Avr 022012
 

Cartographie : Stéphane Mac Donald
Texte : Alain Nonjon


D’une nouvelle ère à une nouvelle aire de production

La quête du Far East européen ?

Inexorablement, l’industrie automobile européenne met le cap à l’Est. Au premier trimestre 2013, pour la première fois, les pays de l’Est (hors Russie) et la Turquie ont concentré plus du quart de la production européenne automobile (voitures et utilitaires), soit plus d’un million de véhicules par an contre 3,58 millions en Europe de l’Ouest. Le basculement est impressionnant (2000 : 8,9 % ; 2013 : 25,6 %) et il ne peut pas s’expliquer par la seule dynamique du marché.
Il faut tenir compte des résultats exceptionnels des groupes asiatiques, comme Hyundai qui fait des PEC0 son cheval de Troie pour pénétrer les marchés occidentaux. Le chaebol coréen a dans cette conquête son savoir-faire (88 voitures par salarié quand Nissan en produit 83,6). Ford n’a pas hésité à fermer ses usines de Genk, en Belgique, de Southampton et de Dagenham, au Royaume-Uni, quand PSA a fait de la République tchèque une base de sa quête de compétitivité (C3 Picasso)…

Le nouveau centre de gravité asiatique ?

Sur les dix premiers pays constructeurs automobiles en 2012, quatre étaient asiatiques (Chine, Japon, Corée du Sud, Inde), quatre européens (Allemagne, Russie, Espagne, France) et deux américains (États-Unis, Brésil). Mais les quatre pays asiatiques ont représenté 60 % de l’ensemble…
La Chine entre dans le concert des grands marchés (premier mondial depuis 2009) et des producteurs (20 millions de véhicules — voitures et véhicules utilitaires légers — devraient être produits sur le sol chinois en 2013, contre 18 millions en Europe en incluant la Russie et la Turquie).
Certes, le poids des marques étrangères dans l’essor chinois relativise cette émergence : elles captent environ 70 % du marché national et produisent sur place comme General Motors, l’allemand Volkswagen ou encore le japonais Nissan via des coentreprises comme SAIC (n° 1 chinois). Mais les constructeurs nationaux montent en puissance, rachètent des entreprises (Geely, Volvo), investissent à l’étranger (Great Wall en Bulgarie) et diversifient leurs segments de production (4×4 et électrique). La Chine entre dans l’ère postcoentreprise…
Encore faut-il que les goûts des consommateurs chinois évoluent. Ce sont les marques étrangères qui connaissent le plus grand succès, notamment auprès des officiels du parti communiste, qui roulent tous en Audi noires. Sur les dix voitures les plus vendues en Chine, en 2012, une seule était vraiment chinoise (la FAW Xiali), alors que quatre étaient européennes (toutes des Volkswagen), quatre américaines (une Buick, deux Chevrolet, une Ford) et une coréenne (une Hyundai).
Le Japon n’abandonne pas le terrain. Dans le passé, Toyota a su être le fleuron de l’industrie nipponne par la maîtrise de quatre atouts évolutifs :

  1. 1)une gestion innovante depuis les années 1960 avec la réduction des stocks et l’amélioration continue de la compétitivité prix et de la qualité ;
  2. une diversification des marques, de Lexus, haut de gamme, à Scion, pick-up, pour les jeunes citadins ;
  3. ne stratégie aussi tardive que rapide de continentalisation et de « globalisation » (production installée dans des pays tiers comme en Europe occidentale à Onnaing, près de Valenciennes, ou aux États-Unis) ;
  4. une DIT régionale très précoce sur la façade de l’Asie pacifique rendue possible par les effets volume (spécialisation de la Malaisie dans les climatiseurs et de la Thaïlande dans les moteurs diesels).
  5. Mais le cauchemar de 2011 a coûté cher au constructeur : fermeture de l’usine de Nummi au cœur de la Californie, rapatriement massif de véhicules (crime de lèse-qualité), onde de choc du séisme de Fukushima, inondations en Thaïlande… Pour autant, le groupe a retrouvé ses ambitions et sa première place en 2012. Le marché interne est plus tonique et les implantations aux États-Unis relaient la reprise américaine.

Une poussière de producteurs émergent : indiens (Tata, Maruti, Mahindra), coréens (Hyundai est très performant en Europe désormais), sans compter les échecs indonésiens (Timor du fils Suharto), et une division régionale du travail impulsée notamment par les Japonais.

