Mai 032012
 

Sans surprise, les deux candidats en lice pour le second tour de l’élection présidentielle sont François Hollande et Nicolas Sarkozy. Une fois encore, si les programmes des partis font la part belle aux questions intérieures, ils délaissent – voire ignorent – la politique étrangère. Pourtant, jamais dans l’histoire récente le destin national n’a été autant lié aux soubresauts du monde extérieur. Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po, souligne dans un récent recueil de chroniques que « notre monde est celui de la planète tout entière, désormais réunie sur une même scène ; ses unités sont interdépendantes ; il est régi par le principe de communication immédiate ». Le constat n’est pas nouveau, loin s’en faut. Mais, à l’heure de la mondialisation, la crise financière et économique conjuguée aux poussées des pays émergents oblige à forger des réponses plus globales qui passent nécessairement par une politique étrangère tout à la fois renouvelée et intégrée. « Bref, l’énigme d’aujourd’hui est celle-ci : saura-t-on seulement entrer dans un monde nouveau, mais accepter aussi de nouveaux mondes ? »

La politique étrangère française s’appuie traditionnellement sur trois outils : une diplomatie, une armée et une économie. La première est essentielle car elle a pour double fonction de concevoir la politique extérieure de la France et de rendre cohérentes toutes les actions entreprises en son nom. Elle est la clé de voûte de notre infl uence. Viennent ensuite les armées et leurs capacités à offrir au politique les moyens de dissuader ou, le cas échéant, d’agir par la contrainte – y compris au sein d’alliances et au profi t d’alliés. Un troisième outil, et non des moindres, est celui de l’économie et plus largement de la culture. Si son importance a longtemps été minorée, il est devenu un levier incontournable. « Domaine réservé » de la présidence de la République, la gouvernance de la politique étrangère de la France est d’essence gaullienne. Il est d’usage depuis 1958 que le Président définisse les grandes orientations de l’action internationale de la France. Difficultés financières et bouleversements mondiaux obligent, la prochaine politique étrangère de la France se devra d’établir un juste équilibre entre notre volonté et nos capacités. Elle passe aussi par une adaptation à la réalité de la géopolitique contemporaine.

Les outils de la politique étrangère en berne

Quand il s’agit de commenter notre politique étrangère, les volontaires ne manquent pas. Lors des « Printemps arabes » en 2011, plusieurs groupes de diplomates anonymes, de gauche et de droite, se sont affrontés par tribunes interposées. Au-delà des prises de positions, tous conviennent que l’outil diplomatique est mal en point. Alain Juppé et Hubert Védrine analysent quant à eux, dans un plaidoyer commun publié par le quotidien Le Monde, que « dans la compétition multipolaire, où tout se négocie en permanence avec un grand nombre d’interlocuteurs qu’il faut connaître avec précision, la France a plus que jamais besoin de moyens d’information et d’analyse ». Or, c’est bien la tendance inverse qui est à l’oeuvre depuis près de vingt-cinq ans ! Le ministère des affaires étrangères a perdu 20 % de ses ressources humaines et financières depuis la fi n de la Guerre froide. Le collectif de diplomates « Le Rostand » observe dans Le Figaro que « la diplomatie française a vu ses moyens se réduire de manière anormale et c’est tout l’État qui en a été affaibli, ceci pour un gain budgétaire infime ». Cette tendance est pour l’heure confirmée, comme en témoigne le non renouvellement des départs à la retraite jusqu’en 2013 à hauteur de trois sur quatre – là où la règle est d’un sur deux dans les autres grands ministères. Dans le même temps, « les effectifs du département d’État américain augmentent de 4 % à 5 % par an. Ceux du Foreign Office sont désormais supérieurs aux nôtres ». Tandis que les nouveaux acteurs internationaux que sont les pays émergents s’organisent autour d’une diplomatie particulièrement offensive, afin de « peser diplomatiquement sur l’ordre mondial dont ils étaient exclus » (cf. CLES n°65). Un peu à l’image d’un monde qui réarme – sauf l’Europe -, les principales puissances musclent leur outil diplomatique – sauf la France.

Paris n’a pas totalement baissé la garde pour autant, comme en témoigne le maintien d’un outil militaire de premier plan. L’intervention en Libye a fait la démonstration que les armées françaises étaient les seules en Europe – avec les Britanniques – à disposer de capacités d’intervention de premier plan. Mais les réformes successives du ministère de la Défense ont fragilisé nos armées. Il est d’ailleurs connu que l’expédition libyenne n’aurait pu être prolongée de quelques mois. Des sonnettes d’alarme ont été tirées : au-delà des baisses budgétaires déjà entreprises, il faudra faire des choix à l’avenir entre telles ou telles capacités si davantage de sacrifice devait être envisagé.

Quant à l’outil financier et économique, il n’est pas suffi samment pris en considération. La mise en oeuvre d’une « politique de conquête à caractère économique et culturel » (Éric Dénécé) – ce que l’on qualifie aussi de « diplomatie économique » – ne repose pas sur un outil aussi clairement identifi é que le corps diplomatique et l’armée. Pour l’essentiel, il est composé des entreprises privées françaises. La difficulté consiste à préserver ou à promouvoir les intérêts nationaux, quitte à « chasser en meute », sans altérer trop fortement la compétition économique. Les instruments existants ne suffisent plus et les nouveaux restent encore à imaginer.

