vous évoquez, la globalisation est ainsi faite que, sitôt qu’une tendance est identifiée en un point du monde, elle peut devenir mondiale trois mois après ! Sur ces « tribus », on a une approche typologique identique. Prenons le cas du free-style, très inspiré par les courants américains. On est là en plein dans le design graphique du ski au sens large. C’est-à-dire que la casquette doit être portée d’une certaine manière, les skis doivent avoir un look graphique bien précis, etc. Ce sont autour de tels codes que se rassemblent ces « tribus », et ce quelle que soit la zone géographique où elles se trouvent. Aussi surprenant que cela paraisse, ces « tribus » sont en fait beaucoup plus rigides sur ces nouveaux codes que d’autres pourraient l’être en costumes cravates ! Le conformisme ne se niche pas toujours là où on le croit ! Ces éléments s’intègrent dans notre stratégie marketing. D’où la nécessité d’avoir des designers en veille sur ces sujets. Ce qui constitue indéniablement une différence avec ce que nous connaissions avant avec nos marchés classiques. La géopolitique du ski se trouve ainsi influencée par les nouvelles techniques de communication qui accompagnent le processus de globalisation de nos économies.

Comment évolue le marché ?

Côté concurrence, on observe une forte présence des marques autrichiennes. En France nous avons un grand concurrent avec Salomon. Aux Etats-Unis et en Allemagne, on recense aussi des marques importantes. Mais il y a de la place pour tout le monde, y compris et surtout pour nous qui sommes installés depuis toujours sur ce marché. Car le marché du ski et de la montagne est en constante progression partout dans le monde, même si les habitudes modifient les pratiques. Par exemple, le nombre de pratiquants augmentant, on vend moins de skis parce que la location est devenue aujourd’hui la règle. Le marché demeure ainsi globalement stable, les populations nouvelles compensant le phénomène de la location.

Autre paramètre à prendre en compte, l’importance des nouveaux médias, comme le web 2.0, qui nous permettent d’être en lien direct avec les consommateurs. Nous avons besoin de les accompagner, d’être en veille sur ce qu’ils attendent, ce qui explique que nous mettions beaucoup de moyens en oeuvre sur ce plan. Ainsi, notre Facebook est développé au niveau mondial, décliné pays par pays, avec un potentiel qui va approcher d’ici un à deux ans le million de « fans ». Si l’on décide de faire une opération dans tel magasin tel jour, nous pouvons immédiatement envoyer un message aux internautes présents sur la ville concernée pour les alerter. Être une marque mythique dans notre métier nous oblige à prendre sans cesse les devants, à anticiper les demandes et les tendances. Les 15-25 ans, qui forment une frange importante de notre clientèle, sont bien sûr friands de ces nouveaux vecteurs numériques et il est naturel que nous répondions à leur attente en étant clairement et activement présents sur les réseaux sociaux.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre avenir ?

Ces dernières années ont vu des batailles sur les coûts, pour obtenir du volume au meilleur prix. D’où ces déplacements massifs de production en Asie auxquels nous avons assisté. Demain sans doute, l’aspect développement durable va devenir incontournable. Or, chez Rossignol, nous évoluons pleinement dans cette logique, avec la chance d’exercer des métiers peu polluants par nature. Dans nos bureaux d’études, d’ores et déjà, l’éco-conception est prise en compte bien sûr, on mesure l’empreinte carbone sur les différents processus, on s’efforce d’utiliser des produits naturels ou encore des produits recyclés… Quand on est acteur de ces métiers d’outdoor – plein air – on est naturellement dans cette approche. De même, il va falloir mettre en oeuvre très concrètement tout ce qui relève de la responsabilité sociale de l’entreprise, et déjà rétablir un équilibre entre l’attente des consommateurs, celle des actionnaires et celle des salariés. A n’en pas douter, cette dimension sociale sera déterminante dans le futur.

En guise de conclusion, qu’évoque pour vous, chef d’entreprise, le mot de géopolitique ?

Bien sûr, je ne suis pas un spécialiste de géopolitique, mais l’on observe bien qu’aujourd’hui deux systèmes cohabitent, l’économique et le politique. Or la frontière est souvent floue de savoir réellement qui décide de quoi. Les deux sont complémentaires. Mais l’on peut regretter le faible niveau de connaissance économique de la part de nos concitoyens, à commencer par les politiques. A mes yeux, la géopolitique va s’imposer comme un art majeur dans les prochaines années, car elle permettra de régir au mieux les relations entre les différents acteurs. D’abord parce qu’elle part de données et faits réels. Que l’on songe seulement aux formidables taux de croissance des populations à l’horizon 2050 ! Pour que les grands ensembles mondiaux fonctionnent dans ces nouvelles configurations, la géopolitique est indispensable, car c’est elle qui va nous permettre de mettre au point des règles optimales reposant sur des réalités incontestables.

Alors, aux jeunes étudiants qui seraient effrayés de prime abord par les réalités du monde et les défis que la géopolitique doit nous aider à résoudre, je rappellerai cette parole de Winston Churchill au plus fort de la seconde guerre mondiale : Never give up ! Ne renoncez jamais ! Si vous êtes capables d’intégrer en vous-mêmes cette devise, vous serez à même d’affronter toutes les situations et d’emporter l’adhésion de vos équipes. La persévérance paye toujours.