Avr 062017
 

La géopolitique, discipline à part entière du management

Ces "Cas d'Ecole" sont conçus pour aider les entreprises à s'adapter aux plus récentes configurations géopolitiques : Ils sont un complément aux Notes d'Analyse Géopolitique. Les prochains numéros détailleront des thématiques propres à l’entrepreneuriat à l’international.

Ces « Cas d’Ecole » sont conçus pour aider les entreprises à s’adapter aux plus récentes configurations géopolitiques : Ils sont un complément aux Notes d’Analyse Géopolitique.
Les prochains numéros détailleront des thématiques propres à l’entrepreneuriat à l’international.

Comme le constate Patrick Pouyanné, Pdg du Groupe Total, « même si le risque géopolitique n’a jamais véritablement disparu, force est de reconnaître qu’il fait aujourd’hui un retour en force, avec des situations de plus en plus fréquentes dans lesquelles l’économie s’efface devant les impératifs politiques. »1

Toute entreprise se trouve ainsi aujourd’hui, de manière directe ou indirecte, confrontée au grand jeu de la géopolitique.

Dans les années à venir, quelques-unes devront affronter des épreuves radicalement différentes de ce qu’elles connaissaient jusqu’alors, épreuves dont certaines pourraient être dignes de l’imagination fertile des scénaristes hollywoodiens…

Dès lors, que faire pour anticiper les risques ?

De quelle manière exploiter les opportunités qui se présentent ?

Quid des nouvelles menaces ?…

C’est pour mieux comprendre comment les entreprises s’adaptent aux plus récentes configurations géopolitiques que nous lançons cette nouvelle ligne éditoriale avec ces « cas d’école » qui, mois après mois, exploreront les différentes facettes des aventures entrepreneuriales sur la scène internationale.

Le mur que Donald Trump veut faire construire à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique fait pour le moins polémique et prouve que les entreprises sont désormais directement concernées par l’évolution des rapports de force géopolitiques.

Ainsi, l’appel d’offres lancé par l’administration américaine pour l’édification de ce mur oblige les grands groupes à se positionner.

Pour avoir dit publiquement que LafargeHolcim était prêt à répondre favorablement, Eric Holsen s’est attiré les foudres des médias et des relais d’opinion.

Xavier Huillard, Pdg du groupe Vinci, a, lui, prudemment décliné l’offre en question, en prenant soin toutefois de préciser qu’une telle attitude ne constituait en aucune façon un jugement de valeur à l’endroit des Etats-Unis…

Il n’en reste pas moins, comme le relevait un chroniqueur du Figaro, que « ce fameux mur témoigne d’un changement de paradigme pour le monde économique, que notre époque oblige à réinvestir le champ de la chose publique. Non par goût du débat, mais par intérêt économique »2 .

D’autant que le cas évoqué ne concerne pas que les constructeurs mais déborde sur d’autres champs d’activité.

Car en guise de rétorsion, le Mexique envisage de boycotter le maïs américain, dont il est le premier importateur…

Des cas d’école pour promouvoir « l’empirisme duplicable »

Ces cas d’école que nous proposons à destination des entreprises répondent à deux exigences majeures.

Il s’agit d’abord de montrer que la géopolitique constitue un outil d’aide à la décision précieux pour les dirigeants, une grille de décryptage fine du réel.

Ensuite, le second objectif est pratique : il vise à ouvrir des pistes aux entreprises sur une logique d' »empirisme duplicable », en décortiquant des expériences vécues à l’international.

L’exigence de confidentialité fait que l’on ne citera pas toujours les entreprises ou les responsables concernés. Mais nous privilégierons en revanche le vécu, le retour d’expérience.

Dans un univers globalisé, toute entreprise est concernée par les rapports de force géopolitiques.

Même si elle n’est pas implantée dans des zones à risques, elle importe ou consomme des biens ou services venant de l’étranger, elle a des concurrents ou des correspondants sur la planète entière…

A tout moment risque ainsi de survenir un « effet-papillon », un événement infime se passant à l’autre bout du monde, susceptible d’avoir des répercussions énormes sur nos activités, voire sur nos vies.

Ce changement de paradigme provient directement de la globalisation du monde et de ses effets concrets.

Aujourd’hui, les distances ne comptent plus et, par là-même, ne protègent plus.

Via internet, tous les pays sont devenus voisins et les décisions prises ici ont un impact immédiat ailleurs.

Ainsi, la lutte contre la corruption et les pots de vin mise en place par Xi Jinping dès le début de son mandat, a eu des effets immédiats sur la vente de produits de luxe et de spiritueux français en Chine.

Une journaliste estime ainsi que « l’impact [a été] brutal. Au premier semestre 2014, le résultat opérationnel du pôle vins et spiritueux de LVMH a fondu de 15% ».

Et elle ajoute qu‘ »en public, les représentants de l’État hésitent à porter montres et sacoches siglées. Weibo, le twitter chinois, est passé par là… »3

Autre exemple, les attentats djihadistes, fortement répercutés par les médias étrangers, ont rapidement dissuadé nombre de visiteurs de se rendre en France.

