Nov 052015
 

Le potentiel insoupçonné de « quelques arpents de neige »…

La victoire du Parti libéral aux dernières élections législatives ne sonne pas seulement le glas de dix ans de pouvoir conservateur à Ottawa. Elle annonce le « retour » du Canada sur la scène internationale, et un changement de cap sur un certain nombre de dossiers (arrêt des frappes aériennes contre l’Etat islamique, participation à la COP21 et plus généralement meilleure prise en compte des enjeux environnementaux…).

« Le Canada est de retour » a ainsi lancé le vainqueur, Justin Trudeau, dès le lendemain du scrutin, aux « amis (du Canada) à travers le monde » qui « se sont inquiétés du fait que le Canada avait perdu sa compassion et sa voix constructive dans le monde au cours des dix dernières années ».

Un réalignement sur la politique « internationaliste » que menait l’ancien Premier ministre Pierre-Eliott Trudeau, père de Justin Trudeau, est donc à prévoir. La situation incite à s’intéresser de nouveau au Canada, une puissance moyenne mais aux fondamentaux solides et à l’influence croissante.

La campagne électorale a semblé un temps se focaliser, via l’islam, la menace terroriste et surtout la question de l’accueil des réfugiés syriens, sur les problèmes du « multiculturalisme » qui caractérise à la fois la société et l’organisation politique canadiennes.

Mais il semble que le choix se soit opéré pour l’essentiel sur l’économie, socle sur lequel le premier ministre sortant a voulu capitaliser.

« Avec une récession sur les six premiers mois de l’année, en raison de la chute des prix du pétrole, Justin Trudeau a promis au prix de trois prochaines années en déficit budgétaire, de relancer l’activité avec un programme d’infrastructures et des emplois à la clé », relève Le Figaro (20/10/2015).

La production pétrolière ayant largement redéfini l’économie canadienne au cours des quinze dernières années, la baisse des cours de l’or noir a eu des effets directs sur la croissance, et finalement sur le moral du corps électoral.

Pays immense, puissance moyenne

Entre l’établissement de la Confédération, en 1867, et la création du Nunavut, plus de 130 ans plus tard, le Canada n’a cessé d’évoluer sur le plan géopolitique.

« D’abord constitué de provinces éparpillées, il est devenu un pays souverain dont la voix s’impose dans le monde économique moderne, souligne l’Atlas canadien (www. canadiangeographic.ca).

Cependant, en 1867, le Canada est loin d’être ce qu’il est aujourd’hui. L’Ile-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve ont refusé d’entrer dans la Confédération et un immense territoire vierge sépare la province du Canada de la Colombie-Britannique.

Il faudra attendre une cinquantaine d’années avant que la plupart des provinces et des territoires adoptent leurs frontières actuelles. En 1885, le chemin de fer du Canadien Pacifique donne accès à l’Ouest tandis que le domaine de la Compagnie de la Baie d’Hudson est fragmenté en provinces et en territoires ».

La nécessité de maîtriser cet espace aussi vaste que diversifié, qui s’étend sur près de 10 millions de km2 de l’Atlantique au Pacifique (« a mari usque ad mare »), est constitutive de l’identité du pays.

« Du territoire, il fallait faire nation », pourrait-on dire en paraphrasant le défi américain. La double question des infrastructures et de la gouvernance territoriale (liée à celle de la « question » des minorités – francophones, amérindiennes, inuits, immigrées…) est donc centrale.

Avec cependant une population totale de moins de 36 millions d’individus, le Canada reste une puissance moyenne, qui ne consacre pas plus de 1 % de son PIB à ses dépenses militaires.

Cette position se reflète dans ses résultats macro-éonomiques, qui se situent dans la stricte moyenne des pays de l’OCDE, avec une croissance de 3 % en 2011, 1,9 % en 2012, 2 % en 2013, 2,4 % en 2014 et 1,3 % estimée pour 2015.

Un chiffre qui ne serait pas seulement lié à la récession du 1er semestre : « La demande intérieure reste assez faible (+ 1,6 % en 2014) et la consommation peu dynamique (+ 2,7 % en 2014) », précise le rapport Images économiques du monde 2016.

Une économie diversifiée, mais dépendante des États-Unis

L’une de particularités de l’économie canadienne tient au maintien de son industrie, qui participe à hauteur de 32 % du PIB (contre moins de 20 % en France et 21 % aux États-Unis).

La société Bombardier, qui construit du matériel ferroviaire et des équipements aéronautiques, y compris pour les marchés français, constitue l’un des fleurons de cette économie, qui dispose de 6 secteurs éminents dans l’industrie primaire : énergies renouvelables (principalement l’éolien), secteur forestier (avec production de bois d’œuvre et de papier), hydrogène et piles à combustible, mines, métaux et minéraux, pêche, pétrole et gaz.

