Géopolitique de la mer Noire

 Conflits, Frontières, Géopolitique, Puissances, Russie, Turquie, Ukraine, USA  Commentaires fermés sur Géopolitique de la mer Noire
Mar 212019
 

Vers un condominium russo-turc sur les détroits ?

CLES224-2En l’espace de cinq mois, deux événements sans rapport direct sont venus bouleverser les équilibres géopolitiques issus de la Guerre froide que l’annexion de la Crimée par la Russie, en mars 2014, n’avait que partiellement remis en cause. Lire la suite »

Fév 122015
 

Que disent du monde les dernières analyses Coface ?

Le 27 janvier 2015, la société Coface a organisé, au Carrousel du Louvre, à Paris, un important colloque consacré à l’actualité du « risque pays ». Experte des risques commerciaux, anciennement publique et connue pour son offre d’assurance-crédit, Coface est une bonne source d’information. Lire la suite »

Oct 022014
 

La géopolitique expliquée aux agents économiques

Bon nombre d’entreprises pensaient que le « doux commerce » cher à Montesquieu suffirait, sinon à établir la paix entre les nations, au moins à leur éviter les affres de la confrontation géopolitique. L’agent économique s’est longtemps voulu neutre, autonome, indifférent aux questions ne relevant pas de la seule production de richesses pour ses parties prenantes. Lire la suite »

Mar 132014
 

JO de Sotchi, crise ukrainienne et identité russe

La flamme des JO n’était pas encore éteinte à Sotchi qu’un nouveau brasier s’allumait en Ukraine. L’enchaînement des événements, l’inflation des discours, obligent à prendre un peu de distance, en s’interrogeant plus particulièrement sur le rapport entre territoire et puissance en Russie. Le choix initial – longtemps controversé – de la cité du Caucase pour l’organisation des JO, de même que l’attachement viscéral à la Crimée, illustrent combien le pouvoir russe entend valoriser et défendre ses marges comme leviers d’ouverture vers les réseaux de l’espace-monde.
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Mar 062014
 

Derrière les barricades de la place Maïdan

Le 21 février 2014, le président ukrainien Ianoukovitch quittait le pouvoir, après l’échec de la répression brutale de manifestations populaires elles-mêmes de plus en plus violentes, concentrées pour l’essentiel sur la place Maïdan, à Kiev. Ce qui devait être une solution à une crise politique aiguë s’avère déchaîner un nouveau flot d’événements, donnant aux plus âgés d’entre nous l’impression de revivre les grandes heures de « l’automne des peuples » de 1989. C’est dire à quel point on pourrait être tentés d’interpréter ce qui se passe en Ukraine comme un épisode d’une nouvelle guerre froide, entre le camp de la démocratie et celui des régimes autoritaires.
Est-ce si simple ?

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Mar 152011
 

Gazprom, la Russie et l’Europe

Les remous qui secouent les marchés pétroliers en raison des événements politiques en cours dans plusieurs pays du monde arabo-musulman rappellent que l’approvisionnement en énergie peut être soumis à de nombreux aléas. Ce contexte marqué de surcroît par une compétition mondiale croissante pour l’accès aux énergies fossiles et par la crainte, à plus lointaine échéance, d’une raréfaction des ressources, ne fait que renforcer la position qu’occupe notre voisin russe sur l’échiquier énergétique mondial. Dès lors, il n’est pas inutile de se pencher sur l’évolution actuelle du géant gazier et pétrolier Gazprom. Ce consortium doit-il toujours être considéré comme le bras armé du Kremlin ou est-il en passe de devenir une multinationale comme les autres ? Poursuit-il des objectifs géopolitiques ou simplement commerciaux ? Enfin, au-delà, est-il possible d’envisager la naissance d’un partenariat énergétique russoeuropéen ? Une chose est sûre : les réponses à ces questions conditionnent, pour une grande part, la sécurité énergétique européenne.

Les prix du pétrole ont fortement progressés, ces dernières semaines, en raison des crises politiques affectant plusieurs pays du monde arabo-musulman. Selon le président du FMI, Dominique Strauss-Kahn,“il est possible que le pétrole monte à 110 ou 120 dollars le baril.[…] Si la crise dure deux semaines ce ne serait pas trop grave […] mais si la situation perdure au-delà de deux mois, cela affectera le rythme de la reprise pour tout le monde”.Cette instabilité du monde arabe rappelle aux consommateurs européens d’hydrocarbures que leur sécurité énergétique repose sur leur capacité à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Elle vient aussi souligner que le consortium russe Gazprom constitue, plus que jamais, une pièce incontournable de notre dispositif énergétique : premier exploitant et producteur de gaz naturel au monde, c’est aussi, depuis 2005, l’un des acteurs majeurs du marché du pétrole.

