Sep 182014
 

Le potentiel insoupçonné de territoires français méconnus

À l’heure où, les 20 et 21 septembre, la France s’apprête à honorer son patrimoine, il est opportun de rappeler que ce patrimoine ne se borne pas au seul Hexagone. Grâce à ses terres d’outremer, et depuis la convention sur le Droit de la mer de Montego Bay instaurant les ZEE (zones économiques exclusives), la France peut revendiquer le second espace maritime mondial, soit plus de 10 millions de km2. Un patrimoine incroyablement diversifié, riche d’histoire et porteur de promesses. Comme l’écrit le vice-amiral Olivier Lajous dans la Revue Défense Nationale, « loin d’être un espace vide et sans enjeux, la mer est de plus en plus au coeur de la compétition politique et économique internationale. En témoignent les nombreuses revendications liées aux extensions du plateau continental et les tensions entre pays dans la ruée vers ‘l’Eldorado géologique’ des sols et sous-sols marins »

Quand on demande à un honnête homme (connaissant néanmoins un peu sa géographie) quelle est la superficie de la France, il répond d’emblée : 550 000 km2. En réalité, la surface terrestre de la France se monte à 675 000 km2. La cause de cet écart ? L’oubli de l’outremer et de près de 2,5 millions de Français qui y vivent. Or, contrairement aux idées reçues, nombre de ces îles et territoires sont devenus français avant bien des territoires de Métropole, explique le vice-amiral Emmanuel Desclèves dans les colonnes de la Revue Défense Nationale, citant les exemples de Saint-Pierre-et-Miquelon en 1534, la Martinique en 1635, La Réunion en 1642, la Guyane en 1676, Kerguelen en 1722, la Terre Adélie en 1840, la Polynésie en 1842, la Nouvelle-Calédonie en 1853…

Un rappel utile quand on sait que la Franche-Comté ne devint française qu’en 1678 et Nice en 1860. Jadis, Espagnols puis Britanniques ont pu se targuer de ce que le soleil ne se couche jamais sur leur empire. Le vice-amiral Emmanuel Desclèves souligne que la France est aujourd’hui le seul pays à pouvoir revendiquer cette qualité. Bien sûr, cet immense domaine n’exerce pour l’instant une fascination que pour les spécialistes et les rêveurs d’espaces lointains. Aussi, « certains envisagent même de céder les droits souverains attachés à des îles isolées, comme par exemple Tromelin dans l’océan Indien ou Clipperton dans le Pacifique. »

Mais comme il le rappelle, il se pourrait fort bien que d’ici peu, « lorsque les zones côtières surexploitées seront devenues insuffisantes, on se rendra compte de l’importance première de cet immense réservoir de ressources vierges en plein océan, déjà convoité et parfois pillé par d’autres, notamment dans le Pacifique Sud et l’océan Indien. »

Des territoires stratégiques

L’intérêt stratégique des outremers est aussi évident que méconnu. Or, comme l’explique le vice-amiral Olivier Lajous, toujours dans le récent numéro que la Revue Défense Nationale consacre aux « enjeux ultramarins », « plates-formes avancées de la France et de l’Europe sur les trois océans, les territoires d’Outre-mer sont en première ligne pour la conduite d’actions de coopération régionale en matière de sécurité océanique et d’accès à l’espace et aux ressources maritimes. Stratégiquement placés à proximité des routes maritimes, ils peuvent abriter des ports de redistribution régionale de marchandises. Lieux uniques au monde par leur diversité exceptionnelle, ils peuvent servir de modèles dans la conciliation entre les activités économiques et la préservation de l’environnement. Leur environnement marin les prédispose également à la recherche et au développement en matière d’énergie, de santé et d’alimentation à partir de la biomasse marine. »

De fait, ces territoires constituent de formidables atouts pour nous positionner favorablement sur la scène internationale. Pour preuve : notre présence y est plus ou moins directement mais assez régulièrement contestée. Par exemple le 17 mai 2013, lorsque l’Assemblée générale de l’ONU a voté une résolution reconnaissant « le droit de la Polynésie française à l’autodétermination » et l’inscrivant sur la liste des « territoires à décoloniser« . Une initiative certes non contraignante mais faisant suite à une agitation de même nature en décembre 2012 à propos de la Nouvelle-Calédonie, dont on sait que l’Australie et la Nouvelle-Zélande, notamment, voudraient nous chasser…

Prendre un peu de recul permet de mieux saisir comment les intérêts géopolitiques d’hier, d’aujourd’hui et de demain peuvent perdurer de manière parfois surprenante à travers les siècles. « Du Tombeau des rois aux Kerguelen, des Domaines français de Sainte-Hélène aux îles Chesterfield, le tour du monde des possessions françaises ravive d’abord de lointains souvenirs historiques. Reliquats des entreprises monarchiques et impériales, vestiges des courses lointaines de la marine à voile, elles semblent de pauvres reliques au musée des ambitions déçues et des plans contrariés. »

Haut fonctionnaire et maître de conférences à Science Po, Bruno Fuligni aime ainsi rappeler l’existence de ces extensions méconnues de notre patrimoine, en évoquant dans son Tour du monde des terres françaises oubliées (éditions du Trésor, 2014) la genèse de ces lointaines terres françaises désertes.