Le système agricole et agroalimentaire, qui emploie près de deux millions de personnes et contribue à 8 % de la richesse nationale, est également puissant : le Canada est l’un des plus grands exportateurs de produits agricoles du monde, en particulier de blé, et produit 10 % des récoltes mondiales d’OGM.

Il est également l’un des principaux producteurs de minerais (nickel, zinc et uranium notamment) et dispose de très importantes réserves de pétrole (les 3e au monde) et de gaz naturel.

Comme tous les pays développés cependant, il doit plus des deux tiers de sa richesse aux services (financiers, commerciaux et technologiques en particulier), avec de nombreuses start-up de la Net économie bénéficiant d’une efficace symbiose avec les universités locales, dans les métropoles de Montréal et Toronto en particulier.

Associé à une politique d’attractivité parfois agressive, notamment en matière fiscale, cet écosystème a fait du Canada, en quelques années, l’un des premiers producteurs mondiaux de jeux vidéos, derrière les États-Unis et le Japon.

« D’ici à 2017, le chiffre d’affaires de cette industrie devrait croître annuellement de 6,5 % pour atteindre 87 milliards de dollars américains, précise Le Monde diplomatique (12/2013). Le Canada compte plus de trois cent vingt-cinq studios de développement : outre les mastodontes Warner, Ubisoft et Electronic Arts, on trouve une multitude de sociétés qui, sans être gigantesques, sont mondialement connues, telles Gameloft, Activision, Funcom ou Eidos »...

En plus d’avoir en commun la plus longue frontière terrestre au monde (8 891 km), le Canada et les États-Unis entretiennent d’intenses relations commerciales, ont des économies hautement intégrées et collaborent dans un large éventail de secteurs – dont l’énergie, les investissements, la sécurité et le transport.

Cette interdépendance est cependant très déséquilibrée. Certes, 35 États américains ont le Canada comme premier partenaire commercial, et le pays est le plus

grand fournisseur étranger des États-Unis pour l’énergie (y compris le pétrole, le gaz, l’uranium et l’énergie électrique). Mais près de 80 % des exportations canadiennes sont absorbées par le marché de son voisin, qui représente près de 58 % des investissements directs étrangers (IDE) dont plus d’un million d’emplois dépendent au Canada.

La prospérité du pays reste donc étroitement liée à celle des États-Unis, ce qui n’est pas sans soulever des questions à l’heure du « basculement du monde » (Hervé Juvin) vers l’Asie-Pacifique.

L’un des atouts du Canada est de disposer d’ores et déjà d’un point d’appui efficace dans cette zone, avec Vancouver, dont près de la moitié de la population est d’origine asiatique, principalement chinoise.

La force principale du pays réside cependant dans la diversification de son économie, offrant des capacités de résilience en cas de crise sectorielle, et surtout dans ses ressources naturelles, notamment énergétiques.

Si leur exploitation peut poser un problème écologique majeur, elles constituent des actifs déterminants pour l’avenir.

Pays nordique, pays arctique

La géographie joue ici un rôle essentiel. Plus de 30 % de l’Arctique (hors haute mer) se trouvent au Canada, et 40 % du territoire canadien est dans l’Arctique.

« Les trois territoires nordiques canadiens – le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut – ont presque la même superficie que l’Union européenne », rappelle Peter Harrison pour le Diploweb.

Si cette réalité a pu paraître anecdotique pendant des décennies, la fin de la guerre froide et le risque de réchauffement climatique ont contribué à faire de cette région un échiquier géopolitique de première importance (cf. note CLES n°61, 29/03/2012).

Or, « dans le contexte canadien, tous les aspects décisionnels et politiques qui concernent l’Arctique sont regardés à travers le prisme de l’intérêt national et du bien-être et de la durabilité du territoire » – et non comme une question scientifique ou de politique étrangère.

La « Stratégie canadienne pour le Nord », adoptée en juillet 2009, insiste d’ailleurs sur la nécessaire « démonstration de la souveraineté canadienne ». Au cœur des enjeux dont Ottawa devient le centre névralgique : l’accès aux ressources et l’ouverture de nouvelles routes maritimes internationales que permettrait la fonte annoncée de la banquise.

Comme une revanche de ces « quelques arpents de neige » tant décriés par Voltaire, et que la France a abandonné en 1763 à la Couronne britannique…

Pour aller plus loin :

  • Article « Canada » in Images économiques du monde 2016, coll., Armand Colin, septembre 2015, 440 p. 28 € ;
  • « Le Canada, pays nordique, pays arctique« , par Peter Harrison, Diploweb.com, 13/05/2010 ;
  • Le Canada et l’Arctique, coll., Presses Universitaires de Montréal, août 2015, 424 p., 36