Un géant gazier et pétrolier contrôlé par le Kremlin

Gazprom – contraction de Gazovaïa Promychlennost,(l’industrie gazière) – est, à l’origine un consortium d’État ayant remplacé, en 1989, l’ancien ministère soviétique de l’Industrie du gaz. Privatisé en 1992,Gazprom est alors transformé en société par actions, mais l’État russe en conserve 51% du capital. Dirigé par l’oligarque Victor Tchernomirdyne en lien avec le financier Boris Berezovski, Gazprom est, dans les années 1990, une structure peu fiable aux mains d’affairistes n’hésitant pas à utiliser la puissance de l’entreprise à leur seul profit.

Dès 1999,Vladimir Poutine, alors Premier ministre de Boris Eltsine, lance la contre-attaque de l’État en plaçant deux hommes de confiance au cœur du système Gazprom : Alexei Miller et Dmitri Medvedev.Tous deux ont travaillé avec lui au service de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg,Anatoly Sobtchak, dans les années 1990. En 2001, alors que Poutine est élu président de la Fédération de Russie, la reprise en main du géant gazier se confirme : Miller est nommé directeur général de Gazprom tandis que Medvedev y représente l’État, en assurant simultanément les postes de président du conseil d’administration de Gazprom et de vice-premier ministre.

On ne saurait mieux souligner les liens étroits qui lient Gazprom au pouvoir politique. D’autant que Poutine ne cache pas vouloir faire du consortium “un instrument contribuant à rétablir l’influence économique et politique de la Russie dans le monde”.En deux ans, Gazprom devient ainsi un instrument de la puissance russe, apte à négocier avec les plus grands interlocuteurs mondiaux. Medvedev et Miller dirigent en effet une entreprise pesant 350 milliards de dollars en bourse et faisant travailler quelque 445.000 employés à travers le monde. Le groupe russe est devenu l’an dernier l’entreprise la plus profitable au monde devant Exxon et la banque chinoise ICBC.

Gazprom fournit 90 % de la production de gaz naturel russe et 23 % de la production mondiale. Ses réserves sont estimées à 17.800 km3. L’argent généré par ce consortium d’État fournit, en moyenne, 25 % des recettes de l’État et contribue à hauteur de 8 % au PIB. Depuis l’achat, en octobre 2005, de la compagnie pétrolière Sibneft,rebaptisée depuis Gazpromneft,Gazprom détient également une réserve de 170 milliards de barils, ce qui en fait le deuxième plus important acteur dans le domaine du pétrole, derrière l’Arabie saoudite.Outre ses ramifications dans le pétrole, Gazprom est également actif dans le nucléaire et l’électricité (Atomstroyexport), l’industrie (GazpromInvestHolding), la banque (Gazprombank) ou les médias (le groupe de presse Gazprom-medias)…

Gazprom, instrument géopolitique du Kremlin

Une telle puissance ne peut laisser indifférent tant en Russie qu’en Europe où le géant russe suscite sinon la crainte du moins la méfiance. De fait,selon les propres termes deVladimir Poutine,“Gazprom est un puissant levier d’influence économique et politique sur le reste du monde”. Dans son discours au peuple russe, en décembre 2005 le président russe affirmait que les hydrocarbures constituent “le seul domaine grâce auquel la Russie peut dominer la scène internationale”. Et d’ajouter : “Dans les vingt prochaines années, l’Asie et l’Europe seront de plus en plus dépendantes des pays capables de satisfaire leur demande en hydrocarbures.C’est une chance pour la Russie”. Un tel atout ne se néglige pas. Si bien queVladimir Poutine n’hésite jamais à défendre personnellement les intérêts du fleuron énergétique russe. En témoigne sa récente altercation avec le président de la Commission européenne, Manuel Baroso, au sujet de la libéralisation du marché européen de l’énergie.Cette dernière prévoit en effet une séparation entre les producteurs d’énergie et les gestionnaires des réseaux de gazoducs en Europe, une mesure nuisant aux intérêts de Gazprom, propriétaire du plus grand réseau d’acheminement au monde (150.000 km)…

De fait, il est parfois difficile de distinguer la diplomatie russe des activités économiques de Gazprom,tant la politique étrangère du Kremlin épouse le tracé des gazoducs. En effet, il est capital pour Moscou de maîtriser la fourniture d’hydrocarbures de ses clients, en Asie et en Europe – à qui elle fournit 40 % des approvisionnements en gaz et 30 % en pétrole. Pour ce faire, la Russie doit contrôler la distribution à la source, mais aussi le réseau des gazoducs et oléoducs.Elle doit donc exercer son influence en Asie centrale et dans le Caucase, fut-ce aux dépens des compagnies occidentales.

