Mai 092019
 

La trajectoire fulgurante de Facebook

CE24-1Depuis février 2004, l’application conçue par Mark Zuckerberg aura su séduire et fidéliser plus de 2,32 milliards d’utilisateurs mensuels dans le monde.
Si les Chinois ou les Iraniens, entre autres, sont toujours privés de ce système d’échange trop occidental et menaçant, 33 millions de Français restent aujourd’hui fidèles au petit logo bleu. 

En 2019, les 35.500 salariés de Facebook vont générer un CA supérieur à 69 milliards de dollars et une marge pharaonique de 24…

Mais au même moment, l’entreprise est sous le coup d’une amende de 3 milliards de dollars par la Federal Trade Commission, suite à la tornade Cambridge Analytica et aux doutes récurrents sur sa probité.

Aujourd’hui, navigant entre résultats financiers hors normes, bad news ravageuses et repentirs platement contrits, Facebook poursuit un développement insolent et son créateur semble de moins en moins cacher des ambitions d’une tout autre nature…

C’est le récit de cette aventure atypique que nous livre Daniel Ichbiah, expert du Net et de ses coulisses, dans l’ouvrage qu’il consacre à Facebook et son créateur, Marc Zuckerberg, « génie visionnaire, devenu l’homme le plus influent de la planète. Le plus secret aussi ».

La construction du plus puissant média d’influence

Comme plusieurs stars du Web, Facebook est né dans des conditions à la fois modestes et insolites.

Quinze ans plus tard, il s’impose comme le média d’influence le plus puissant du monde.

À l’origine de cette aventure inédite, il y a un étudiant discret et brillant, geek passionné de programmation, tout juste admis à Harvard.

Avec quelques condisciples, il rêve de faciliter les relations entre étudiants en diffusant sur le réseau un “trombinoscope” amélioré du campus.

Nous sommes en 2002 et déjà se profile le “Web 2.0” qui, replaçant les utilisateurs au centre du système, va donner naissance à la révolution planétaire des réseaux sociaux.

Mark Zuckerberg va collaborer au développement de plusieurs applications de ce type qu’il abandonne très vite.

Dès 2003, il jette les bases de “TheFacebook”, un réseau permettant aux étudiants de Harvard de créer des communautés d’intérêt et favorisant toutes les formes de contact.

L’application est officiellement lancée le 4 février 2004. Au bout d’un mois, TheFacebook a déjà réuni plus de 10.000 utilisateurs !

Une quinzaine d’années plus tard, devenu Facebook, il revendique 2.2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, un CA de 40,6 milliards de dollars et un bénéfice de 15,9…

Ces chiffres spectaculaires illustrent bien la puissance d’influence du nouveau média et l’efficacité de sa stratégie.

Facebook a été développé, amélioré et enrichi dans plusieurs directions, mais toujours en suivant l’idée-force inscrite dans son slogan : Rendre le monde ouvert et connecté.

La croissance du site a d’abord reposé sur l’élargissement de son marché, depuis les étudiants de Harvard jusqu’aux foyers du monde entier.

“Entre 2008 et 2010, précise Daniel Ichbiah, la base d’utilisateurs de Facebook s’est multipliée par dix, passant à plus de 500 millions […] près de la moitié des Américains ont un compte. Mieux encore, le site est présent dans cent quatre-vingts pays et touche un douzième de l’humanité !” (1)

Une telle progression planétaire s’appuie sur une montée en gamme régulière du site.

Mark Zuckerberg n’a jamais caché ses ambitions : ”Nous sommes en train d’édifier Facebook en vue d’un succès à long terme. Quelque chose comme Google” (2), affirmait-il devant la presse.

Le CEO décide lui-même des développements qui sont tous soigneusement évalués à l’aune de leur utilisation réelle.

Car “toute nouvelle fonction […] doit aider à amener de la croissance. Sinon on s’en débarrasse…” (3)

Améliorations ergonomiques et graphiques, gestion des images, choix des règles de confidentialité et, en 2006, introduction du fameux “fil d’actualité”, toutes ces mises à jour adroitement proposées entretiennent la fidélité des clients.

Viendront ensuite les “applications tierces” et les “social games” accessibles sur le site qui vont faire exploser les chiffres de connexion.

