Texte : Alain Nonjon
Quoi de plus bucolique qu’Ebola, littéralement l’« eau blanche », une petite rivière qui coule près du village de Yambuku, au Nord de la République démocratique du Congo ? Difficile de penser que les fièvres hémorragiques intenses, à l’origine de la mort d’un directeur d’école et d’une religieuse en septembre 1976, allaient devenir en 2014 une épidémie majeure. Le virus va rapidement être classifié pathogène de classe 4, donc hautement dangereux.
Ebola et les grandes peurs du continent noir
L’épidémie Ebola gagne, entre 1976 et 2012, quatre pays d’Afrique centrale et orientale : la RDC, le Gabon, l’Ouganda et le Soudan. Les rapports sont immédiatement effrayants car le virus affecte les chauves-souris frugivores qui auraient à leur tour contaminé des milliers de grands primates, d’autres animaux sauvages, et marginalement les hommes. Sa transmission serait simple : le sang, la salive, la sueur, les excréments, la peau. Ebola est létal jusqu’à neuf fois sur dix pour la souche « Zaïre », principale responsable de l’épidémie actuelle, et deux à cinq fois sur dix pour les autres souches. L’absence de traitement et de vaccin homologué complète le scénario d’apocalypse… surtout quand l’aire de diffusion du virus s’étend en mars 2014 en Guinée forestière, puis au Liberia et en Sierra Leone… Le virus se propage inexorablement en Guinée — après avoir touché les zones rurales du sud (Guékédou, Macenta, Kissidougou), il atteint la capitale, Conakry, et se diffuse vers le nord (Télimélé). La bataille des chiffres ente l’Organisation mondiale de la santé et Médecins sans frontières accroît le trouble. En novembre 2014, le bilan des victimes est majoré de 1 200 morts en une semaine, atteignant 6 928 morts au 29 novembre 2014 et 16 169 contaminés. Pour Margaret Chan, directrice de l’OMS, « la lutte est rendue difficile par la pauvreté des pays touchés et la fragilité des systèmes de santé ». Ebola peut remplir désormais sa fonction d’exutoire à toutes les grandes peurs… et impose une stratégie de fermeture des frontières (Sénégal), de mise en quarantaine des pays touchés (l’ Arabie Saoudite refuse des visas pour le pèlerinage de La Mecque, le Maroc suspend sa contribution à la Coupe d’Afrique des nations malgré les sanctions encourues).
Ebola, metteur en scène des démons du passé africain
– Les « négrologues » sont de retour : ils relisent avec une certaine délectation morbide le lourd tableau clinique de toutes les épidémies du continent, de tous les risques. Ils savent pourtant que « le regard porté sur l’Afrique est plus meurtrier que ce qui s’y passe réellement », comme l’affirme Kofi Yamgnane, ex-secrétaire d’État français d’origine togolaise.
– Les frileux paranoïaques qui ont longtemps ostracisé le continent feignent d’ignorer que l’impact est régional et que les images de détresse qui font la une des réseaux sociaux — par exemple une Libérienne qui affirme haut et fort « I am a Liberian not a virus » — sont insoutenables.
– Les adeptes des théories du complot se font les caisses de résonance des amalgames les plus douteux : le virus serait un complot de l’Occident, preuves à l’appui… N’y a-t-il pas une firme canadienne, Tekmira, qui aurait lancé des essais cliniques d’un médicament contre Ebola à peine quelques semaines après la détection des premiers cas ? L’Occident ne serait-il pas à l’origine d’un virus dont la marchandisation serait source de profits ? Bardés de certitudes, ils s’aventurent aux limes du ridicule : Ebola ne ferait-il pas partie d’un complot pour briser la renaissance africaine et défier ce continent qui est reparti, qui ose au début de ce siècle afficher une croissance insolente et l’émergence de ses classes moyennes, pour devenir un marché prometteur ? Pire, les agents de santé venus de l’Occident ne seraient-ils pas les séides chargés de transfuser, donc « de voler le sang des malades pour le vendre » ?
– Les populistes et extrémistes se reconnaîtront dans les propos de Jean-Marie Le Pen, le 20 mai 2014 : « Monseigneur Ebola peut régler en trois mois l’explosion démographique africaine », et par là même les problèmes d’immigration de la France (N.D.L.R.)…
– Les statisticiens de la camarde brossent le tableau des pandémies et épidémies africaines et énumèrent la méningite, le typhus, le choléra, le sida…
– Les pseudo-pragmatiques ont tôt fait de dénoncer le télescopage entre modernité et pratiques culturelles et cultuelles : laver les corps avant de les inhumer, acte rituel mais suicidaire.