Le passé fait certes de la résistance…

L’Est n’est qu’un des rouages du succès

L’industrie européenne est en surcapacité (3 millions de véhicules par an, soit dix usines). Les évolutions sont contrastées : l’Allemagne a consolidé des niches qualitatives (Audi), des positions fortes (Volkswagen). Il suffit d’un modèle (29 millions d’exemplaires de Golf vendus depuis 1974), d’un éventail de positionnements — haut de gamme avec Bentley, Porsche, Audi, mais aussi entrée de gamme avec Skoda et Seat —, d’investissements colossaux (63 milliards d’euros d’ici à 2016 !), de chaînes modulables, d’économies d’échelle — 8,3 millions de véhicules vendus —, d’une bonne cogestion avec les syndicats (accord collectif signé en 2010 garantissant l’emploi des 100 000 salariés jusqu’en 2014) pour faire du groupe de Wolfsburg — 90 usines et 500 000 salariés — le seul compétiteur réel européen…
Mais le marché chinois est aussi la clé du succès : Volkswagen détient 20 % du premier marché mondial et y compte treize usines. Encore faut-il savoir négocier son ticket d’entrée sur le marché asiatique : Volkswagen a échoué dans son alliance avec Suzuki et a du mal à se lancer sur le segment des pays émergents comme l’Inde.
L’industrie américaine a rebondi mais à quel prix ? Au-delà de la conjoncture de 2008-2009 dévastatrice pour l’industrie américaine, GM a rebondi depuis 2011 (premier producteur mondial cette année-là). Mais l’été 2013 a mis au grand jour la faillite de Detroit. L’État a joué un rôle de brancardier décisif (GM était d’ailleurs appelé Government Motors en référence aux subsides perçus), l’automobile n’est plus « la colonne vertébrale de l’économie américaine » (B. Obama) et c’est le downsizing, le rabotage des coûts salariaux (double grille salariale pour les anciens et les nouveaux entrants) qui expliquent l’embellie mais aussi les opportunités du marché chinois : production dans le Guangxi de véhicules à bas prix de sa marque Baojun.

Et si l’Est était une dernière chance ?

L’industrie automobile européenne, italienne et surtout française, est dans une spirale d’échec. L’industrie française vit ses heures les plus difficiles depuis « l’ère de la bagnole » célébrée par G. Pompidou.
Sortie du Cac 40 de PSA remplacé par Solvay, fermetures de sites (PSA Aulnay-sous-Bois), réduction de la voilure (Renault Sandouville), accords-cadres de flexisécurité à peine ébauchés (Renault), renoncement de Fiat à son concept de Fabbrica Italia sont les stigmates d’une crise profonde en quête de compétitivité (38,5 voitures par salarié chez Renault !).
S’il y a survie, c’est par la compétitivité hors coût : soutien des régions, délocalisations aux portes de l’Europe (ouverture à Tanger d’une unité Renault et lignes de production de la Clio en Turquie), fertilisation réciproque (PSA Valenciennes, Renault Douai et Toyota Onnaing). Mais, une fois de plus, c’est dans les accords avec Nissan, ou dans l’extension pour PSA des capacités de son usine historique de Wuhan en Chine, que s’écrit une page plus glorieuse de l’industrie automobile française.
Dans le même temps, la Grande-Bretagne reste une terre d’élection (d’élite) de l’industrie automobile : Ford se restructure certes, les taxis londoniens disparaissent, mais grâce aux firmes asiatiques (Honda, Toyota, Nissan ou Tata), aux marchés émergents comme débouchés pour Rolls Royce ou Bentley et à une phalange de constructeurs artisanaux pour nostalgiques du passé (Morgan, Ginetta, Ariel), Albion retrouve une nouvelle jeunesse.

 … Mais demain, quelle industrie automobile mondiale ?

La voiture devra se soumettre aux contraintes énergétiques et nul doute que le lithium argentin ou bolivien seront demain aussi importants que les gisements pétroliers d’hier. La voiture hybride ou délibérément électrique progresse au rythme des prises de conscience des États : précoce au Japon avec la Prius, tardive en France où l’avance traditionnelle des constructeurs n’a pas anticipé ce créneau d’avenir, rapide en Chine (effet d’annonce), efficace aux États-Unis où Tesla boosté par l’État a bondi en valorisation de 6 fois (2012-2013 !) et pèse en bourse 18 milliards de dollars en 2013, soit trois fois plus que Peugeot.
La voiture devra tenir compte des mutations des consommateurs : électrique et urbaine, pas chère et proche des besoins des PED comme la « Nano » de Tata, pratique et utile comme les pick-up… autant de besoins nouveaux auxquels doivent s’adapter les concepteurs d’automobiles. Une nouvelle géoéconomie de l’automobile ?
La voiture d’aujourd’hui n’échappe pas à la globalisation que déjà R. Reich évoquait en posant cette question « Who is Pontiac ? » et en déclinant les origines de ses composants.
Renault Dacia Pitesti confirme que les délocalisations des gros producteurs sont des réponses aux problèmes de coûts et de goût car la Logan ou le Dacia Duster ont dépassé ses objectifs en connaissant un franc succès dans les anciens pays communistes et sur les marchés européens et nationaux.
Même si quatre de leurs producteurs réalisent plus de 40 % de la production mondiale, les pays de la Triade ne sont plus que des marchés de renouvellement, sauf à compter la possible urgence climatique qui redéploierait le parc urbain vers les voitures électriques.
Les pays émergents sont eux des marchés d’équipement : les taux de motorisation parlent d’eux-mêmes (plus de 800 pour 1 000 hab. aux États-Unis, près de 600 dans l’UE contre 130 au Brésil, moins de 40 en Chine et 17 en Inde, deux populations de 1, 3 milliards d’hommes).

Cartographie et textes : tous droits réservés par Groupe Studyrama pour Grenoble Ecole de Management.

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