Oct 012010
 

Ne pas être dogmatique, faire preuve d’humilité, penser sur le long terme et ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure… Sur une planète en perpétuel mouvement, adaptons-nous pour accompagner les changements en cours et relever les nouveaux défis !

Les étudiants comme les entrepreneurs doivent se montrer à la fois visionnaires et pragmatiques, donc pratiquer au quotidien la géopolitique, pour décrypter avec finesse les arcanes de la scène internationale.

JFF. Quel regard portez-vous, en tant qu’ancien Haut responsable à l’intelligence économique, sur l’initiative prise par l’ESC Grenoble de faire de la géopolitique une discipline obligatoire dans son cursus d’enseignement ? Vous semble-t-il utile de la vulgariser pour la rendre plus accessible, tant aux étudiants qu’aux entrepreneurs ?

AJ. C’est une excellente initiative ! On évolue là dans une sphère qui est toujours celle de l’intelligence économique. Par rapport aux Américains qui considèrent que tout se pense et se résout en termes de rapports de force et de moyens techniques, nous estimons que l’environnement a une très grande influence sur les décisions que l’on doit prendre. On ne peut pas aujourd’hui, dans un monde globalisé comme le nôtre, en pleine mutation, occulter ou refuser de prendre en compte les questions géopolitiques. Car elles constituent des enjeux clés du monde contemporain. Parler de politique internationale, de développement global, de réussite des entreprises sans prendre en compte le paramètre géopolitique équivaudrait à prétendre conduire une voiture sans mettre de l’essence dans le moteur ! Cette initiative est non seulement souhaitable, elle est indispensable. Il faut aider nos contemporains et tout particulièrement les jeunes générations à ouvrir les yeux sur les réalités de notre monde, sortir de la langue de bois et des discours convenus. La géopolitique peut et doit contribuer à faire évoluer les comportements. Elle conduit à reconnaître qu’il existe un certain nombre de facteurs, de pressions qui font que nous n’avons pas une liberté totale, que nous devons intégrer de multiples facteurs qui pèsent et conditionnent notre développement. D’ailleurs, avant de se lancer dans telle ou telle aventure, on serait bien avisé de prendre en compte les facteurs géopolitiques, car il s’agit là d’une base majeure. La géopolitique permet de mettre en évidence les vrais problèmes de fond. Prenons un exemple : le jour où l’on aura résolu l’équation de l’eau en Cisjordanie et en Jordanie, on aura éliminé une grande partie des scories qui empoisonnent les relations israélo-palestiniennes, israélo-syriennes, israélo-jordaniennes… car la question centrale est l’eau. L’eau conditionne l’agriculture, donc l’alimentation des populations de ces régions. Réglez cette équation et vous aurez résolu la majeure partie de ce problème épineux.

De quelle manière enseigner cela aux étudiants ? Même s’ils ont la tête bien faite, comment les amener à comprendre la complexité du monde qui nous entoure, à engager une démarche critique, positive, réaliste ?

Il est effectivement malheureux que l’on ne sensibilise pas les jeunes élites, comme d’ailleurs l’ensemble de nos contemporains, à ces questions géopolitiques. Notre système éducatif a malheureusement une lourde responsabilité dans ce constat. On forme trop souvent des prétentieux et des arrogants qui s’imaginent tout comprendre, alors qu’ils sont en réalité totalement déconnectés des réalités du monde. On le voit chaque jour avec les échecs retentissants que nous connaissons sur des marchés que l’on croyait acquis. Il me semble au contraire que nous devrions faire preuve d’un peu plus de modestie et de beaucoup plus de pragmatisme. Cela commence par un regard neuf posé sur le monde, dénué de filtres idéologiques surannés. Dans chaque endroit du monde où nous voulons agir, il est primordial de se livrer à une analyse de fond du cadre dans lequel on va évoluer. Car les choses sont différentes en Moldavie et en Bolivie, en Équateur ou à Singapour. Une quantité de données changent en permanence, tant dans le temps que dans l’espace. Si ces facteurs historiques, culturels, démographiques, économiques, sociétaux… ne sont pas pris en compte, il y a peu de chance que vous parveniez à comprendre la nature de la trame au sein de laquelle on vous demande de vous insérer !