Les jeux vont aussi ouvrir la voie d’une monétisation des services en proposant, par exemple, des avantages compétitifs ou des accessoires virtuels, mais payables en dollars bien réels…

De plus, Facebook a enrichi son offre native en rachetant plusieurs applications fameuses comme Beluga, Instagram, WhatsApp ou Messenger.

Mark Zuckerberg a très vite compris l’importance qu’allaient prendre les mobiles dans la croissance du net et de Facebook.

Le 11 septembre 2012, à la conférence TechCrunch Disrupt de San Francisco, il annonce que son site aura réussi sa mutation vers les plateformes mobiles, iPhone et Android, avant cinq ans.

La multiplication des utilisateurs exige de très lourds investissements en serveurs.

Dès ses débuts, Facebook a donc accueilli des annonces publicitaires qui “permettent de payer les factures”, comme s’en excusait Mark Zuckerberg dans un post.

Sous la pression des besoins croissants en infrastructures, Facebook va développer ses offres commerciales, attaquant de front les marchés traditionnels de la publicité et son concurrent direct, Google.

Aujourd’hui, les produits publicitaires assurent 98% des revenus de l’entreprise qui, par ailleurs, se rémunère sur les applications tierces, les jeux embarqués et l’exploitation discrète des fameuses “big data”, que lui offrent, à leur corps défendant, ses propres clients.

Ainsi, en suivant une stratégie méthodique et continue, Facebook a su bâtir un véritable écosystème à l’intérieur duquel plusieurs “killer applications” interopérables offrent un nouvel “operating system” à notre quotidien : il est devenu possible, pratique et souvent plaisant de vivre “sans sortir de Facebook”, à condition toutefois d’accepter (ou d’ignorer…) le sacrifice de nos vies privées.

Une nouvelle cryptomonnaie, “Facebook coin”, complétera, par un volet financier indépendant et rémunérateur, cet univers très fermé.

L’art de résister aux “bad uses” et aux “bad news”

Le succès mondial de Facebook dissimule cependant plusieurs faiblesses à l’origine de polémiques fréquentes.

La première réside dans le peu de moyens et de zèle consacrés à surveiller et réguler les échanges.

Facebook et ses concurrents ont longtemps nié toute responsabilité au prétexte que le détenteur des “tuyaux” ne pouvait répondre de ce qu’ils transportent.

Mais la multiplication des fake news a récemment révélé l’urgence de la question et ravivé ce débat. 

En mars 2017, l’ONU a reproché au réseau social (4) d’avoir assumé “un rôle déterminant” dans la diffusion d’appels à la haine contre les Rohingya auprès des 30 millions de Birmans utilisant l’application.

Plus récemment, le massacre de Christchurch, annoncé d’abord puis diffusé “en live” sur Facebook, a démontré une nouvelle fois l’incurie de Facebook.

L’entreprise a cependant reconnu que “son réseau [avait] été utilisé pour attiser la violence en Birmanie.” Et d’ajouter : “avant cette année, nous n’avons pas fait assez pour empêcher que notre plateforme ne serve à envenimer les divisions et à provoquer des violences physiques. Nous admettons que nous pouvons et devons faire plus”.

Le 30 mars 2019 (5), Mark Zuckerberg en personne demandait aux Etats de légiférer pour garantir eux-mêmes la régulation des échanges.

Par ailleurs, le site a banni de ses plateformes plusieurs complotistes américains et autres personnalités controversées.

Reste cependant un problème de fond auquel Facebook ne peut ou ne veut pas répondre : le flou de la frontière instaurée entre les données privées et les autres…

Par exemple, malgré le secret absolu dont sont entourées ces transactions “B to B”, le New York Times révélait le 19 décembre 2018, que Facebook avait autorisé plusieurs géants du Web (Microsoft, Yahoo, Netflix, Amazon et Spotify) à lire les publications privées de ses utilisateurs et de leurs relations.

Plus récemment, le groupe de Menlo Park aurait approché plusieurs banques (JPMorgan Chase, Wells Fargo et Citigroup) pour négocier le partage discret de données personnelles.

On sait aussi depuis 2013 que, le 3 juin 2009, Facebook a ouvert l’ensemble de ses données aux algorithmes de la NSA, le plus gros espion technologique du monde…

Ces abus délibérés ne doivent pas faire oublier le risque des détournements frauduleux.

