Que veut-il ? Que peut-il ? Qu’est-ce que cela change ? Ce sont les questions que soulevait, dans le monde, l’élection de Barack Obama. Après les deux mandats de George W. Bush, chacun attendait une rupture dans le cours de la politique étrangère américaine,mais laquelle ? Plus de deux ans après l’élection de ce président singulier, l’énigme semble se dissiper en même temps que les espoirs – ou les craintes – souvent démesurées qu’elle avait suscités. Comme le soulignent deux récents ouvrages, la vision de Barack Obama défie les schémas simplificateurs, les présupposés idéologiques et les jugements définitifs. Pour Zaki Laïdi, directeur de recherche à Sciences Po, comme pour Yannick Mireur, fondateur de la revue Politique américaine, ce qui définit avant tout la politique étrangère américaine, c’est la prise en compte réaliste d’un moment historique dans lequel la puissance américaine doit, pour se maintenir, trouver de nouvelles façons de s’exprimer dans un monde caractérisé par la multipolarité et la complexité.
Pour l’ensemble des analystes, il était acquis que le nouveau président américain allait imposer un nouveau style à la politique étrangère américaine en abandonnant le messianisme guerrier de son prédécesseur à la Maison Blanche tant celui-ci contribuait à catalyser une hostilité mondiale croissante à l’égard des États-Unis.Toutefois, la volonté de rupture ne suffit hélas pas à définir une politique. Comme le souligne Zaki Laïdi dans un récent ouvrage sur le sujet, “il est assez facile de mettre un terme à l’idéologie de l’exportation de la démocratie,surtout lorsque celle-ci s’accompagne du recours à la force. Mais il est plus délicat de savoir jusqu’à quel point le renoncement à la défense des droits de l’homme doit aller. Il est relativement aisé de s’engager à respecter le point de vue de l’autre. Mais il est plus difficile de s’en tenir à ce seul principe si cet autre vient à vous résister durablement et donc à vous gêner”. Façon de dire qu’il est plus aisé d’annoncer une rupture que de la mettre en œuvre.Parce que le monde est toujours plus complexe que les discours, surtout aujourd’hui, alors que le voile d’idéologie qui recouvrait peu ou prou le monde lors de la Guerre froide, laisse la place à une nouvelle affirmation des intérêts nationaux d’autant plus débridée que de nouvelles puissances sont apparues.
Une Amérique au prestige déclinant
Pour évaluer la politique étrangère de Barack Obama, Zaki Laïdi comme Yannick Mireur prennent donc soin de la replacer dans un contexte historique particulier. L’un comme l’autre ne se bornent pas à rappeler l’émergence – évidente – d’un monde multipolaire.
Ils insistent aussi sur les conséquences de la crise économique et financière de 2008. “Pour la première fois depuis 1945, les États-Unis affrontent une situation où ils ne peuvent plus faire abstraction de leur propre responsabilité. Ils n’ont spontanément ni de pays à blâmer ou à ostraciser, ni de solutions immédiates à proposer. Ils n’ont pas de coupables sous la main”, écrit Zaki Laïdi. Au diapason, Yannick Mireur évoque un ternissement du rayonnement du modèle américain d’autant plus préoccupant qu’“il n’est pas seulement le fruit d’erreurs de politique étrangère et des évolutions internationales” mais aussi d’un affaiblissement intérieur. “Le contrat social américain est à bout de souffle et un nouvel équilibre entre État et marché doit être instauré, qui mette en cause les traits les plus essentiels du caractère américain : l’optimisme dans l’avenir économique et la liberté d’entreprendre”. Ces deux constats convergent vers une nécessité qui s’impose à la politique étrangère américaine : davantage de modestie et de pragmatisme. Par chance pour les États-Unis, leur nouveau président semble exceller dans ce nouveau registre.
Une politique étrangère au-dessus des partis
Un premier fait mérite d’être souligné : la politique étrangère de Barack Obama ne résulte nullement d’une logique partisane. Du reste, c’est là une constante de la politique américaine dont les nuances ne sont pas réductibles au face-à-face entre républicains et démocrates. En se référant à la typologie établie par William Mead, Zaki Laïdi rappelle que l’histoire des États-Unis comporte quatre grandes traditions en termes de politique étrangère : le refus d’alliances contraignantes, partagée par tous ses présidents, le messianisme par la force, incarné notamment par Bush junior, le messianisme multilatéral, représenté par Jimi Carter et enfin le leadership ferme mais prudent incarné par Bill Clinton,Bush senior et désormais par Barack Obama.Si bien que,selon Zaki Laïdi, “la vision de Barack Obama est empreinte d’un très grand pragmatisme qui le tient à distance de tous les débats que l’on peut avoir sur les traditions de la politique extérieure américaine”,tant “il rejette la dichotomie entre réalisme et idéalisme”. Pour le chercheur de Sciences Po,“dans les faits, Barack Obama est fondamentalement réaliste,à la manière dont pouvait l’être le père de son prédécesseur, Bush senior”. Il souligne ainsi que les deux présidents considèrent fondamentalement la souveraineté des États, et pas seulement celle des États-Unis, comme la pierre angulaire des relations internationales. Pas de quoi surprendre Yannick Mireur qui,de son côté, voit en Obama un lointain héritier du républicain Nixon qui eut l’intelligence de comprendre que la politique étrangère de la Chine pouvait être davantage déterminée par la poursuite de ses intérêts nationaux que par son idéologie marxiste.