Des propositions volontaristes, mais consensuelles

Les programmes des candidats fi nalistes à l’élection présidentielle énoncent un certain nombre de mesures qui permettent d’entrevoir ce que pourrait être la prochaine politique étrangère et européenne de la France. C’est sur l’Europe que le distinguo gauche-droite est sûrement le plus probant, même si ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande n’entendent remettre en cause l’adhésion de la France à l’Union. Le point essentiel de discorde porte sur le dernier accord intergouvernemental de décembre 2011. Le PS entend le renégocier et réorienter le rôle de la Banque centrale européenne (BCE), pendant que l’UMP propose de le renforcer sans toucher au traité. Le premier prône la relance de l’économie européenne par la croissance et les grands projets, le second par la maîtrise des défi cits budgétaires étatiques. À noter que l’UMP veut réviser les accords de Schengen pour limiter l’immigration clandestine. En revanche, les deux candidats appellent de leurs voeux une politique commerciale européenne plus forte et un taux de change plus favorable pour favoriser les exportations.

Concernant la politique étrangère, l’intérêt national semble continuer de s’imposer, au détriment d’une vision plus angélique, ou idéologique. Le consensus demeure ainsi sur le rôle de la France dans le monde et sur les responsabilités qui découlent à la fois de son statut d’acteur économique majeur, de détenteur de l’arme nucléaire et de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Sur ce dernier point, si le PS prône un élargissement du Conseil, il refuse toute remise en cause du droit de veto français. François Hollande a aussi annoncé un accroissement de l’aide aux pays en développement et surtout un renouveau du multilatéralisme. Sur ce thème, l’UMP propose quant à elle de fusionner G8 et G20 pour créer une instance plus permanente. C’est sur la date de retrait d’Afghanistan que les candidats s’opposent : fi n 2012 ou 2014 ? Manoeuvre électorale ou refus de s’aligner sur la politique américaine ? En cas de victoire socialiste, début de la réponse dès le prochain sommet de l’Otan, à Chicago, le 20 mai.

Ces politiques étrangères en devenir sont-elles en adéquation avec les outils dont la France dispose ? Probablement pas, surtout si l’on tient compte de l’appareil militaire qui sera de nouveau impacté par une baisse budgétaire – quel que soit le vainqueur. Vouloir peser sur nos partenaires réclame aussi un personnel diplomatique conséquent, tout comme le renforcement de certaines actions (promotion de la francophonie et du concept d' »intelligence culturelle » aujourd’hui prôné par certains services de Bercy par exemple). Et surtout, aucune proposition n’est faite pour améliorer les instruments de l’action extérieure, du moins dans les programmes officiels. Reste la question lancinante de l’adéquation de ces politiques avec la réalité de l’arène mondiale.

L’heure des choix, entre pragmatisme et imagination

Une fois l’euphorie de la campagne retombée, la tâche qui attend le prochain Président s’annonce ardue. Il devra à la fois prendre acte de l’incapacité de la France à entretenir comme par le passé ses instruments de puissance tout en cherchant à maintenir son statut d’acteur international de premier plan dans un monde en mutation. Et l’urgence va commander : outre le sommet de l’Otan le 20 mai, celui du G8 est organisé dès les 18 et 19 mai à Camp David, puis celui du G20 un mois plus tard au Mexique. Des questions cruciales s’imposent déjà : crise de la zone euro, nucléaire iranien, drame de la Syrie, question afghane et plus généralement relation entre Paris et Washington… Cette dernière, toujours complexe, ne manquera pas d' »être mise à l’épreuve à propos du rôle de la dissuasion nucléaire dans l’Otan et des modalités du bouclier anti-missible en Europe » (Le Monde Géo&Politique). Au-delà du discours – toujours facile -, il s’agit de se conformer aux impératifs du réel, de s’en prémunir ou de les infl uencer. Un travail de funambule en somme ! Face au risque de déclassement stratégique majeur de l’Europe, le prochain quinquennat sera décisif pour la France. Si l’on veut éviter d’avoir une diplomatie de retard, il conviendra donc de faire preuve de pragmatisme et d’une juste analyse du monde de demain (cf. CLES n°64). Comme le conclut Bertrand Badie, « la diplomatie française sera forte si elle sait faire acte de concertation, participer à des délibérations inclusives et y faire entendre sa propre voix. Il y a encore du chemin à faire, mais la France dispose pour cela de bonnes grammaires dont il lui reste à s’inspirer ».

Pour aller plus loin : Nouveaux mondes – Carnets d’après Guerre froide, par Bertrand Badie, Le Monde Interactif/CNRS Éditions, 348 p., 20 € ; « Cessez d’affaiblir le Quai d’Orsay !« , tribune d’Alain Juppé et Hubert Védrine, Le Monde, 06/07/2010 ; « Réponse aux diplomates anonymes« , par le groupe « Le Rostand », Le Figaro, 24/02/2011 ; « Politique étrangère. Les dossiers du prochain président », Le Monde, Cahier Géo&Politique, 0102/04/2012.