Comment la géopolitique s’intègre-t-elle dans le dispositif d’intelligence économique?
Dans un premier temps, on définit un cap. Ensuite, il faut collecter un maximum d’informations, que l’on va traiter pour en faire des renseignements. Quand on parle d’informations, il ne suffit pas de regarder les concurrents, les clients, les fournisseurs, bref de reprendre le modèle des cinq forces de Porter. Non, il faut aller bien plus loin. Par exemple analyser en finesse le contexte social, différent dans chaque région du monde. Le modèle français n’est pas universel, loin s’en faut ! Comment comprendre en Afrique les problèmes de la région des grands lacs si vous n’intégrez pas la dimension géopolitique ? La géopolitique est fondamentale, elle permet de faire perdre avec intelligence leur naïveté aux gens. C’est là un paramètre capital à prendre en compte pour des étudiants, qui sont parfois crédules, voyant le monde en noir et blanc, bien et mal, avec des césures nettes. C’est facile, ça évite de se poser des questions. Mais on est là dans le rêve, hors du réel. Non, les choses sont beaucoup plus complexes à déchiffrer et il faut se garder des jugements à l’emporte-pièce.
Effectivement, les jeunes générations semblent éprouver parfois de la difficulté à avoir leur propre jugement et sortir du « prêt-à-penser »…
La première est que pour nous autres occidentaux, l’aisance matérielle et morale dans laquelle nous évoluons fait que nous avons perdu notre sens du combat pour la vie. Quand on naît au Baloutchistan ou sur les bords de l’Amazone, il faut très vite apprendre à identifier les vrais problèmes, à les résoudre et à se faire respecter, c’est une question de vie ou de mort. Cela change considérablement la donne ! Aujourd’hui, nous vivons à l’instar des Carthaginois qui se laissèrent prendre au piège des délices de Capoue…
La seconde raison majeure à cette dangereuse naïveté vient de l’impression de puissance que ressentent les jeunes avec les nouvelles technologies qui étendent leur emprise à travers la planète. Bien sûr, ces outils sont formidables, ils sont d’une utilité sans précédent pour l’humanité. Mais comme tout outil, ils ont leur face noire, qu’il faut connaître pour mieux la maîtriser. Le monde est comme un jeu dont ils ne mesurent absolument pas les risques. Prenez l’exemple de Facebook. Il n’y a pas de droit à l’oubli sur Internet. Les données que vous confiez sont utilisées sans que vous en soyez conscients. Dans 50 ans, certains éléments festifs ou anodins pourront ressortir dans un contexte que l’on ne contrôlera pas et pour des buts que l’on n’aura pas choisis. Là encore, la naïveté conduit à des désastres.
La troisième raison réside bien sûr dans la formidable hypocrisie que recèle le discours convenu du politiquement/culturellement correct. À force de nier les faits qui nous dérangent au nom d’une certaine « bien-pensance », on en arrive à une occultation totale de la réalité. On n’emploie pas les bons mots, on efface de son esprit ce qui peut déranger notre bonne conscience, bref on fait la politique de l’autruche au nom d’idéaux que l’on voudrait généreux. On évolue alors dans un monde virtuel, jusqu’à ce que la réalité reprenne le dessus. Car, on le sait, les faits sont têtus. Et ils ressurgissent toujours, avec toujours plus de force, nous laissant désemparés, impuissants, voire victimes.
Il est de notre devoir de contribuer à ouvrir les yeux des futures élites sur la réalité du monde, donc sur ses potentialités et aussi ses dangers. C’est là où la grille de décryptage qu’offre la géopolitique s’avère être remarquablement pertinente. Car elle oblige à intégrer les réalités humaines et matérielles. En prenant de la hauteur de vue, elle développe une perception synoptique des situations, elle conduit à intégrer une multitude de facteurs dans le raisonnement, contribuant à faire en sorte que celui-ci ne soit plus monolithique ou manichéen.
Comment dès lors amener les jeunes à prendre en compte le réel ?
Les familles ont abdiqué et n’ont pas cette volonté d’accompagner leurs enfants en leur ouvrant les yeux. En outre, bon nombre d’enseignants de l’éducation nationale – sans mettre aucunement en cause leurs qualités pédagogiques – évoluent dans une bulle qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. C’est donc une question d’état d’esprit. Il y a là un verrou mental à faire sauter. Et c’est faisable. Pour preuve, les grandes écoles ou certaines universités font preuve d’un état d’esprit différent, d’abord parce qu’elles sont confrontées à une rude compétition. Il faut du résultat. Donc faire preuve de pragmatisme. Mais cela concerne finalement peu de monde au regard de l’ensemble de la population.