Un an de diplomatie macronienne
Si, en politique intérieure, le principe du « en même temps » laisse dubitative l’opposition de gauche qui ne discerne « que de la droite dans ce prétendu cocktail » (Jean-Luc Mélenchon), force est de constater qu’en matière d’action extérieure, l’an I du président de la République se caractérise par une synthèse inédite entre les axiomes traditionnels de la diplomatie française et un pragmatisme qui, déjà, fait bouger beaucoup de lignes.
Héritage de son passé de praticien de la finance? En choisissant comme devise France is back, le chef de l’Etat ne se contente pas de décalquer la formule de Ronald Reagan promettant, en 1980, d’inverser la vapeur après quatre ans de recul de l’influence américaine : il entend faire de la compétitivité des entreprises l’instrument numéro un de la défense des intérêts français dans la mondialisation.
Un pari qu’il ne sépare pas de ses réformes intérieures, résumées le 23 janvier dernier à Davos : rendre la France « attractive pour les premiers de cordées de l’économie mondiale, ceux qui créent de la croissance et de l’emploi ».
Dans sa stratégie européenne comme dans sa vision de rapports rénovés avec les Etats-Unis, le président, de fait, n’aura cessé d’innover…
Pour mieux renouer avec une stratégie de puissance, plaident les uns.
Pour faire rentrer la France dans le « moule néo-libéral », rectifient les autres.
Puisque, suivant Buffon, « le style, c’est l’homme », il n’a échappé à personne que, dès ses premiers pas sur la scène internationale, Emmanuel Macron a voulu renouer avec un genre passé de mode sous les quinquennats Sarkozy et Hollande : celui de la diplomatie gaullo-mitterrandienne.
Directeur de recherches à l’IRIS, l’ambassadeur Jean de Gliniasty constatait en octobre dernier combien, dès sa campagne, le futur président avait réhabilité des thèmes absents de l’arène électorale depuis Jacques Chirac :
– affirmation du « rang » de la France (terme repris lors de son premier discours aux ambassadeurs du 29 août 2017) ;
– condamnation des aventures militaires occidentales ayant déstabilisé le Moyen-Orient (Bush en Irak, 2003) et l’Afrique (Sarkozy en Libye, 2011) ;
– nécessité de fonder la « souveraineté européenne » sur des bases moins technocratiques.
« Avec son siège au Conseil de sécurité et appuyée quand c’est possible par l’Union européenne, la diplomatie française peut enfin prendre l’initiative de négocier des équilibres porteurs de paix et de développement, avec les États et les groupes régionaux tels qu’ils sont. » (Jean de Gliniasty, Une certaine idée de la France, Le Monde diplomatique, octobre 2017, pp.1 et 20).
Europe : un alignement des planètes providentiel… mais incomplet
Les crises traversées par nos voisins (Brexit, séparatisme catalan, absence de majorité en Italie, instabilité prévisible en Allemagne) sont-elles une chance pour l’attractivité de la France que le président entend restaurer par ses réformes intérieures?
A n’en pas douter comme le souligne Julien Marcilly dans un tout récent rapport de l’IFRI (Macron, an I, quelle politique étrangère? Sous la direction de Thomas Gomart et Marc Hecker, avril 2018).
Le même raisonnement vaut aussi pour la politique migratoire, dont la réforme sera prochainement au programme du Conseil européen, en même temps que pour l’harmonisation fiscale, le régime des travailleurs détachés ou la fiscalité des géants du web, dossiers sur lesquels le chef de l’Etat s’est engagé avec une pugnacité qui semble faire des émules à Bruxelles.
Sur un point essentiel en revanche, l’influence allemande est restée intacte au point d’hypothéquer son grand dessein: la refonte de la zone euro. En prônant un accroissement significatif du budget européen, Emmanuel Macron souhaiterait disposer d’une masse critique vouée à la mutualisation des risques et transformer pour cela l’actuel MES (Mécanisme Européen de Stabilité) en FME (Fonds Monétaire Européen).
Objectif : prévenir la faillite d’un Etat-membre analogue à celle qu’a subie la Grèce en avertissant les marchés que, si une telle éventualité devait se représenter, la solidarité européenne jouerait à plein.
Une version financière de la dissuasion nucléaire, destinée à ne jamais servir.
Or non seulement l’Allemagne, hostile par principe à tout mécanisme de péréquation vient d’opposer une fin de non-recevoir brutale à ce plan – essentiel aux yeux de Macron pour faire reculer l’euroscepticisme en démontrant que l’Union n’est pas seulement une bureaucratie indifférente au sort des peuples.
Elle a mobilisé ses alliés pour lui faire échec. Début mars, Pays-Bas, Suède, Finlande, Danemark, Irlande, Estonie, Lettonie et Lituanie, rejoints en avril par la Pologne, se sont à leur tour élevés contre toute idée de mutualisation des risques.
Avant qu’Angela Merkel ne porte l’estocade, le 17 avril, en affirmant qu’une telle réforme impliquerait plusieurs amendements aux Traités…
A laquelle l’Allemagne se refuse, bien évidemment.
Culture et francophonie, instruments du soft power français.
