Président du groupe Rossignol, marque n° 1 mondiale du ski, Bruno Cercley a redressé en trois ans un groupe français qui était au bord du gouffre. Relocalisant les activités en France, il a su faire preuve de compétitivité, d’agilité, d’innovation. Rossignol rayonne depuis plus de cent ans à l’international, grâce à une veille permanente couplée maintenant à une omniprésence sur les réseaux sociaux. Au point que Bruno Cercley a coutume de dire que l’international constitue l’ADN de Rossignol. Comme quoi identité et modernité se marient fort bien! Une saga haute en couleurs qui s’impose comme un exemple concret de ce qu’apporte la pratique de la géopolitique par l’entreprise.
L’épopée du groupe Rossignol est étroitement liée à un enracinement local. Dès le début, on observe une connotation géopolitique à son développement…
L’épopée de Rossignol se confond avec la genèse et l’histoire du ski. A l’origine, en 1907, dans le cadre magnifique du massif de la Chartreuse – à Voiron très exactement – il y a un homme, Abel Rossignol, qui se lance dans l’aventure entrepreneuriale. Possédant un atelier de menuiserie où il produit des navettes de métiers à tisser pour les soieries lyonnaises, il décide de commencer la fabrication de skis en bois massif après un voyage en Norvège, où il a pu constater l’engouement des Scandinaves pour ce mode de déplacement. Certes de 1907 à 1956, la fabrication reste artisanale et relativement confidentielle, avec une trentaine de salariés. Il faut attendre que Laurent Boix-Vives, un entrepreneur autodidacte de Moutiers, reprenne l’affaire en 1956 pour lui donner son plein essor à l’international. Il est conseillé en cela par Emile Allais, qui a été champion du monde de ski alpin en 1937 (avec déjà des skis Rossignol!), et qui pressent la montée en puissance de cette mode, après avoir visité des stations de sport d’hiver aux Etats-Unis.
Les deux hommes ne se bornent pas à la fabrication. Ils accompagnent le développement de la pratique du ski. De fait, ils sont quasiment les créateurs du système des compétitions, de la coupe du monde, de l’organisation des pools de marques dans les différents pays. Ils se préoccupent très tôt de financer des athlètes, lesquels, jusque là, devaient se débrouiller comme ils pouvaient pour se livrer à leur activité favorite. Peu à peu, le système se structure. La compétition éclaire très fortement et très favorablement la pratique. Elle devient un élément déterminant pour pousser les gens à venir prendre des vacances d’hiver dans les stations de ski et s’initier à ce sport. Les investissements viennent irriguer l’économie encore faible des pays de montagne. Rossignol accompagne naturellement ce mouvement, non seulement en France mais encore à travers la planète entière, jusqu’à devenir leader mondial du secteur.
Le groupe compte plusieurs marques…
Effectivement. Dynastar est née aux pieds du Mont-Blanc en 1963 et a intégré le groupe Rossignol en 1967 pour compléter l’offre « haute montagne ». Lange, de son côté, constitue le modèle parfait de savoir-faire en matière de chaussures de ski. Cette société, américaine à l’origine, a rejoint le giron du groupe français. Quant à Look, fabricant historique de fixations créé en 1951 et toujours basé à Nevers, il complète l’offre globale du groupe qui forme désormais un ensemble cohérent et harmonieux. On a ensuite voulu diversifier et désaisonnaliser l’offre : ski alpin, ski nordique, snowboard, tous les produits associés à ces pratiques, sans oublier un gros effort sur le domaine du textile et des vêtements grand froid. Rossignol est un groupe français qui rayonne à l’international. Il repose sur 4 sites industriels multimarques : Sallanches (skis traditionnels haut de gamme pour la piste et skis injectés) et Nevers (fixations) en France ; Artes (skis de grande série, skis free-ride/free-style et skis de fond) en Espagne ; Montebelluna (chaussures alpines) en Italie. Il faut y ajouter le siège Amérique du nord situé à Park City dans l’Utah, aux Etats-Unis.