Un principe : préférer le réel à l’idéologie
Le réalisme de Barack Obama est précisément ce qui le rend plus complexe à caractériser. En effet, les réalistes ne se définissent pas tant par rapport à des principes intangibles que par une prise en compte du réel. Le réaliste est toujours un pragmatique qui prête attention aux circonstances et aux marges de manœuvres que ces dernières offrent.On ne peut donc l’évaluer que de façon conjoncturelle.Un trait les caractérise cependant :la volonté de se tenir à distance de l’intrusion de la morale dans le domaine de la politique étrangère. Ainsi, on serait bien en peine de trouver, dans la bouche de Barack Obama, des expressions à connotation religieuse comme celles d’“Axe du mal” ou d’“États voyous” qui constellaient les discours de Bush Junior. Comme le note Zaki Laïdi, il prend acte du fait “qu’un nombre considérable d’enjeux de sécurité internationale particulièrement important pour les États Unis ne sont que faiblement corrélés à la nature politique des régimes en place”. L’observation du monde suffit à s’en convaincre “Cela vaut par exemple pour le conflit israélo-palestinien, présenté pendant longtemps comme un conflit opposant la démocratie israélienne à des régimes arabes qui ne le seraient pas. Or, depuis la victoire du Hamas en 2005, on a pu constater que les élections démocratiques conduisaient en général au triomphe des islamistes,ce qui ne pouvait qu’atténuer l’engouement occidental pour de telles procédures”, observe Zaki Laïdi. De même,s’agissant du dossier, pour le moins sensible, du nucléaire iranien, force est de constater que des pays comme la Turquie ou le Brésil ont adopté des positions non corrélées à la nature démocratique de leur régime.
Une personnalité complexe à l’image du monde actuel
Cette attention au réel conduit à rejeter l’interventionnisme débridé de son prédécesseur.Au Caire, à Moscou et à Shanghai, Barack Obama a affirmé qu’il ne revenait pas aux États-Unis d’imposer au reste du monde son système politique.Ainsi, à Moscou,en septembre 2009, il a déclaré que “l’Amérique ne peut pas et ne doit pas chercher à imposer un quelconque système de gouvernement à un autre pays. Elle ne doit pas non plus présumer du choix du parti ou de l’individu qui devrait diriger un pays.Et ce n’est pas toujours ainsi que nous avons agi”.De la sorte, il traduit peut-être aussi en actes des convictions personnelles. Fils d’un Africain très éduqué et d’une Américaine atypique avec laquelle il vécut longtemps à l’étranger, à Honolulu puis en Indonésie, Barack Obama est, en raison de ce parcours atypique, immunisé contre l’ethnocentrisme qui est l’un des maux de la politique étrangère américaine. Il est mieux à même de comprendre combien celle-ci peut-être ressentie comme péremptoire ou arrogante. Cela lui permet probablement d’agir avec davantage de subtilité dans un monde à la fois globalisé et multipolaire. Pour Yannick Mireur également, cette trajectoire singulière influe sur sa vision du monde : “Mesurer les contradictions internes,y compris celles, inévitables, entre les principes et l’action (l’Amérique, force de bien ou puissance impérialiste ?), peser l’héritage de l’histoire, distinguer le général du particulier, le tempo des peuples, des cultures, de la mondialisation,reconnaître l’enchevêtrement des causes et des effets dans les phénomènes du monde, cette approche singularise un Obama qui fut longtemps en quête d’identité et hérite de plusieurs histoires”, écrit-il. Personnalité complexe, Barack Obama serait donc parfaitement calibré pour manœuvrer avec habilité dans un monde également complexe caractérisé par une instabilité qui plonge les dirigeants dans des situations d’incertitude radicale.
Un enjeu central : restaurer le “rêve américain”
Cette nouvelle posture suffira-t-elle à maintenir le leadership de l’Amérique ? Obama lui même ne se fait aucune illusion à cet égard. En effet, il sait bien que la place qu’occuperont demain les États-Unis – et plus globalement les pays anciennement industrialisés – sur la scène mondiale dépendra aussi de leur capacité à résoudre leurs contradictions internes dans le contexte de la mondialisation.Comme l’écrit Yannick Mireur,“une condition essentielle de l’influence des Américains et des Européens sera leur faculté à répondre à l’usure de leur modèle. La continuation du modèle euro-américain au siècle du Pacifique dé- pendra du nouvel équilibre qui s’établira entre État et marché, pour retrouver la croissance et assurer une stabilité sociale et démocratique fondée dans la confiance des institutions”.
Cette observation souligne un point capital :dans la mondialisation,la compétition entre nations et groupes de nations est aussi une compétition entre les différents modèles de sociétés proposés aux différents peuples de la planète.Dans cette sorte de benchmark social, les États-Unis ont longtemps été bien positionnés tant le fameux “rêve américain” exerçait une séduction planétaire. Or, pour restaurer son prestige,rompre avec l’unilatéralisme de Bush Junior ne saurait suffire. Il faut y ajouter une vision qui permette aux États-Unis de redevenir une idée et un projet adaptés aux nouveaux enjeux nés de la mondialisation. Dans ce contexte, la personnalité d’Obama représente un atout. Mais la concurrence sera rude pour les Américains et les Occidentaux, car les Chinois bien sûr, mais aussi les Brésiliens,les Russes,les Indiens ou encore les Turcs développent également leurs propres discours avec l’ambition d’affirmer leur leadership dans la grande mutation que représente la mondialisation. À cet égard,les révoltes populaires en cours dans le monde musulman ont valeur de test : à quelles valeurs et à quels modèles vont elles se référer ? Et quelles nouvelles alliances, les nouveaux régimes vont-elles nouer ? La réponse à ces questions donnera une première indication sur la capacité d’Obama à rétablir le leadership de l’Amérique.
Pour aller plus loin :
- Le monde d’Obama, par Yannick Mireur, Éditions Choiseul, 173 p.,17 € ;
- Le monde selon Obama, par Zaki Laïdi, Éditions Stock, 274 p., 19 €.