Nov 032016
 

Rapport au monde et enjeux électoraux

cles195-2« Dans les préoccupations des électeurs, les problématiques relatives à la sécurité nationale et à l’action extérieure des États-Unis sont actuellement au coude à coude avec l’économie. » Comme le constate Laurence Nardon dans un article récent de la revue Politique internationale (n°152), l’élection présidentielle de 2016 tranche avec les précédentes.

En 2008 et 2012, les questions liées à la crise économique, puis celles relatives à la justice sociale, avaient occupé le devant de la scène.

Dans le duel pittoresque qui s’annonce pour la Maison blanche le 8 novembre prochain et dont témoignent les débats télévisés, les enjeux géopolitiques sont de la plus grande importance.

Qu’il s’agisse de la question migratoire ou de celle du risque terroriste, l’opinion est marquée par les conséquences directes du lien entre les États-Unis et le monde.

De ce fait, la façon dont chacun des candidats envisage le leadership des États-Unis est déterminante.

Quelle que soit l’issue du duel, il laissera des traces.

Au-delà d’un bilan de la politique étrangère menée par Barack Obama (cf. note CLES n°144, « Obama le pragmatique », 06/11/2014), quelles sont les perspectives ouvertes par chacun des candidats ?

Assiste-t-on à l’affrontement entre ceux qui assument la possibilité d’une « mondialisation heureuse » dont les États-Unis continueraient à assurer le leadership, et ceux qui doutent des bienfaits promis ?

Clinton ou la continuité ?

Compte tenu des fonctions occupées par Hillary Clinton, qui dirigea le département d’État de 2009 à 2013, on pourrait imaginer qu’elle soit la candidate incarnant la continuité de la géopolitique américaine actuelle.

C’est à la fois vrai et faux. Elle a certes mis en oeuvre une politique visant à l’expansion du modèle démocratique, notamment lors des printemps arabes de 2011, et compte à l’évidence poursuivre dans cette voie.

Mais on note aussi chez Hillary Clinton une volonté d’intensifier cet engagement. N’avait-elle pas voté en faveur de la guerre en Irak en 2003 ?

Comme l’écrit Hadrien Desuin dans le dernier numéro spécial de la revue Conflits consacré aux États-Unis : « Au département d’État, elle cache mal son impatience face à la stratégie de Barack Obama. En 2011, elle est au contraire bluffée par l’audace de Nicolas Sarkozy en Libye ; ce qui lui vaut aujourd’hui quelques déboires politiques »… Et l’auteur d’aller plus loin : « Le parti démocrate version Hillary Clinton pourrait retomber après [Barack Obama] dans une dérive humanitaro-belliciste ».

Toutefois, une forme de continuité devrait l’emporter, selon l’analyse d’Alexandre Andorra, spécialiste des États-Unis et des affaires européennes, dans un récent entretien à la revue en ligne Diploweb : « Schématiquement, pour Obama le rôle des États-Unis est plus de catalyser que de gendarmer le monde. Clinton devrait remettre en valeur le côté gendarme, avec une politique plus musclée, tout en conservant le côté catalyseur. En clair, la pondération des deux dimensions passera probablement de 70/30 à 50/50 mais il ne faut pas s’attendre à des révolutions doctrinales – Clinton et Obama ont au moins en commun d’être particulièrement pragmatiques ».

Cette volonté d’intervention accentuée semble avoir plusieurs axes.

Tout d’abord au Proche-Orient, avec la lutte contre l’Etat islamique : « Son approche de l’EI est plus musclée – frappes aériennes plus nombreuses, établissement d’une zone d’exclusion aérienne sur certaines parties de la Syrie – mais repose sur les mêmes lignes de force que celle d’Obama ».

Ensuite, dans le contexte de l’opposition stratégique face à la Russie : même si elle a été l’un des artisans du « reset » entre les deux pays, toujours selon Alexandre Andorra, « Hillary Clinton devrait avoir une attitude plus dure que Barack Obama ».

Enfin, face à la Chine, la recherche de partenariats de « containment » semble devoir se poursuivre.

Trump : un renversement d’alliances ?

Du côté de Donald Trump, il est plus difficile de trouver une ligne directrice. Comme le note Alexandre Andorra, « Trump est très fluctuant. Il est toujours dans des propositions certes chocs mais toujours très vagues, très évasives, […] Il recule ou renchérit, en fonction des enquêtes d’opinion ou de la composition de la foule à laquelle il s’adresse. C’est la définition même d’un populiste ».

En effet, Donald Trump se situe à la jonction du courant populiste, dont on oublie qu’il marque profondément la conscience et la politique américaines depuis la fin du XIXe siècle, en souhaitant réincarner « le peuple fondateur de la démocratie américaine », et la radicalisation du parti Républicain qui s’observe depuis le milieu des années 1990.

Toutefois, quelques constantes apparaissent au gré de ses discours, laissant paraître la volonté de séduire plusieurs courants profonds de l’opinion américaine.

Ainsi, on notera la fascination de Donald Trump pour les personnalités politiques autoritaires. Il a à plusieurs reprises témoigné de son admiration pour Vladimir Poutine.

Mais cela ne signifie pas, semble-t-il, un renversement d’alliance. Ainsi, Alexandre Andorra relève que « sur l’Ukraine, il a appelé les Européens à accentuer la pression diplomatique sur Moscou ainsi que leur aide à l’Ukraine ».

