Sep 292016
 

Formes et sens de la « métropolisation » du monde

La troisième conférence des Nations unies sur le logement et le développement urbain durable (Habitat III) se tiendra à Quito, en Équateur, du 17 au 20 octobre 2016, afin de « redynamiser l’engagement mondial en faveur du développement urbain durable ».

L’habitat est à l’évidence devenu une question géopolitique. Longtemps synonyme de logement, « dorénavant, l’habitat, dans le sens commun, comprend l’habitation et tous les itinéraires du quotidien urbain, explique Thierry Paquot, éditeur de la revue Urbanismes, dans Informations sociales (n°3, 2005).

L’habitat déborde. Je réside bien dans ce trois-pièces de cet immeuble, mais mon habitat véritable embrasse plus large, il intègre la cage d’escalier et l’ascenseur, le hall d’entrée, le local à bicyclettes, les abords immédiats de l’immeuble, le cheminement qui mène à la rue, les rues voisines qui desservent la station de RER, l’école, la boulangerie, le jardin public… ».

Si on croise cette notion avec celle des inégalités socio-spatiales, on trouve une intéressante entrée pour comprendre les rapports entre les territoires.

Au-delà de la carte postale montrant, comme à Rio, le voisinage des favelas et des « gated communities » ultra-sécurisées, l’habitat constitue un enjeu majeur du XXIe siècle. Des habitats traditionnels aux projets les plus futuristes, il révèle des logiques de maîtrise des territoires, donc de puissance.

« L’habiter » : une notion géographique à la mode

Si l’habitat nous intéresse, c’est aussi parce que « l’habiter » est à la mode. Cette notion est portée par une nouvelle génération de géographes, marqués par une critique du néolibéralisme d’inspiration « marxienne ».

L’habitat, manifestation de l’habiter, serait le fruit de rapports de force et donc un marqueur d’inégalités.

Les auteurs d’Espaces et rapports de dominations (PUR, 2015), l’énoncent ainsi : « Confinement, relégation, enfermement en sont les modalités extrêmes, mais bien d’autres, plus subtiles et moins visibles, contribuent à pérenniser des rapports de force à ce point asymétriques qu’il n’est de meilleur terme pour les qualifier que celui de domination ».

Une lecture qui rappelle la situation de certains quartiers des grandes villes du Nord tout autant que celle de larges pans des métropoles du Sud.

Si l’habitat est un marqueur des rapports de domination entre centre et périphérie, il recèle une revanche possible de la périphérie, qui construit son habitat pour contester certaines logiques imposées par le centre.

Les mêmes auteurs le déclarent : « L’espace est aussi l’allié des dominés engagés dans des processus de résistance, de contestation ou de lutte contre l’ordre du capitalisme néolibéral. Dotés de ressources propres, les dominés construisent aussi des stratégies, individuelles ou collectives, qui prennent appui dans l’espace et peuvent faire de ce dernier une ressource pour se faire entendre ou se rendre visible ».

Les récentes publications d’Olivier Lazzarotti, Jacques Lévy ou Michel Lussault développent ces thèses.

L’habitat propose ainsi une nouvelle approche de la mondialisation. S’il ne se réduit pas au logement, il permet en effet de voir comment l’homme occupe l’espace mondial – du « local » au « global ».

Le géographe des mobilités Mathis Stock propose la notion d’ »habitat polytopique », associant plusieurs lieux de résidence ou de circulation, libres ou contraints.

Cette lecture puise sa légitimation dans le fait que la ville est l’habitat d’une part de plus en plus importante de l’humanité. Selon un rapport de l’ONU de 2014, 54 % des hommes habiteraient en ville.

Ce qui fait de l’habitat, au sens large, une nouvelle « question sociale » et un défi majeur.

L’habitat : un révélateur des inégalités territoriales

Le premier phénomène que l’habitat révèle, c’est bien entendu la différence Nord-Sud. On pourrait multiplier chiffres et références pour montrer le type d’habitat dominant.

Au Nord, l’habitat est majoritairement organisé selon un schéma coordonné tandis qu’au Sud, on constate une importance plus grande de l’auto-construction, voire des bidonvilles.

Selon le programme des Nations unies pour l’habitat, 32 % des urbains des pays en voie de développement (862 millions de personnes) vivaient dans un bidonville en 2012.

Un phénomène qui n’est cependant pas réservé au Sud, puisque des habitats du même type tendent désormais à se développer dans certains espaces marginaux des villes du Nord.

La différence entre Nord et Sud passe surtout par la question des moyens de transport et de la fluidité des circulations urbaines.

L’habitat permet d’affiner cette lecture opposant Nord et Sud et de montrer certains paradoxes à une échelle plus fine.

En effet, c’est souvent la nature de l’opposition entre les habitats intégrés et les habitats marginaux qui donne à chaque ville ses caractéristiques.

À Mumbai (Bombay), cette opposition est particulièrement tranchée : « Les riches vivent perchés dans des tours tandis qu’à leurs pieds, les pauvres s’entassent dans des bidonvilles surchargés. Un milliardaire, Mukesh Ambani, s’est même offert un building de 27 étages dotés de trois héliports, d’une piscine, d’une salle de cinéma et de neuf ascenseurs », rapporte Vincent Joly dans son article « Bombay, métropolis infernale » (Le Figaro, 17/01/2014).

