Déc 152016
 

Géopolitique des chrétiens d’Orient

cles199-2Le 11 décembre 2016, en pleine messe dominicale, une bombe explose dans l’église copte Saint-Pierre-et-Saint-Paul du Caire. L’attentat le plus meurtrier jamais perpétré dans un lieu de culte chrétien en Égypte rappelle, en cette période de Noël, que la situation des chrétiens d’Orient reste difficile.

Après des décennies d’oubli, la situation de ces communautés millénaires et minoritaires est revenue dramatiquement sur le devant de la scène.

La question est désormais abordée dans le monde occidental, non seulement par les défenseurs des droits de l’homme, mais aussi par les tenants d’un retour à une ligne géopolitique que l’on pourrait qualifier de « civilisationnelle », depuis Vladimir Poutine jusqu’à François Fillon. Quels sont les enjeux actuels de la question des chrétiens d’Orient?

Entre l’espoir que constitue le recul de Daesh dans la plaine de Mésopotamie et les attaques régulièrement perpétrées contre les lieux de culte et les populations, « les pierres et les hommes », dans quel espace géopolitique se joue l’avenir des chrétiens d’Orient?

Comprendre la situation des chrétiens d’Orient nécessite de comprendre d’abord qui ils sont. Il est en effet facile de s’y perdre, tant les Églises chrétiennes sont nombreuses au Moyen-Orient, et tant les situations sont différentes selon les lieux et les époques. Des ouvrages récents permettent d’éclairer la situation.

Une mosaïque de communautés

Les chrétiens d’Orient forment plusieurs familles spirituelles. Le premier chapitre de la Géopolitique des religions de Didier Giorgini (Puf, 2016) en propose une description.

On trouve tout d’abord les Églises qui sont devenues autonomes au moment des premiers conciles.

Certaines adoptent une doctrine monophysite, qui soutient que le Christ a uniquement une nature divine : ce sont les Coptes du patriarcat d’Alexandrie, les Syriaques du patriarcat d’Antioche et les Arméniens.

Les Assyriens adhèrent pour leur part à la foi nestorienne, qui affirme que deux personnes, l’une divine, l’autre humaine, coexistent en Jésus-Christ. Certains chrétiens sont restés fidèles à l’Église orthodoxe : ce sont les Grecs orthodoxes.

Depuis le XIIe siècle, d’autres communautés se sont rattachées à l’Église catholique, tout en gardant leur langue et leurs rites : ainsi des Grecs-catholiques, des Coptes catholiques, des Assyro-Chaldéens, des Syriaques catholiques et des Maronites du Liban.

L’ensemble de ces chrétiens vit dans un contexte minoritaire depuis la conquête musulmane.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon Didier Giorgini, il n’y a qu’en Égypte, avec 10 % de la population, et au Liban, où ils seraient encore 40 %, que les chrétiens dépassent 5 % du total de la population.

Mais le cas du Liban est très particulier. Au total, d’après l’Atlas des religions publié par Le Monde en 2015, les chrétiens d’Orient représenteraient environ 25 millions de fidèles au Moyen-Orient.

Le XXe siècle a indubitablement marqué un tournant.

En Turquie par exemple, il reste moins de 1 % de chrétiens après le génocide de 1915, les massacres et transferts massifs de populations vers la Grèce (« Grande Catastrophe » de 1922-1923) et le départ des Assyriens dans les années 1980.

Aujourd’hui et à l’échelle de la région, la situation est très variable.

Didier Giorgini rappelle le gradient allant de la marginalisation à la persécution, à quelques exceptions près : « La pression de l’islam fondamentaliste au sein des sociétés, l’accroissement des violences intercommunautaires (Égypte), les guerres civiles (Syrie), les actions terroristes ciblées (Égypte, Iraq…), les mesures discriminatoires prises par les djihadistes (territoires contrôlés par Daesh) marquent ces croyants. Seule la Jordanie et le Liban échappent pour l’instant à ces violences ».

Le prélat catholique français Pascal Gollnisch, directeur général de l’oeuvre d’Orient, estime qu’il faut prendre en compte cette diversité des situations.

Après avoir souligné que la politique de contrôle territorial mise en oeuvre par Daesh relève d’une logique génocidaire, il rappelle, dans un entretien au journal La Croix (11/08/2016) que « ce génocide est perpétré par l’État islamique et non par l’ensemble du Moyen-Orient. Il ne faut pas ainsi imaginer que la situation sur ce territoire soit une situation frontale entre deux groupes : les musulmans d’un côté, les chrétiens de l’autre. Il existe différentes mouvances musulmanes comme il existe différentes mouvances chrétiennes. Et c’est en ce sens que je comprends la prudence, en juin dernier, du pape François à utiliser le terme de ‘génocide’ pour désigner la situation des chrétiens d’Orient ».

Il n’en demeure pas moins que ces communautés se vivent comme assiégées, sur la défensive pratiquement partout.

Au fait migratoire s’ajoute un taux de fécondité inférieur à celui des musulmans, qui expliquent la baisse numérique des chrétiens au sein des populations, et par voie de conséquence le recul de leur influence et de leurs moyens de reconnaissance – voire de défense au sein de sociétés de nature essentiellement holistes, où les individus ne comptent et ne disposent de droits que par leur appartenance à une communauté.