En août 2007, l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS),- au sein de laquelle la Russie et la Chine jouent un rôle majeur – a affirmé la prééminence de Moscou dans l’exploitation des réserves énergétiques centre-asiatiques, au détriment des candidats occidentaux (dont Total), notamment exclus des appels d’offres du Turkménistan. En contrepartie, ce pays a été invité à participer à l’OCS, confirmant le renforcement d’un pôle asiatique mené par la Russie. Depuis cinq ans, le Kremlin et Gazprom se sont donc conjointement efforcés, avec un certain succès, de verrouiller l’Asie centrale afin d’en faire le pré carré de leur stratégie énergétique.

Maîtriser l’acheminement des hydrocarbures

Pour maintenir son rang, Moscou doit aussi maîtriser le circuit de distribution des hydrocarbures. Ceci explique sa volonté de reprendre le contrôle de son étranger proche, notamment l’Ukraine et la Géorgie, ainsi que la mer Noire, principales zones de transit des ressources énergétiques d’Asie centrale.

Confrontés aux bras de fer qui opposent parfois Moscou aux anciens satellites soviétiques, les Européens ont ainsi été contraints de jouer une partition diplomatique délicate : leur intérêt consiste en effet à diversifier leurs sources d’approvisionnement en hydrocarbures,tout en maintenant de bonnes relations avec Gazprom.Car,dans une période de forte concurrence pour l’accès à l’énergie, le fait d’avoir à ses frontières le principal producteur mondial de gaz constitue un atout considérable à ne pas négliger. Y a-t-il, pour autant, un risque de chantage énergétique ? Souvent dénoncé, il est, en réalité, limité tant la Russie a, de son côté, un besoin impérieux de vendre son gaz et son pétrole. La dépendance est donc réciproque.Même au plus fort des tensions avec l’Ukraine – pièce centrale de son dispositif de distribution, puisqu’acheminant 85 % du gaz russe vers l’Union européenne -, la Russie a toujours cherché à honorer ses livraisons de gaz à ses clients européens. Enfin, la mise en place de nouvelles routes d’approvisionnement – North Stream et South Stream – va amoindrir considérablement le nombre des pays transitaires. Même en cas de graves tensions avec l’Ukraine, l’approvisionnement de l’Union ne devrait plus être affecté.

Quelques inquiétudes demeurent toutefois.Ainsi, pour contrer les velléités de diversification européennes,Gazprom s’est rapproché de la Sonatrach,son équivalent algérien, autre grand fournisseur de l’Europe. Selon Roumiana Ougartchinska, chargée de cours au Mastère d’Intelligence économique de l’Ecole internationale des sciences du traitement de l’information,“depuis 2007, Moscou fait régulièrement planer la menace de la création d’une ‘OPEP du gaz’, qui encerclerait l’Union européenne”. Certains y voient une stratégie géopolitique agressive à l’égard de l’Europe.D’autres estiment qu’il s’agit plus simplement d’une habile stratégie d’alliance commerciale dont la finalité n’est pas politique mais économique. En matière d’énergie, la frontière entre les deux domaines est toujours difficile à tracer…

Une multinationale poursuivant aussi
ses propres intérêts économiques et commerciaux