C’est donc bien le rapport entre espaces intégrés (connectés) et espaces marginaux (relégués) qui est en jeu.

En France, la question de l’habitat a été au coeur de la réflexion de Christophe Guilly et Christophe Noyé pour aborder la question de la « peur du déclassement » des classes moyennes dans les zones d’habitat pavillonnaire périurbain (Atlas des nouvelles fractures sociales, Autrement, 2006).

Habitat et émergence

L’habitat est aussi un marqueur de l’émergence. Proposer les formes innovantes ou non d’habitat permet de se placer dans la hiérarchie des villes qui comptent au sein de l’espace mondial, notamment autour de la notion de « ville durable ».

Comme en attestent les travaux de l’ONU, l’éco-citoyenneté repose d’abord sur l’habitat.

C’est une sorte de redécouverte du cadre géographique physique, après des décennies de conceptualisation hors-sol de grands ensembles et autres villes nouvelles.

« On n’oubliera pas non plus que l’habitat n’est jamais véritablement ‘hors-sol’, ‘extra-terrestre’, ce qui impose de réfléchir à la place qu’y tiennent les éléments biophysiques fondamentaux que sont l’eau, l’air, la terre tout comme celle des artefacts matériels », rappelle le géographe Michel Lussault dans Habiter, le propre de l’humain (La Découverte, 2007).

Les projets de ce type ont tout d’abord été proposés dans certains « éco-quartiers » des villes du Nord, mais aujourd’hui, les initiatives des villes du Sud sont nombreuses et témoignent de la possibilité d’une émergence par l’habitat.

Dubaï mise depuis plus de vingt ans sur l’habitat haut de gamme porté par d’importantes ambitions architecturales ou de spectaculaires îles artificielles, comme Palm Island.

Mais des initiatives se font jour aussi dans des quartiers plus modestes, comme le montre Alexandra Bogaert avec l’exemple d’un quartier pauvre de Kélibia, en Tunisie, qui a amélioré sa qualité de vie grâce aux énergies renouvelables et au recyclage (« La ville durable met le cap au sud », Terra Éco, 2013).

Dans les métropoles du Nord, le maintien de son rang dans la compétition des villes innovantes passe aussi par une réflexion sur l’habitat.

Il s’agit d’intégrer les habitats marginalisés, avec les projets de transports urbains, de réfléchir aux continuités et aux circulations, comme le montre le projet de « ville multi-strates » proposé pour le XVIIe arrondissement de Paris.

L’habitat vertical est à nouveau à l’ordre du jour pour réaliser des économies d’espace. Plusieurs tours innovantes surgissent, tant dans les villes du Nord que dans celles du Sud, avec des solutions originales, comme une tour bâtie avec des conteneurs à Mumbai.

« Ces ‘containscrapers’ pourraient abriter 5 000 habitants. Le projet prévoit 2 500 conteneurs empilés et culminant à 400 mètres de haut », relève Quentin Périnel dans Le Figaro (21/08/2015).

La localisation de ces projets montre clairement la volonté d’affirmation des villes des pays émergents. Toutefois, il s’agit là de la mise en oeuvre de concepts issus de la réflexion d’architectes et d’urbanistes du Nord.

Il existe pourtant dans le Sud des solutions originales, visant à pérenniser l’habitat spontané en lui apportant services et transports. Le 7 juillet 2011 a été inauguré à Rio le Complexo do Alemao, premier téléphérique conçu pour désenclaver une favela tout en y apportant un tourisme potentiel.

L’habitat peut aussi être un lieu de recomposition sociale. Les quartiers gentrifiés de Paris, Londres ou New York montrent que des catégories socio-professionnelles supérieures peuvent réinvestir un habitat populaire proche du centre, et dont les personnes défavorisées sont progressivement chassées par la hausse des prix.

À l’inverse, certains quartiers ayant abrité des classes moyennes peuvent se paupériser suite à des phénomènes d’évictions sociales comme on le voit avec certains quartiers de Chicago et comme le montrent de nombreux articles du Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés de Jacques Lévy et Michel Lussault (Belin, 2013).

L’habitat et l’habiter relèvent finalement du mouvant et révèlent à toutes les échelles les recompositions géographiques portées par les forces sociales, économiques et politiques qui façonnent les territoires.

L’habitat reste donc une clef pour continuer à contrôler les espaces que façonnent les hommes.

Pour aller plus loin :

  • Espaces et rapports de domination, sous la direction d’Anne Clerval, Antoine Fleury, Julien Rebotier et Serge Weber, PUR, 400 p., 22 € ;
  • La dimension spatiale des inégalités, sous la direction d’Isabelle Backouche, Fabrice Ripoli, Sylvie Tissot et Vincent Veschambre, PUR, 353 pages, 22 € ;
  • Habiter : la condition géographique, par Olivier Lazzarotti, Belin, 287 pages, 27,10 € ;
  • Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés, par Jacques Lévy et Michel Lussault, Belin, 1 034 pages, 39 €.

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