Mar 082018
 

Indispensables à la transition énergétique, elles divisent aussi le monde en deux camps…

CLES213-2Se battra-t-on demain pour l’yttrium, le germanium, le béryllium, le rhénium ou le prométhium comme l’on se battit au XIX° siècle pour le charbon et au XX° pour le pétrole ?

Derrière ces noms méconnus du grand public, se cachent des terres et des métaux sans lesquels le monde connecté qui est le nôtre ne pourrait exister.

Un monde qui, depuis trente ans, rompt avec les énergies fossiles traditionnelles dont la contribution au réchauffement climatique n’est plus à décrire.

Mais qui, du même mouvement, découvre d’autres sujétions, et, partant, d’autres rapports de force que ceux induits par la dialectique « gisements-flux-cours » héritée de la géopolitique de l’Or noir.

Pour assembler nos téléphones portables, construire les véhicules électriques de demain, bref, élaborer l’énergie « verte » appelée à se substituer aux carburants traditionnels, mais aussi réaliser et sécuriser les réseaux informatiques qui sous-tendent la mondialisation, la révolution technologique ne peut se passer de ces gisements.

Or ceux qui les exploitent sont peu nombreux et, de fait, en situation de quasi-monopole.

Menace à laquelle s’ajoute un défi écologique majeur : pour éviter que les matériaux issus des terres rares ne gaspillent davantage de ressources que les technologies précédentes, ils devront être systématiquement recyclés. Ce qui est loin d’être encore le cas…

C’est désormais un secret de Polichinelle.

Si Donald Trump s’accroche au modèle du tout-pétrole au point d’en faire la condition idéale de la prospérité américaine, c’est moins par « climato-scepticisme » qu’en vertu d’un classique réflexe protectionniste : même si les Etats-Unis souhaitaient souscrire aux principes de la transition écologique actés par la Cop 21, ils ne pourraient y parvenir qu’en accroissant de manière significative leur dépendance à l’étranger.

Selon l’United States Geological Survey (USGS) qui dresse chaque année l’état des 90 matières premières indispensables aux secteurs-clés de l’économie contemporaine, depuis l’intelligence artificielle jusqu’à la cybersécurité, en passant par les biotechnologies médicales et la nanoélectronique, on compte en effet sur les doigts d’une seule main celles que maîtrisent les Etats-Unis (le Berrylium, par exemple, utilisé pour les télécoms, spécialement dans l’industrie spatiale), mais aussi l’Occident en général.

Le monopole écrasant de la Chine sur les matières indispensables aux technologies d’avenir

Selon le dernier rapport de l’USGS, cité par Le Monde du 12 janvier dernier, Pékin produit ainsi 44 % de l’indium consommé dans le monde, 55 % du vanadium, près de 65 % du spath fluor et du graphite naturel, 71 % du germanium et 77 % de l’antimoine, principaux métaux rares.

Pour les « terres rares » – terme générique désignant 17 métaux encore plus difficiles à extraire et à isoler, à savoir le scandium, l’yttrium, et les quinze lanthanides – la proportion est plus écrasante encore puisqu’elle avoisine 95%.

Mais d’autre pays jouent aussi la carte de la spécialisation minière : le Brésil pour le niobium (90% de la production mondiale) ou encore le Congo pour le cobalt (64%), extrait par des enfants dans des conditions que dénonce Amnesty International. Serait-ce que ces pays possèdent en grandes quantités des trésors que nous n’aurions pas ?

Nullement, explique Guillaume Pitron, dans son essai La guerre des métaux rares, préfacé par l’ancien ministre Hubert Védrine.

La vérité est qu’à partir des années 1970, l’Occident a délocalisé le traitement de ces gisements, présents, partout ou presque, vers des Etats désireux de s’enrichir rapidement quitte à sacrifier leur propre environnement et à négliger les précautions sanitaires les plus élémentaires.

L’auteur, qui a enquêté en Chine, rapporte une description apocalyptique de certaines zones polluées à des degrés inimaginables, où les cancers explosent et qui, à moyen terme, devront être purgées de toute présence humaine.

Jusqu’à ce qu’une nouvelle zone d’extraction subisse le même sort…

C’est ainsi, explique-t-il, que « le monde s’est organisé entre ceux qui sont sales et ceux qui font semblant d’être propres ».

En l’occurrence l’Occident qui, rappelle Hubert Védrine, condamne à juste titre le recours excessif aux énergies fossiles, mais en oublie que « le secteur des technologies de la communication et de l’information produit 50% de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien ». 

Derrière l’enjeu de la souveraineté minérale, celui d’une nouvelle organisation du monde.