Une situation dissymétrique

Quelle est la place de ces communautés chrétiennes dans la géopolitique ? La plupart des auteurs les décrivent comme prises entre le marteau et l’enclume.

Entre l’universalisme des valeurs mais aussi des interventions militaires occidentales et le réveil violent de l’islamisme. Jean-François Colosimo, dans Les hommes en trop (Fayard, 2014), fait le constat « que la mondialisation a brisé leur résistance. Que nous venons de les sacrifier à la guerre impériale de l’Amérique contre l’islam, à la guerre civile qui dévore sunnites et chiites ».

L’Occident refuserait d’agir en faveur des chrétiens d’Orient, tandis que les islamistes peuvent les désigner comme ennemis : « Les chrétiens sont persécutés depuis 10 ans en Irak, et souffrent depuis 3 ans en Syrie, sans que cela ait provoqué le moindre engagement militaire d’un quelconque pays occidental », rappelle Jean-François Colosimo dans une interview donnée au Figaro (26/09/2014).

Ainsi, partout minoritaires, ils ne bénéficient d’aucun appui de type hard power, ni même de soutien financier ou de réseaux combattants.

Didier Giorgini prend l’exemple de l’Irak : « Dans le contexte de la décomposition de l’autorité étatique, les chrétiens ne disposaient pas de milices armées, à la différence des chiites et des sunnites et furent victimes de violences de la part de groupes armés de ces deux tendances, notamment de racket. Les chrétiens ne disposent pas de l’appui d’une puissance politique, comme l’Iran pour les chiites, ni de puissants réseaux de financements liés au pétrole, et n’ont souvent pas de mouvements combattants bien organisés et bien armés ».

De plus, dans de nombreux pays, les droits des chrétiens d’Orient avaient été défendus par des régimes autoritaires tenant d’une idéologie « socialiste arabe » d’essence laïque.

En Syrie, les chrétiens peuvent ainsi apparaître comme associés au pouvoir détenu par la famille Assad, alaouite, alors que la majorité de la population, sunnite, se sent marginalisée.

Les mouvements islamistes profitent de ce ressentiment, et présentent les chrétiens d’Orient comme des alliés de l’Occident.

On se rappelle les réactions violentes après le discours de Ratisbonne du Pape Benoît XVI, en 2005, y compris contre des chrétiens non catholiques – comme à Alexandrie à l’encontre des Coptes.

Au risque de l’exil

L’avenir le plus probable est celui de la poursuite de la saignée démographique.

Dans l’Atlas des religions, Laurence Desjoyaux rappelle qu’en Syrie, 700 000 chrétiens, soit 40 % du total, ont été contraints à l’exil depuis 2011, tandis que 130 000 chrétiens ont quitté l’Irak depuis 2013.

Sans compter les vagues migratoires précédentes, notamment en Irak en 1991 et en 2003. « La tentation migratoire est grande. D’autant plus qu’il existe des diasporas nombreuses en Europe, en Australie, en Amérique du nord et qui connaissent souvent une réelle réussite sociale » : Didier Giorgini rappelle ici que les logiques issues des conflits et celles liées à la mondialisation jouent conjointement.

L’émigration est d’autant plus tentante qu’elle est plus facile aujourd’hui qu’hier. Pourtant, la capacité d’une diaspora à maintenir ses traditions et sa cohésion avec une base territoriale dévitalisée n’est pas assurée.

C’est pourquoi « les patriarches des différentes Églises chrétiennes du Moyen-Orient tentent de maintenir leurs fidèles dans leurs pays d’origine, mais malgré cela, l’émigration s’intensifie ».

Ce mouvement de fond n’empêche pas certaines communautés de conserver ou reconquérir un poids réel. Au Liban, la présidence de la République leur revient de droit.

L’élection de Michel Aoun le 31 octobre 2016 le rappelle utilement.

Et au sein du Kurdistan irakien, le respect des droits des chrétiens est le signe d’une carte politique spécifique qui pourrait devenir un laboratoire, comme le montrent les villages chrétiens libérés dans les environs de Mossoul en novembre 2016.

Jean-François Colosimo se garde cependant de tout optimisme : « Il restera des chrétiens en Irak, mais ils n’auront plus la taille critique suffisante pour entraîner le mouvement de diversité et de sécularisation nécessaire aux sociétés qui risquent de s’uniformiser dans le fanatisme. »

C’est en ce sens que la question des chrétiens d’Orient est moins religieuse que géopolitique.

Pour aller plus loin :

  • Chrétiens d’Orient, résister sur notre Terre, par Monseigneur Pascal Gollnisch, éditions du Cherche-Midi, 2016, 192 p.,16 € ;
  • Les hommes en trop : la malédiction des Chrétiens d’Orient, par Jean-François Colosimo, Fayard, 2014, 312 p., 19 € ;
  • Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions : Le crépuscule des Chrétiens d’Orient, par Stéphane de Courtois, Stock, 2015, 192 p., 18,50 € ;
  • Géopolitique des religions, par Didier Giorgini, Puf, collection Major, 2016, 208 p., 22 €.

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