Si aujourd’hui, Rossignol est redevenu un groupe florissant, on ne doit cependant pas oublier qu’il est passé tout près de la disparition…
C’est exact. Entre 2005 et 2008, l’entreprise a connu des années de fortes turbulences après son rachat par l’américain Quiksilver, imputable essentiellement au fait que ce dernier n’avait pas d’expérience industrielle et se focalisait sur la partie textile. J’en suis sorti à cette époque. En 2008, Quiksilver a jeté l’éponge en laissant le groupe dans une situation très délicate. C’est alors qu’avec des partenaires australien et américain, je me suis attaqué à son redressement. Ce fut un vrai défi ces trois dernières années que de relever Rossignol, en cherchant de la croissance rentable et durable, et en s’appuyant sur des marques fortes, enracinées, dotées chacune d’une forte identité. Dans de telles configurations, il est indispensable de savoir écouter les experts et les techniciens qui maîtrisent parfaitement les savoir-faire, et qui en outre aiment leur métier, comme d’ailleurs tous les salariés qui se sont donnés à fond dans l’aventure afin de sauver Rossignol.
Pour ce redressement exemplaire, nous avons d’ailleurs été primé par la prestigieuse TMA -Turnaround Management Association (structure basée à Chicago avec un rayonnement mondial et regroupant 9 000 professionnels dans le monde), qui nous a accordé son « Prix du redressement international 2010 ». Démarche qui a du sens quand on sait que chaque année des centaines de dossiers sont déposés pour être distingués ! Mais il est vrai que Rossignol est très connu aux Etats-Unis, que le groupe y a depuis l’origine été impliqué dans le secteur de la montagne et du ski. Notre histoire a fait rêver tout le monde. C’est aussi une reconnaissance vis-à-vis de nos clients, de nos partenaires et fournisseurs, et aussi en interne. Bref, toutes les parties prenantes se sont senties récompensées par ce Prix. Mais l’aventure ne s’arrête pas là, ce n’est que le signal d’un nouveau départ. Le défi qui se profile à l’horizon est de réfléchir à la manière d’optimiser cette plate-forme redevenue solide, pour faire rayonner les marques bien au-delà de leurs limites actuelles.
Où sont vos marchés, actuels et à venir ?
En moyenne, le chiffre d’affaires du groupe en matière de zones géographiques se répartit comme suit : environ 60 % en Europe et Russie, dont 20 % en France ; environ 30 % en Amérique du nord ; environ 10 % en Asie, dont 5 % au Japon. L’international est donc bel et bien l’ADN de Rossignol, depuis d’ailleurs les origines et plus encore aujourd’hui et demain. C’est là où user de la géopolitique se révèle particulièrement concret et fructueux. Car la pratique du ski varie selon les peuples et selon les paysages. Aux Etats-Unis et au Canada, on est plutôt dans du ski découverte de grands espaces dans la zone ouest et les Rocheuses, alors que dans la partie est de ces pays, on est davantage dans du ski sur de petites collines. En Autriche ou en Suisse, à l’inverse, on est surtout marqué par le ski de compétition. En France, Italie ou Espagne, on pratique davantage un ski plaisir. Sur l’Asie, on observe de semblables disparités. Les Japonais sont très portés sur la compétition, même s’ils produisent peu de champions. La Chine commence à s’ouvrir, on est là sur un marché de débutants comme nous l’étions nous-mêmes en France dans la période d’après-guerre. En Russie et en Scandinavie, on est dans la sphère du ski nordique avec balades dans les forêts…
Dès lors se pose pour nous une question récurrente : quelle doit être notre offre produits pour satisfaire la demande dans le monde entier ? Après avoir tout essayé, nous avons estimé qu’une offre mondialisée à 80 % et orientée local à 20 % constituait un bon ratio. Aujourd’hui, nous essayons d’optimiser la taille de l’usine au regard des impératifs de la production. On ne découpe pas tout en rondelles, au contraire, on essaye de regrouper les sites. Nous fabriquons nous-mêmes à plus de 80 %, avec quelques sous-traitants, comme en Roumanie pour la chaussure et en Pologne pour la fixation. Mais notre volonté a été de relocaliser les activités du groupe. Pourquoi ? Pour nous, le coût matière est plus important que le coût main-d’oeuvre. Sur les produits des gammes qui sont les nôtres, si l’on compare – en intégrant tous les paramètres – une usine chinoise à une usine française, la différence est somme toute assez faible et ne justifie pas la délocalisation, d’autant que nos marchés se situent essentiellement en Europe et en Amérique du nord. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce process de relocalisation intéresse les plus hautes autorités de la nation, à commencer par le président Sarkozy qui est venu visiter notre usine de Sallanches en décembre dernier.