Nov 202014
 

Libres réflexions sur la compétitivité et l’attractivité

« Adieu la France », titre l’hebdomadaire Valeurs Actuelles dans son édition du 13 novembre dernier, en consacrant une enquête à nos compatriotes fuyant un pays qui paraît économiquement essoufflé, politiquement sclérosé, et socialement fragilisé. Si l’hebdomadaire est coutumier des « unes » provocatrices, la question soulevée mérite examen.

Le gouvernement est lui-même conscient des enjeux. Pour preuve, les nombreuses initiatives prises ces dernières semaines pour « redorer le blason France », de la nouvelle réception de dirigeants de grandes entreprises étrangères à l’Élysée, le 17 octobre, au lancement presque concomitant des Assises des ruralités, censées attester d’une meilleure prise en compte par l’État de cette « France périphérique » décrite par le géographe Christophe Guilluy.

Car s’il n’est pas d’attractivité sans compétitivité, l’une et l’autre renvoient à une notion géopolitique plus essentielle: le territoire. Là où émerge et se développe tout tissu industriel. Et où s’organise la cohésion sociale et politique indispensable à une nation pour exister et trouver sa place dans la mondialisation.

Les classements internationaux des pays comme des grandes métropoles mondiales sont toujours sujets à caution. Notamment parce que l’on n’y mesure pas toujours les mêmes critères de performance. Et qu’il convient de s’interroger sur les commanditaires et le cadre culturel de telles études. Pour autant, les grandes tendances qu’ils révèlent, sur quelques années, ne peuvent être ignorées des décideurs politiques et économiques.

De ce point de vue, les pays de la zone euro, et la France en particulier, affichent un décrochage manifeste par rapport aux pays anglo-saxons (États-Unis et Royaume-Uni) et au bloc Asie-Pacifique. Les politiques de compétitivité et d’attractivité s’inscrivent dans ce contexte de concurrence exacerbée. Elles recoupent cependant des réalités différentes.

Compétitivité ou attractivité ?

Pour les géographes et urbanistes François Cusin et Julien Damon (Futuribles, 2010), la définition première de l’attractivité renvoie à l’acception physique, objective du terme : l’attraction qu’exerce un territoire. C’est-à-dire la force qui s’en dégage et lui permet à la fois de faire converger et de fixer, à l’image d’un aimant, toutes sortes de ressources : populations, revenus, capitaux, main-d’œuvre, entreprises, emplois, biens services, informations, événements professionnels ou culturels, etc.

La notion rejoint donc celle de la compétitivité, où prédominent à la fois l’efficacité économique d’un territoire et sa capacité à valoriser ses avantages comparatifs sur les marchés, notamment par le marketing urbain ou territorial. Mais l’attractivité ne se réduit pas à une dimension objective: elle s’inscrit dans un registre affectif, plus large : celui de l’attrait, de la valeur non financière, de l’influence perçue et générée.

Ce qui fait dire à F. Cusin et J. Damon que, « si le territoire peut être associé à une fonction de production, c’est aussi un support d’identité et un lieu offrant bien-être et qualité de vie aux habitants qui le peuplent ».

Dès lors, « l’attractivité précède la compétitivité », car « les entreprises vont désormais là où les gens ont envie d’aller ». Si, selon l’AFII, 20000 entreprises étrangères sont aujourd’hui installées en France, représentant deux millions d’emplois, 28 % de la R&D hexagonale et le tiers de nos exportations, tout l’enjeu est d’entretenir, voire de stimuler les flux entrants.

« Il en est en effet de la course à la compétitivité comme de la course aux armements ou aux technologies : tout avantage est temporaire » (note CLES n°120, Géopolitique de la compétitivité, 12/12/2013). La France le mesure aujourd’hui.

Questions françaises

Les 1eres Rencontres nationales de la toute nouvelle Direction générale des entreprises (DGE) de Bercy, organisées le 4 novembre 2014, avaient choisi pour thème : « Nouvelle politique industrielle et stratégie d’attractivité territoriale ».

S’il ne semble pas avoir émergé d’idées particulièrement innovantes, les participants ont pu apprécier le discours lucide du ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. Lequel a insisté, parmi les atouts de l’économie française, sur « l’attachement au pays », « à ce que nous avons été », à « nos territoires » : « La bataille de la mondialisation se gagne sur les territoires ».