En 2010, pourtant, un premier coup de tonnerre a mis en évidence le caractère intenable de cet équilibre : prétextant un différend territorial apparemment mineur (le statut des îles Senkaku, revendiquées par la Chine depuis 1971), Pékin a décrété un embargo sur les métaux rares exportés vers le Japon.

Les prix se sont envolés et ce renchérissement a indirectement touché l’Europe et les Etats-Unis via les produits japonais.

D’où la décision du président Obama de déposer plainte contre la Chine auprès de l’OMC, plainte réitérée en 2016 en raison du peu d’effet de cette procédure.

Voici donc très peu de temps qu’aux Etats-Unis comme en Europe, on a pris conscience de l’épée de Damoclès qui, désormais, pèse sur l’Occident : en voulant délocaliser la pollution plutôt que d’investir suffisamment pour la faire baisser, ne nous sommes-nous pas mis dans la situation de dépendre des autres pour notre développement?

Or non seulement la Chine compte bien continuer à s’enrichir en limitant le volume de ses exportations – donc en faisant monter les prix et en utilisant cette arme pour peser sur l’ensemble des négociations commerciales – mais elle apparaît de plus en plus comme le leader mondial du Greentech.

Bref : après avoir assumé, à notre demande, le fardeau ultra-polluant de l’extraction et du raffinage, elle pourrait bien conquérir très rapidement le monopole de l’industrie elle-même.

« Notre dépendance originellement cantonnée aux ressources, s’est étendue aux technologies de la transition énergétique et numérique » résume Guillaume Pitron (La guerre des métaux rares, p.159).

Une tendance particulièrement marquée dans le secteur de l’armement où la Chine domine déjà le marché ultra-sensible des missiles intelligents.

Le recyclage, seule solution écologique et éthique pour réguler le marché ?

Pour autant, les jeux sont-ils faits ? Evidemment non, même si le retard accumulé par l’ancien monde (dont font partie les Etats-Unis) est préoccupant.

D’abord, comme le souligne le géographe Gilles Lepesant dans l’étude qu’il vient de réaliser pour l’IFRI, toute volonté de la Chine d’organiser la pénurie porte en elle un possible retournement de conjoncture : en 2010-2011, rappelle-t-il, « la flambée des prix que les autorités chinoises provoquèrent indirectement conduisirent à rendre rentables de nouveau projets miniers. La mine de Mountain Pass (ndlr : en Californie) qui avait dû fermer en 2002, fut remise en exploitation en 2012 par Molycorp ».

Ensuite, le coût environnemental et humain de l’exploitation des métaux rares est tel qu’un mouvement se crée en Chine même, pour imposer des normes plus exigeantes, donc de nouveaux investissements.

A mesure que le niveau de vie chinois progresse, l’aspiration à des standards écologiques plus stricts augmente dans la population.

Le Parti communiste ne l’ignore pas, qui joue ici sa crédibilité. Pour quelle autre raison aurait-il choisi de rejoindre l’Accord de Paris sur le climat au moment même où les Etats-Unis s’en retiraient ?

En quelques années, quelque 8000 ONG environnementales ont vu le jour en Chine pour dénoncer, entre autres périls écologiques, les conditions dans lesquelles s’effectue le raffinage des métaux rares.

Auront-elles les moyens politiques d’imposer une réflexion globale sur la délocalisation de la pollution dont leur pays est victime ?

Qu’elles y parviennent ou non, le Japon qui, contrairement à l’Europe et aux Etats-Unis, ne dispose, lui, d’aucun gisement de métaux rare à exploiter ou à réactiver, est peut-être en train de montrer la voie car il n’a pas le choix.

Ses ingénieurs travaillent activement à mettre au point un système de recyclage des composants issus des produits déjà utilisés, relégués dans les tristement célèbres « décharges électroniques ».

C’est le seul système qui puisse permettre de lutter efficacement contre l’obsolescence programmée tout en donnant un sens au concept, trop souvent galvaudé, de développement durable.

Surtout, il responsabilise les entreprises ayant recours aux terres et aux métaux rares en stimulant leur capacité d’innovation, donc en créant un cercle vertueux susceptible de rendre ce modèle économique aussi rentable que les méthodes actuelles d’extraction et de raffinement in situ qui, elles-mêmes, profiteront des progrès enregistrés dans le recyclage…

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré » disait Einstein, cité par Guillaume Pitron qui plaide pour en finir avec le court-termisme, ce pire ennemi de la planète.

Pour aller plus loin :

  • Gilles Lepesant, La transition énergétique face au défi des métaux critiques, Etudes de l’Ifri, Ifri, janvier 2018 ;
  • Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, Editions LLL, 2018, 294 pages, 20 euros ;
  • Métaux : les besoins colossaux de la transition énergétique, Les Echos, 20 juillet 2017;
  • Kinshasa met en émoi la planète du cobalt, Les Echos, 13 février 2018..

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