Même paradoxe sur l’OTAN : « Début 2016, il a remis en question l’intérêt de l’OTAN et son attachement à l’article 5, estimant que les États-Unis n’en avaient par pour leur argent. Mais il est ensuite revenu sur ses déclarations en affirmant qu’en tant que président, il honorerait les engagements américains dans le cadre de l’OTAN, y compris la défense des Etats baltes en cas d’agression russe ».

Force est de constater qu’à l’égard de la Syrie, sa position est beaucoup moins dure que celle d’Hillary Clinton face aux propositions de la Russie. Ce que rappelle Le Monde (01/04/2016) : « À propos du conflit syrien, il a vivement critiqué la politique ‘folle et idiote’ de Barack Obama, qui oeuvre pour une transition politique négociée avec le régime du président Bachar Al-Assad en Syrie, tout en conduisant une coalition contre l’organisation djihadiste ».

Cette approche est-elle liée à un retour à l’isolationnisme américain ? Cela flatterait certains courants au sein de l’opinion républicaine.

On se rappelle de ses déclarations sur le mur à construire pour fermer la frontière mexicaine, ou encore l’interdiction de séjour faite aux musulmans.

Il préconise parfois le désengagement de certaines zones de tension : face à la menace nucléaire nord-coréenne, il a ainsi préconisé que le Japon et la Corée du Sud développent leur propre arsenal nucléaire.

L’audience de son discours ne tient-elle pas au fait qu’il s’interroge, comme nombre d’Américains, sur l’intérêt de continuer à s’investir dans l’ordre mondial, sur le rapport coûts/bénéfices des engagements internationaux, qu’ils soient militaires, économiques ou environnementaux (COP21) ?

La géopolitique au coeur de l’élection : un révélateur d’enjeux majeurs

Au-delà des discours et même des résultats électoraux, que nous disent ces oppositions entre les candidats ? Tout d’abord, qu’il leur sera difficile d’engager des ruptures trop importantes.

Les dynamiques en cours relèvent du temps long et Dario Fabbri le rappelle dans son article pour la revue Conflits : « La politique internationale des États-Unis ne connaîtra pas de changements majeurs dans les années à venir. Quel que soit le président élu, ne serait-ce que parce que le président ne fait pas tout ».

Il faut en effet tenir compte de la structure de l’« État profond » américain et de l’influence des acteurs économiques.

Toutefois, les différences réelles entre les candidats rappellent que la géopolitique est un marqueur des grandes familles politiques aux États-Unis. L’élection de 2016 doit donc être mise en perspective.

Il faut pour cela revenir à l’ouvrage de Walter Russel Mead, Special providence – American Foreign Policy and How It Changed the World (Routledge, 2002), qui établissait quatre grandes lignes possibles chez les présidents des États-Unis.

Hadrien Desuin rappelle la cartographie de ces principales familles de pensée dans la revue Conflits : « les ‘Jeffersoniens’ (pour simplifier, les idéalistes et isolationnistes), les ‘Jacksoniens’ (réalistes et nationalistes), les ‘Hamiltoniens’ (réalistes et isolationnistes) et enfin les ‘Wilsoniens’ (idéalistes et interventionnistes) ».

Selon l’auteur, c’est au courant « jacksonien » que se rattachent à la fois George Bush père et Barack Obama. Hillary Clinton s’inscrirait dans cette lignée.

Donald Trump est évidemment plus difficile à classer : son projet politique et économique est plutôt « hamiltonien », alors que du point de vue géopolitique, il penche davantage pour la restauration de la puissance américaine.

Reste à s’interroger sur les causes de ce retour de la géopolitique au coeur des débats électoraux.

Il y a certes l’impact de la question migratoire et des récents actes terroristes. Mais il y a aussi le fait qu’à l’heure de la mondialisation, il apparaît impossible de défendre l’American way of life sans prendre en compte la dimension internationale de la question.

Alexandre Andorra le rappelle : « Le taux de pauvreté est au même niveau que dans les années 1980 (18 %, contre 11 % dans le reste de l’OCDE) et ne cesse d’augmenter depuis 2001. Le problème est que cette dispersion croissante des richesses n’est pas contrebalancée par une hausse de la mobilité sociale. »

Ainsi, la financiarisation de l’économie des États-Unis, si elle est un levier important de son leadership, a des conséquences lourdes sur le corps électoral.

Et notamment sur le fait que les deux candidats semblent être, d’après un sondage du Ropper Center, les moins appréciés de l’opinion depuis 1980.

Ce rejet croissant de l’establishment ne devrait-il pas davantage inquiéter les observateurs que les discours ou même le score final de Donald Trump ?

Pour aller plus loin :

  • Géopolitique des États-Unis, par Alexandre Andorra et Thomas Snégaroff, Puf, coll. Major, 164 p., 25 € ;
  • Hillary Clinton, une certaine idée de l’Amérique, par Jean-Luc Hees, Baker Street, 215 p., 21 € ;
  • Les visages de la puissance américaine, numéro spécial n°4 de la revue Conflits, automne 2016, 82 p., 9,90 € ;
  • « Obama, Trump, Clinton : quelle géopolitique des États-Unis ? », interview d’Alexandre Andorra par Pierre Verluise, Diploweb, 18/09/2016.

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