Un reflet de la puissance dans un monde ouvert
Moteurs de la mondialisation, les investissements internationaux reflètent assez précisément l’état des flux et des forces qui structurent l’économie.
Les seuls investissements direct étrangers (IDE), dits Greenfield dès lors qu’ils ne sont pas spéculatifs, mais créateurs d’emplois et d’activités nouvelles, pâtissent de la morosité de l’économie mondiale : – 31 % en volume depuis 2008, – 8,7 % pour la seule année 2015 selon la dernière étude KPMG pour Paris Ile-de-France Capitale Economique (04/02/2016).
La concurrence pour attirer ces flux est d’autant plus vive. Et deux grandes caractéristiques s’affirment ces dernières années. D’une part, le « renversement du monde » au profit de la zone Asie-Pacifique, au détriment de l’Europe (et en son sein singulièrement de la France).
D’autre part, le rôle moteur des grandes métropoles, qui constituent une sorte d’archipel de dynamisme et de croissance parfois indépendamment de leur « hinterland » national ou régional. L’exemple du Grand Paris est significatif.
« À l’heure de la guerre économique, la capacité d’un territoire à attirer capitaux, technologies et emplois, surtout qualifiés, est décisive, rappellent Pascal Gauchon et Jean-Marc Huissoud dans Les 100 mots de la géopolitique (Puf, Que Sais-Je ? n°3829, 2010).
Non strictement économiques, « les facteurs de l’attractivité sont multiples : l’image, la qualité de vie et de l’environnement (héliotropisme, hydrotropisme), les conditions de travail (salaires, productivité, niveau de formation…), la proximité d’un marché de consommation ou encore de centres de décision, un territoire aménagé (accessibilité des voies routières et autoroutières, connexion Internet…) ou certaines facilités juridiques ou fiscales. Certains espaces disposent d’un avantage indéniable ; c’est le cas des métropoles, des littoraux (celui de la Chine représente 14 % de la superficie pour 41 % de la population et 80 % des IDE), de certaines régions (bassin rhénan, Irlande, Californie…) ».
Résultant généralement d’un volontarisme politique, l’attractivité « alimente ainsi une véritable guerre géographique, corollaire spatial de la guerre économique ».
L’affirmation croissante de la zone Asie-Pacifique
Les chiffres de l’attractivité sont parfois contradictoires dans la mesure où, comme tous les classements internationaux, indépendamment des critères retenus, ils reflètent des rapports de force et d’influence entre acteurs.
Ceci rappelé, l’édition 2016 du Global Cities Investment Monitor du cabinet de conseil et d’audit KPMG constitue un baromètre sérieux des tendances du moment.
Avec un recul de 10 % en un an, l’Europe apparaît moins affectée par le repli général des investissements internationaux observés en 2015 que les zones Amérique Latine (- 21 %), Moyen Orient ou Afrique (- 20 %).
Mais elle résiste moins bien que l’Asie-Pacifique et l’Amérique du Nord (- 3 %) et perd surtout sa place de première zone de destination des investissements internationaux au profit de l’Asie (34 % contre 33 % pour les pays européens, qui restent cependant les premiers investisseurs Greenfield à travers le monde).
« Pour la première fois depuis la création de l’Observatoire [KPMG], l’Asie dépasse l’Europe, grâce notamment au développement des investissements intra-zone. Une véritable place forte asiatique est en train de se consolider depuis plusieurs années, analyse Jay Nirsimloo, président de KPMG.
En parallèle, une concentration s’opère sur le digital qui représente désormais un quart des investissements à travers le monde. Les métropoles les plus attractives demain seront celles qui arriveront notamment à attirer les investissements asiatiques et à développer leur image technologique. »
Une étonnante résilience européenne
« En 2015, l’attractivité de l’Europe s’est, contre vents et marées géopolitiques, économiques et migratoires, à nouveau inscrite dans une trajectoire de croissance » observe pour sa part le cabinet Ernst & Jung dans son baromètre 2016 de l’attractivité de la France, qui s’attache aux seuls projets d’implantations internationales.
« Mis à mal par une décennie de crises, les 42 pays de l’Europe économique ont accueilli un nombre record de 5 083 implantations internationales, soit 217 666 emplois portés par des investissements étrangers. »
Par comparaison, le nombre des projets d’implantations était de 3 908 en 2011 et de 4 448 en 2014 (soit + 14 % en un an).
Les explications tiennent à des facteurs externes : croissance décevante de l’économie chinoise, incertitudes ou retards de certains marchés émergents, baisse des prix du pétrole ou encore quasi parité euro-dollar.
Mais « s’y ajoutent des conditions macroéconomiques et financières améliorées dans la zone Euro (une croissance de +1,5 %), une reprise de la consommation soutenue par des taux bas et des politiques budgétaires de soutien à la demande » – soit le résultat de décisions endogènes et de particularités locales.