« Pour l’ensemble de l’Hexagone, les arrivées internationales entre le 1er janvier et le 31 octobre ont chuté de 8,1%, déplore Frédéric Valletoux, président du Comité régional du tourisme. Pour la seule région Ile-de-France […] le manque à gagner est estimé à près d’un milliard d’euros. »4

La géopolitique : décrypter les comportements de nouveaux acteurs

À ces interrelations géographiques nouvelles, il faut associer la banalisation du temps court et de l’instantané. Avec les distances, le web a aussi supprimé la durée et les délais.

Tout se sait partout et tout de suite, le vrai comme le faux, avec la brutalité envahissante de l’immédiat. Le temps de la réflexion n’existe plus.

Le « vrai » se trouve confronté à la « post-vérité » (post-truth politics), obligeant les décideurs à anticiper tous les possibles et à scénariser différentes hypothèses.

« La grille de décryptage géopolitique, affirme Alain Juillet, ancien Haut responsable à l’Intelligence économique auprès du Premier ministre, fait d’abord appel à l’intelligence des dirigeants. Elle exige d’eux une capacité à aller au-delà des analyses produites par le mainstream et les opinions makers, analyses qui sont le plus souvent partielles et partiales, pour au contraire aller vers le réel, même si celui-ci nous déplaît ou nous déconcerte. »5

La géopolitique scrute également les évolutions des grands acteurs politico-économiques et leurs relations.

Les deux grands blocs Est/Ouest d’hier ont fait place à de nouvelles entités qui revendiquent leur place au soleil, entraînant ainsi de nouvelles tensions et de nouveaux conflits.

Elles ont accédé à la production et à la consommation de masse, créant par là-même de gigantesques nouveaux marchés et de nouveaux flux qui déstabilisent le commerce international.

Ainsi, la Chine devenue à la fois le plus grand marché et l’usine du monde, a absorbé des quantités énormes de matières premières, asséché les échanges et fait exploser les cours.

Au début des années 2000, le prix des aciers utilisés dans la construction a grimpé en flèche, mettant en difficulté des PME françaises de gros oeuvre.

Preuve si besoin était que si l’entreprise veut se développer rationnellement et sur le long terme, elle doit avoir l’intelligence des situations et s’efforcer de comprendre la culture, les règles, les attentes, les rapports de force et le cadre de vie des peuples et des territoires auxquels elle se trouve confrontée.

La géopolitique : observer les nouveaux groupes et les nouvelles pratiques

En outre, l’usage fulgurant d’internet et une utilisation généralisée de ses applications vedettes ont contribué à faire émerger de véritables communautés virtuelles mondialisées avec de nouveaux comportements homogènes, transnationaux et transculturels.

Aujourd’hui, aucun dirigeant ne peut faire l’économie d’une remise en cause de ses modèles (business model, marketing, modèle commercial, modèle social…) sous les coups de boutoir de la transformation numérique.

Uber, Airbnb, Booking et Amazon ont imposé à marche forcée des ruptures dans les pratiques ambiantes.

Il faut également prendre en compte l’impact des choix stratégiques des pays étrangers sur l’économie du monde et la vie des entreprises.

Ainsi, les positions de la Fédération de Russie en Ukraine et l’annexion de la Crimée ont fait l’objet de « sanctions » occidentales qui, après « les représailles » de Poutine, décidées le 6 août 2014, ont dangereusement déstabilisé des entreprises françaises du secteur agroalimentaire.

Cet embargo russe sur certains produits alimentaires européens a causé un « préjudice considérable à l’agriculture française, estimait Xavier Beulin, alors président de la FNSEA. C’est un conflit diplomatique dont les conséquences économiques sont graves pour le monde paysan. La Russie représente 10 % des exportations totales agricoles européennes. C’est un volume important, qui s’est évaporé en pertes sèches pour beaucoup de producteurs. »6

La géopolitique, discipline à part entière du management

De nouvelles instabilités mais aussi de nouvelles opportunités émergent de ce chaos. Elles imposent à toutes les entreprises de prendre en compte les analyses géopolitiques, de se donner des règles claires et d’en professionnaliser le traitement.

La plupart des grandes entreprises sont bien informées et rompues à ces analyses, mais les autres ne disposent souvent ni de ces moyens, ni de ces compétences.

Vulnérables aux nouveaux risques, elles doivent apprendre à s’adapter ! Les méthodes et les outils sont disponibles, les structures existent pour apprendre.

Mais l’état d’esprit qui préside à ces vigilances d’un nouveau type, la volonté de ne plus se laisser surprendre, font encore trop souvent défaut. (voir extrait ci-après)

Bref, la géopolitique est devenue une discipline à part entière du management.

Sa spécificité par rapport aux autres disciplines est qu’elle est transverse, associant management, sciences sociales et sciences humaines.

Espérons donc que ces « cas d’école » que nous publierons mois après mois contribueront à cet effort pédagogique qu’il convient de mener pour sensibiliser les entreprises aux enjeux géopolitiques.

1/ Le retour du risque géopolitique, note de l’Institut de l’Entreprise (février 2016). http://www.institut-entreprise.fr/les-publications/le-retour-du-risque-geopolitique

2/ Les multinationales, le mur de Donald Trump et la politique, Le Figaro, 22/03/17

3/ Le Monde, 31/07/14

4/ Les Echos, 5/11/16 (source AFP)

5/ Entretien avec Alain Juillet, revue Conflits n°12 – Janvier/mars 2017

6/ La Croix, 28/12/14

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