Parallèlement aux réformes de structure, Emmanuel Macron met l’accent sur un aspect géopolitique négligé depuis de Gaulle : la stratégie d’influence.
Cet instrument immatériel dont les Etats-Unis savent depuis longtemps user et abuser pour promouvoir leurs intérêts, le chef de l’Etat entend l’enrôler pleinement au service de sa politique.
Dépassant la conception traditionnelle de la francophonie, l’Elysée entend la revitaliser par l’intermédiaire d’acteurs situés sur d’autres continents, l’Afrique en particulier.
D’où sa formule : « L’épicentre de la francophonie est quelque part autour du fleuve Congo » (discours de Dakar, 3 février 2018), manière de signifier que, pour servir de Sésame aux affaires, l’influence culturelle française n’est plus seulement l’apanage de l’ancienne puissance colonisatrice.
Plus largement, il conçoit la culture comme un levier économique de première importance.
S’inspirant du voyage de la Joconde à New York, organisé en 1962 par André Malraux, le président de la République aimerait généraliser le prêt d’une partie des oeuvres détenues par les musées français pour faire connaître partout notre patrimoine artistique.
« La culture, résumait-il, le 13 mars dernier, lors d’un déjeuner offert aux principaux directeurs de musées parisiens, permet d’avoir une influence au-delà de son rang économique et géopolitique. Il faut inventer une nouvelle grammaire de l’influence internationale et la culture en fait partie. »
Ce qui fait dire au Monde, raportant les propos présidentiels, que pour l’ancien ministre de l’économie qu’il est, « la culture est un avantage comparatif dans la compétition mondiale et qu’il serait idiot de ne pas s’en servir » (Le Monde, 16 avril 2018, pp.16-17).
Les relations France-Etats-Unis, ou l’épreuve de vérité.
De la tournure que vont prendre les relations franco-américaines, vont dépendre, cependant, beaucoup des orientations annoncées ou à venir de la politique macronienne : commerce international, rapports avec la Chine et la Russie, Moyen-Orient surtout.
D’emblée, le président de la République avait conservé la posture gaullo-mitterrandienne de sa campagne : réaffirmation de l’alliance franco-américaine, par l’invitation de Donald Trump à son premier 14 juillet…
Mais condamnation parallèle de la décision de ce dernier de répudier l’accord de Paris sur le climat puis de rallumer la guerre commerciale en augmentant unilatéralement ses droits de douane…
Et même, refus proclamé de voir les Etats-Unis continuer à s’ériger en « gendarmes du monde » (France Culture, 27 janvier 2017). Nul doute, l’exercice d’équilibrisme du « En même temps » démarrait sur des chapeaux de roues.
Mais depuis le printemps 2018, tous les observateurs s’accordent pour constater que les deux plateaux de la balance ne sont plus égaux.
Dans l’affaire Skripal – du nom de l’ex-espion russe passé sous protection britannique et que Londres accuse Moscou d’avoir tenté d’éliminer – et surtout à l’occasion de l’attaque chimique présumée menée par le régime syrien contre les rebelles de la Ghouta orientale (7 avril 2018), l’Elysée n’a pas attendu le résultat des enquêtes diligentées de part et d’autre pour condamner la Russie à l’unisson de Londres et de Washington puis pour frapper Damas, au côté des Américains…
Ce faisant, comme le remarquait Pierre Haski, le 17 avril, sur le site NouvelObs.com, « le président français ne brouille-t-il pas les cartes par rapport à ses promesses de campagne en donnant le sentiment d’accepter de jouer les seconds rôles dans des scenarii qui lui échappent » ?
Une évolution parallèle se profile sur le dossier iranien : le 9 avril dernier, le Président accueillait à l’Elysée le prince Mohamed Ben Salman (dit MBS) d’Arabie saoudite et n’affichait sur le sujet qu’une nuance « tactique » avec lui.
Lequel, pourtant, n’a jamais caché son intention d’éliminer par tous les moyens (qui ne peuvent qu’être américains) la menace nucléaire iranienne.
Or Emmanuel Macron tenait jusqu’ici l’accord signé en juillet 2015 sous l’impulsion de Barack Obama comme le meilleur cadre possible pour parvenir à cette fin…
En marge de ses voeux à la presse, n’avait-il pas jugé que les discours des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite risquaient « de nous conduire à la guerre en Iran » ? (Le Figaro, 3 janvier 2018).
Parti le 23 avril à Washington pour dire à Donald Trump combien il tenait à sauver l’accord de 2015 que ce dernier dénonce sans relâche, le chef de l’Etat en est revenu, le 25, avec la conviction qu’il fallait en conclure un autre.
Pour aller plus loin :
- Macron, an I, quelle politique étrangère? Sous la direction de Thomas Gomart et Marc Hecker, Etudes de l’IFRI, avril 2018 ;
- Macron, bilan d’une première année, supplément des Echos des 21-22 avril 2018 ;
- discours d’Emmanuel Macron au corps diplomatique, 4 janvier 2018, disponible sur www.elysee.fr;
- discours lors de la présentation de ses voeux aux armées, 21 janvier 2018 (www.elysee.fr);
- discours à Davos, 23 janvier 2018 (www.elysee.fr).
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