– Les nostalgiques de la colonisation verront un étrange rappel de l’histoire avec le partage des tâches hérité de cette période : l’Amérique s’occupe du Liberia, ex-colonie fondée par des esclaves américains affranchis, la Grande-Bretagne de la Sierra Leone et la France de la Guinée…
– Les déclinistes africains se croiront confortés avec l’impact économique désastreux pour les pays touchés parmi les 48 pays les moins avancés (PMA) mondiaux : déjà, le secteur minier guinéen est en panne, les IDE boudent, les recettes fiscales s’effondrent, l’agriculture stagne, la mobilité intérieure est figée, les projets (mines de Simandou, plus grande réserve de minerai de fer au monde) sont suspendus.
Ebola et la « véritable pop culture mondialisée du drame sanitaire »
Pour l’historien de la santé Patrick Zylberman, les maladies émergentes sont d’excellents synopsis de séries à sensation. Dans la série américaine Seven Days (ou Sept jours pour agir, 1998-2001), une souche d’Ebola tue 98 % de la population mondiale ; dans la saison 3 de 24 heures chrono (2003-2004), un cartel mexicain répand à Los Angeles le virus Cordilla, inspiré d’Ebola. Dans le film 28 Jours plus tard, en 2002, le Britannique Danny Boyle met en scène un groupe d’écologistes qui libèrent des singes atteints par une sorte de virus Ebola, qui anéantit Londres. Ebola est suffisamment « gore » dans ses effets pour que l’audimat soit assuré. L’Afrique et ses virus se prêtent bien à tous les scénarios de fin du monde.
L’apocalypse est dans les chiffres de létalité d’Ebola — plus de 7 000 victimes pour l’épidémie actuelle avec des accélérations dues à la prise en compte de retards statistiques — et dans sa résistance, puisque le virus est connu dès 1976. Bien sûr, la comparaison avec d’autres épidémies laisse perplexe… En 2012, le sida a fait 1,5 million de morts, les maladies diarrhéiques 1,5 million, les pneumonies 3,5 millions, la tuberculose 1,3 million, et en une année le paludisme serait responsable de 627 000 morts selon l’OMS, principalement des enfants africains. Mais le taux de mortalité est si élevé une fois contaminé qu’Ebola est en bonne place dans l’échelle de l’horreur.
Ebola : test d’une Afrique qui se réveille…
Après le Sénégal, le Nigeria a été lui aussi déclaré « Ebola free » par l’OMS. C’est le témoignage le plus concret d’une Afrique qui s’éveille et devient « indispensable à elle-même et responsable d’elle-même ». Le Nigeria a su identifier et suivre les sujets contaminés, expliquer les comportements à risque, mettre de nombreux contre-feux à l’invasion virale, notamment en développant une application Android permettant aux équipes sur le terrain d’avoir accès aux résultats des analyses en un temps record. Le Nigeria ne se contente plus d’être le pays le plus peuplé d’Afrique (450 millions en 2050) et de posséder le premier PIB réajusté du continent, il sait gagner la bataille contre Ebola — plus rapidement que celle contre l’islam radical de Boko Haram.
La fin de la mise en quarantaine de la Guinée par l’establishment mondial, le « refus de la stigmatisation » ont commencé avec la visite (« très symbolique » pour le président guinéen Alpha Condé) de François Hollande, en route vers le sommet de la francophonie à Dakar. C’est le premier et seul chef d’État occidental à faire cette démarche dans le pays le plus touché par l’épidémie (1 200 morts). Cette solidarité hautement emblématique vise à mettre en place des structures sanitaires et des unités de soignants à Manéah (banlieue de Conakry) en attendant la mise au point d’un vaccin, l’introduction de tests en six heures au lieu de quelques jours… Mais l’escale de F. Hollande permet surtout de renforcer les liens avec un pays qui a toujours dénoncé la Françafrique, allant jusqu’à refuser la constitution proposée par le général de Gaulle pour établir une communauté franco-africaine avant le vote de l’indépendance.
L’urgence conduit à accélérer les recherches après trente ans de négligences : un vaccin prometteur préventif est en test clinique aux États-Unis et un traitement curatif est expérimenté par Médecins sans frontières : le favipiravir, mis au point contre la grippe par le laboratoire japonais Toyama Chemical, est testé. L’université d’Oxford est aussi au chevet des malades avec un médicament antiviral américain, le brincidofovir, et le transfert de plasma de sang de malades guéris aux personnes infectées.
Bref, Ebola, au cœur des risques de la mondialisation (le commerce et les trafics de viande animale, notamment de chauve-souris, très prisée), serait éradiqué par la mondialisation : chercheurs, industries pharmaceutiques, laboratoires (24) essentiellement américains. Les États-Unis ont d’ailleurs développé une paranoïa sans égale — une dizaine de cas d’infection y ont été décelés dont un seul a entraîné la mort —, confirmant que l’hyperpuissance américaine depuis le 11 septembre 2001 vit toujours dans la peur de l’Autre. Maigre consolation pour le continent africain !
Cartographie et textes : tous droits réservés par Groupe Studyrama pour Grenoble Ecole de Management.
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