Pour preuve, le creusement des écarts constaté au sein de l’espace européen. « Le Royaume-Uni et l’Allemagne dominent le classement et creusent l’écart sur toutes les autres destinations […] La ‘Destination UK’ bondit de 887 à 1 065 projets. Et l’Allemagne poursuit sa dynamique des 10 dernières années, avec une croissance de 9 % (de 870 à 946 implantations). À eux deux, ils concentrent près de 4 implantations ou extensions sur 10″.
Résultat : l’espace européen est largement dominé par le « moteur anglo-allemand », tandis que s’affirme la dynamique de pays hier secondaires comme la Pologne, la Hongrie et la Roumanie.
Par comparaison, la France apparaît comme l’homme malade de l’Europe. « La France ne suit pas le dynamisme européen avec un nombre de projets d’investissements étrangers en diminution de 2 % (598 en 2015). Si la progression des emplois créés par ces projets (+8 %) est une bonne nouvelle, elle reste à relativiser par rapport à la dynamique européenne (+17 %). »
Selon Marc Lhermite, associé chez EY, « en 2015, la France enregistre la seule et unique baisse parmi le Top 15 européen. Alourdie par son manque de flexibilité et de compétitivité prix, elle ne tire pas profit d’une image moins clivante et du bol d’air de la ‘French Tech’ pour attirer les centres de recherche, sièges sociaux et activités numériques qui lui font défaut. » 72 % des décideurs internationaux jugent la fiscalité française peu ou pas du tout attractive et son niveau de charges sociales est regretté par 73 % d’entre eux.
Certes, la France a continué d’accueillir plus d’implantations d’usines (212) que le Royaume-Uni (183) et l’Allemagne (142), mais sans réussir à freiner globalement sa désindustrialisation ni à se positionner sur les segments les plus porteurs.
La France distanciée
Le recul relatif de la France est encore plus manifeste pour les centres de décision des entreprises, hautement stratégiques car il s’agit d’activités à forte valeur ajoutée, susceptibles d’effets d’entraînement importants pour l’économie locale et la demande de services qualifiés (conseil, audit, services bancaires).
Ainsi, le conseil d’analyse économique (CAE) placé auprès du Premier ministre relève une grande concentration de ces centres de décision, en Europe, dans quatre pays : Allemagne, Belgique, France et Royaume-Uni (72 % des localisations à eux seuls en 2012).
Mais « entre 1980 et 2012, la France recule de la 1re à la 4e place, tandis que l’Allemagne passe de la 4e place à la 1re. Lorsqu’on prend en compte la taille des centres de décision, le Royaume-Uni est clairement premier sur toute la période. La France n’est que 6e en 2012, en net recul par rapport à 1980, tandis que les Pays-Bas grimpent de la 6e place en 1980 à la 2e en 2012. »
Les principaux pays détenant des centres de décision en France sont avant tout des pays développés, au premier rang desquels les États-Unis (15 % des centres étrangers établis en France, 22 % de l’actif). « Les grands pays émergents sont loin derrière dans ce classement, observe encore le CAE.
La Chine, premier investisseur émergent, arrive en 17e position en pourcentage de l’actif. De fait, la France est loin d’être la destination privilégiée des pays émergents en Europe. Hors considération de langue (Brésil au Portugal, Mexique en Espagne), ces derniers préfèrent l’Allemagne et surtout le Royaume-Uni. »
En termes de décisions d’implantation, la position relative de l’Ile-de-France s’est également lentement érodée jusqu’au milieu des années 1990, avant de se stabiliser. Aujourd’hui, le Grand Paris reste le principal pourvoyeur d’IDE en France (avec Lyon comme « première métropole challenger » selon EY), et réussit à se maintenir dans le top 5 mondial des villes les plus attractives derrière la Sillicon Valley, New York, Shanghai et Londres.
C’est ce que souligne l’étude KPMG, il est vrai commanditée par l’agence de promotion Paris Ile-de-France Capitale Economique. En attirant 52 % des investissements réalisés en France, la région parisienne perd deux places en un an à l’échelle mondiale mais « joue à plein son rôle de locomotive nationale ».
Partout, la tendance générale est à la concentration croissante des projets dans les grandes métropoles mondiales. Au risque d’accentuer l’écart entre les « gagnants » et les « perdants » de la mondialisation.
Laquelle est de plus en plus perçue, selon l’expression de l’économiste américain Larry Summers dans le Washington Post (10/04/2016), « comme un projet mené par les élites au profit des élites » – et au détriment des classes moyennes, progressivement chassées de ces centres urbains qui savent tirer profit de la « guerre géographique » en cours.
Pour aller plus loin :
- Baromètre EY (Ernst & Young) de l’attractivité de la France 2016, www.ey.com, 24/05/2016 ;
- Global Cities Investment Monitor 2016, KPMG pour Paris Ile-de-France Capitale Economique, www.kpmg.com, 04/02/2016 ;
- « L’attractivité de la France pour les centres de décision des entreprises », note du conseil d’analyse économique (CAE) n°30, www.cae-eco.fr, avril 2016.
Sorry, the comment form is closed at this time.