Par exemple des TAAF. « Des quoi ? » diront la plupart de nos contemporains… Les TAAF, ce sont les Terres australes et antarctiques françaises. « Seule collectivité territoriale dépourvue de population permanente et non représentée au Sénat, les TAAF constituent aussi une administration exemplaire, capable d’envoyer des missions scientifiques et d’acheminer un ravitaillement conséquent dans les postes avancés de la France circumpolaires ».

Et Bruno Fuligni d’expliquer : « Les TAAF puisent leurs origines historiques dans les expéditions du chevalier de Kerguelen vers le ‘Troisième Monde’ à partir de 1772 : c’est le temps où le roi de France et ses géographes rêvent d’un immense continent austral qui resterait à découvrir. Dépossédée de ses principales colonies américaines, la monarchie française a l’espoir d’une seconde chance dans le partage des terres émergées. Après l’Ancien Monde et le Nouveau Monde, un Troisième Monde doit donc un jour sortir des brumes, aux fins fonds des mers du Sud »

Un intérêt géopolitique croissant

Ces territoires longtemps méconnus, sinon oubliés, ressurgissent aujourd’hui sur le devant de la scène géopolitique. Un récent article du Figaro (19/07/14) consacré à « ces îlots français du bout du monde convoités pour leur pétrole », met très justement en relief l’intérêt de ces positions. « Juan de Nova, les Glorieuses, Europa, Bassas de India… ces poussières d’empire français ‘oubliées’ dans l’océan Indien, répertoriées sous le nom d’îles Éparses, attisent les convoitises d’États riverains du canal du Mozambique. Cet attrait ne se justifie pas seulement pour leurs eaux très poissonneuses, mais surtout parce que le sous-sol de ces îlots regorgerait d’hydrocarbures. L’enjeu est de taille : concrètement, les eaux territoriales françaises représentent plus de la moitié de la superficie du canal du Mozambique. Et plusieurs études ont évalué ses réserves, entre 6 à 12 milliards de barils de pétrole et de 3 à 5 milliards de m³ de gaz. » Et le journaliste de rappeler qu' »un rapport datant de 2010 de l’United States Geological Survey a même qualifié le canal du Mozambique de ‘prochaine mer du Nord en puissance’. »

Aussi ne faut-il pas s’étonner des revendications d’États voisins contestant les recherches pétrolières françaises dans ces zones. Enjeux stratégiques, édité par Défense, la revue de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), vient d’ailleurs de publier un numéro spécial consacré à « l’île de La Réunion et la zone sud de l’océan Indien ».

Une ‘carte maîtresse de l’avenir’

Pour mémoire, précise dans la Revue Défense Nationale Christophe de Margerie, PDG de Total, « en 2010, le pétrole extrait en mer a assuré près du tiers de la production mondiale de brut. La situation est assez semblable pour le gaz. La production offshore est présente dans de nombreuses régions du monde : mer du Nord, golfe du Mexique, golfe de Guinée, et de l’autre côté de l’Atlantique Sud, les côtes du Brésil et de l’Argentine, sans oublier l’Arctique, l’Asie du Sud-Est, l’Australie ou certaines mers intérieures comme la Caspienne… »

Mais, précise-t-il avec pertinence, « le rôle de la mer dans l’approvisionnement des habitants de la planète en énergie n’est pas circonscrit aux hydrocarbures, si importante soit la place actuelle et future de ceux-ci dans le bouquet énergétique. La mer est en elle-même, et sous des formes très variées, une source d’énergie appelée à un développement certain, pour autant que le progrès des technologies et les économies d’échelle permettent de le faire dans des conditions économiques satisfaisantes : la force des courants, celle des marées, celle des vagues peuvent devenir des ressources inépuisables pour la production d’électricité. » De fait, conclut-il, « l’énergie et la mer ont des liens étroits et durables. »

Le pragmatisme de Christophe de Margerie rejoint ici le constat de l’écrivain et historien Bruno Fuligni, qui constate qu’en un siècle « où l’influence des États ne vaut qu’à l’échelle planétaire, où les ressources halieutiques, les ‘énergies bleues’ et les gisements subaquatiques deviennent des enjeux de puissance, le legs absurde des baleiniers, explorateurs, aventuriers et autres trafiquants de guano peut se révéler une carte maîtresse de l’avenir. »

Pour aller plus loin :

  • Enjeux ultramarins, Revue Défense Nationale, n° 765, décembre 2013, 136 p., 15 €, www.defnat.fr ;
  • L’île de La Réunion et la zone sud de l’océan indien, revue Enjeux stratégiques, n° hors-série de la revue Défense, 78 p., 12 €, www.union-ihedn.org ;
  • Tour du monde des terres françaises oubliées, par Bruno Fuligni, éditions du Trésor, 143 p., 17 €.