Le siphonage par Cambridge Analytica de 50 millions de comptes à des fins d’influence politique a soulevé l’indignation du monde entier.

À la suite de cette affaire, le mouvement “#DeleteFacebook”, a fait perdre plus d’un million de clients à la plateforme et plonger sa valeur de 20% (118 milliards de dollars…) en une seule séance du Nasdaq.

Par ailleurs, Facebook n’a pas réussi à se protéger totalement des pirates.

Ainsi, en septembre 2018, une faille de sécurité a permis une intrusion massive dans des dizaines de millions de comptes, obligeant le site à en déconnecter manuellement 90 millions !

Facebook a terminé 2018 avec une image réellement écornée et un net recul de la confiance de ses clients.

Cependant, démonstration de son poids et de son influence, l’usage de la plateforme et ses résultats financiers n’ont pas cessé de progresser.

La tentation d’un autre pouvoir ?

Même s’il possède à 35 ans la 5ème fortune mondiale, Mark Zuckerberg affirme ne pas être intéressé par la course à l’argent. Il a systématiquement refusé les offres de rachat du site.

Depuis les débuts de son entreprise, il n’a cessé de répéter, et de faire répéter à ses équipes, que leur but était bien… “la domination mondiale (6), ou, plus modestement, “[d’] influencer le déroulement des affaires du monde.”

Les Etats ne s’y trompent pas qui tentent de circonscrire les ambitions et l’influence de Facebook.

Plaintes, procès et amendes colossales s’accumulent dans le flou juridique des activités nouvelles.

Mark Zuckerberg fait généralement profil bas, se confondant en excuses et promettant de corriger ses erreurs. Plus sérieusement, il entretient des cohortes de lobbyistes auprès des administrations et des médias du monde entier.

Pour restaurer l’image d’un groupe richissime fragilisé par l’actualité, Facebook et son CEO affichent volontiers leurs actions caritatives.

Quelques jours avant la sortie redoutée du film The Social Network, Mark Zuckerberg annonce à la star de l’interview, Oprah Winfrey et ses millions de fans, qu’il va distribuer 100 millions de dollars aux écoles publiques de Newark.

Il rejoindra Bill Gates et Warren Betty dans les engagements du “Giving Pledge”.

Dès 2015, la Chan Zuckerberg Initiative organise et finance des actions destinées à « promouvoir l’égalité dans des domaines comme la santé, l’éducation, la recherche scientifique et l’énergie ».

En décembre 2010, Mark Zuckerberg ”Personnalité de l’Année” fait la couverture du Time Magazine, l’hebdomadaire concluant : “Nous sommes entrés dans un nouvel âge. L’Ère Facebook !” 

Reste l’énigme des intentions secrètes du patron de Facebook !

Beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé affirment “qu’il veut devenir empereur” pour contribuer à “répandre la prospérité et la liberté, promouvoir la paix et la compréhension, sortir les gens de la pauvreté, accélérer la science…” (7)

Alors, utopie racoleuse ou projet politique réfléchi ?

Désir d’une autre forme d’influence ?

Les prochaines années révéleront les envies encore cachées de ce créateur exceptionnel et surprenant.

S’agissant d’un éventuel appétit présidentiel, Jean-Louis Gassée (8) en balaye rapidement l’hypothèse : “Pourquoi Zuckerberg irait-il s’ennuyer à gérer les États-Unis, alors qu’il est président du monde entier ?”

Pour en savoir plus : 

Marc Zuckerberg, la biographie – “Il sait tout sur vous. Et vous, que savez-vous sur lui ?”, par Daniel Ichbiah, Éditions de La Martinière, Paris, 2018.

1/ Marc Zuckerberg, la biographie, op. cit., p. 201.

2/ Ibidem, p. 147.

3/ Ibidem, p. 152.

4/ Ibidem, p. 161. 

5/ Dans une tribune signée de son nom, publiée dans le Washington Post aux Etats-Unis, le Frankfurter Allgemeine Zeitung en Allemagne, le Sunday Independent en Irlande et, en France, le Journal du dimanche.

6/ Ibidem, p. 151.

7/ Ibidem, p. 306-307.

8/ Ancien dirigeant d’Apple (1980 – 1990), Jean-Louis Gassée réside dans la Silicon Valley depuis 1985. C’est un des meilleurs connaisseurs de la galaxie Internet.

 

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