Une chose est sûre toutefois : malgré ses liens persistant avec le Kremlin, Gazprom agit aussi comme le ferait toute multinationale, avec l’objectif de s’assurer de larges parts de marché. Programmation du gazoduc Southstream pour 2015 (avec une participation d’EDF jusqu’à 20 %), découverte et exploitation d’un gisement gazier en Algérie, exploitation de gaz offshore au large d’Israël en 2011… Un simple regard l’actualité permet de constater que Gazprom poursuit aussi ses propres intérêts et dé- veloppe sa propre stratégie à l’échelle planétaire, quitte, parfois, à s’éloigner des priorités diplomatiques du Kremlin. Les managers du consortium sont aussi des hommes d’affaires qui ne veulent pas fragiliser leur entreprise en la mettant au service des seules stratégies politiques d’État. Pour Gazprom, les pays occidentaux ne sont pas des rivaux ou des adversaires. Ce sont des clients bien plus solvables que ceux présents sur le marché intérieur russe au sein duquel le gaz est vendu à prix cassé. Gazprom vient ainsi d’annoncer son souhait d’augmenter de 50 %, en 2011, le volume de gaz naturel vendu aux États-Unis.Au cours du second semestre 2010, le groupe a vendu environ 57 millions de m3 par jour aux États-Unis. Il espère porter ce volume à 85 millions cette année.

L’évolution de Gazprom reflète, du reste, une certaine inflexion de la politique russe sous l’influence de Dmitri Medvedev. Contrairement aux “siloviki” – représentant les structures de force (ministère de l’Intérieur,services spéciaux, complexe militaro-industriel…) -, qui affirmaient vouloir utiliser Gazprom comme une arme contre les adversaires de la Russie, les “civilniki” – partisans de la société civile et de la libre entreprise – veulent, pour leur part,se développer sur le plan économique en évitant les conflits ouverts, préjudiciables au commerce mais aussi au rayonnement du pays. Dès lors, l’objectif de Gazprom n’est plus tant de servir les visées centripètes de Moscou à l’égard de son étranger proche, mais, plus prosaïquement, d’être payé en temps et en heure, au meilleur tarif. Paradoxalement, l’arrivée à la présidence du pays de son ancien patron, Dmitri Medvedev, a favorisé l’émancipation de la multinationale, qui entend de plus en plus distinguer commerce et politique. La vision de Gazprom et celle des civilniki au pouvoir convergent : le libéralisme économique est nécessaire pour permettre à la Russie de s’intégrer dans l’économie globalisée.

Vers un partenariat énergétique
entre la Russie et l’Union européenne ?

Cette nouvelle donne permettra-t-elle que se noue un véritable partenariat énergétique entre la Russie et les pays européens,Gazprom et les compagnies occidentales ? Des réticences subsistent.En Europe, certains persistent à déplorer que Gazprom soit encore contrôlé par l’État. C’est oublier un peu vite que la situation russe est loin d’être exceptionnelle.L’Arabie Saoudite (Aramco), l’Iran (NIOC), le Mexique (PEMEX), leVenezuela (PDVSA), la Norvège (StatoilHydro) ou l’Algérie (Sonatrach) détiennent plus des deux tiers de l’extraction mondiale de pétrole et les quatre cinquièmes de l’extraction de gaz. Et tous ont choisi de placer le secteur énergétique sous le contrôle de l’État. Dans un contexte marqué par une raréfaction annoncée des ressources en hydrocarbures, par une croissance de la consommation mondiale et donc par une concurrence énergétique de plus en plus rude, les liens de Gazprom avec le Kremlin apparaissent un obstacle, somme toute, surmontable. Enfin, du côté russe, certains éprouvent encore une grande méfiance à l’égard des compagnies occidentales soupçonnées de vouloir faire main basse sur les richesses du sous-sol russe.Toutefois, ces visions quelque peu paranoïaques devraient s’estomper avec progressivement

D’autant que la Russie n’est pas autant en situation de force qu’elle en a l’air. En effet, pour répondre à la demande, elle devra, à brève échéance, se lancer dans de nouvelles prospections et exploiter de nouveaux gisements.À cette fin, elle a besoin de subsides et de technologies occidentales, en matière d’extraction mais aussi d’efficacité énergétique. Car, vu de Moscou, l’enjeu est également de réduire drastiquement la consommation domestique d’énergie qui ampute d’autant les exportations. En la matière aussi, les intérêts convergent.Tous les éléments semblent donc réunis pour favoriser la naissance d’un partenariat énergétique russo-européen intégrant une forte dimension de développement durable. L’avenir dira si les inévitables aléas politiques, diplomatiques et commerciaux lui permettront de voir le jour. 

  • Guerre du gaz, par Roumiana Ougartchinska, Éditions du Rocher, , 270 p.,18 € ;
  • La Lettre Sentinel, analyses & solutions n°33-34, dossier “L’Europe, la Russie et la sécurité énergétique”, (www.infosentinel.com)