Une approche qui souligne une certaine continuité en la matière avec son prédécesseur, Arnaud Montebourg. Et que vient d’illustrer l’organisation à Paris, du 14 au 16 novembre 2014, du Salon des produits et innovations Made in France (MIF Expo), placé sous le haut patronage du Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. Dans l’affichage tout du moins, s’est donc imposée l’évidence du lien entre compétitivité économique et territoriale, ainsi qu’entre compétitivité, territoires et attractivité.

Pour l’économiste et urbaniste Laurent Davezies, notamment, il convient de renforcer l’attractivité des métropoles, éléments moteurs d’une « France productive, marchande et dynamique où se forgent les nouveaux atouts de la compétitivité du pays » (La crise qui vient, La nouvelle fracture territoriale, Seuil, 2012).

L’idée est de jouer à plein de ses avantages comparatifs, comme de l’effet d’entraînement du facteur métropolitain. Cette idée est ainsi à l’origine du projet du Grand Paris, relancé en 2007 par le précédent président de la République, et que le Premier ministre, Manuel Valls, entend aujourd’hui accélérer. Pour être justifiée, cette approche ne saurait être exclusive : la richesse du pays, sa cohésion sociale et territoriale surtout, dépendent aussi et pour une grande part des villes moyennes et de ses « territoires périphériques ».

Or pour le géographe Christophe Guilluy, auteur du très remarqué Fractures françaises (Bourin éditeur, 2010) le risque est de voir se creuser le fossé entre « la France des métropoles, brillante vitrine de la mondialisation heureuse, où cohabitent cadres et immigrés, et la France périphérique des petites et moyennes villes, des zones rurales éloignées des bassins d’emplois les plus dynamiques » (La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014).

Ce risque de déchirure voire de « sécession » se retrouve à l’échelle de territoires plus réduits, comme les zones urbaines. Et il ne concerne pas seulement la France, bien sûr. Reste qu’il souligne que l’économie ne constitue pas le facteur d’explication prédominant en la matière. Un territoire peut être compétitif sans être attractif – voire devenir « répulsif » pour sa propre population.

Professeur à l’université Paris-Sorbonne et responsable de la revue Population & Avenir, Gérard-François Dumont explique ainsi que, « deuxième en Europe, après Moscou, par sa population, troisième au monde en termes de PIB par habitant, Paris dispose d’atouts solides dans la compétition internationale. Pourtant, elle souffre de difficultés de cohésion sociale et d’insuffisantes connexions entre la ville-centre et son agglomération » (Constructif, revue de la FFB, n°26, juin 2010). La cohésion sociale et territoriale est en effet indispensable à l’efficience économique.

Exister, résister, rayonner…

Le sujet est vital pour tout pays, et pour le nôtre en particulier. Le nombre de Français expatriés a progressé de 35 % en dix ans, selon le rapport rendu public le 15 octobre 2014 par la commission d’enquête parlementaire sur « l’exil des forces vives ». Plus radical, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles estime que « la France se vide », et que le phénomène s’accélère. 70 % des étudiants ayant passé cette année les concours d’écoles de commerce déclarent se préparer à quitter le pays à l’issue de leurs études.

À l’Edhec, 35 % des diplômés de la promotion 2013 sont déjà partis à l’étranger. Si une première expérience professionnelle à l’international est bien évidemment intéressante, « ce qui est particulièrement préoccupant, souligne l’ancien ministre de l’Education nationale Luc Chatel, ce sont les motivations de ces candidats à l’exil… et le risque qu’ils ne reviennent pas ».

Car la puissance et le dynamisme économique d’une nation se mesurent certes au nombre et la qualité de ses ressortissants installés à l’étranger; mais plus encore à la capacité à attirer et retenir les talents, les capitaux et les activités sur son propre sol.

Au-delà des questions de politique économique, de positionnement concurrentiel objectif – ou pour partie subjectif – sur l’échiquier de la compétition internationale, se pose donc la question toute géopolitique du territoire. Lequel, malgré la vogue du marketing territorial, ne sera jamais un produit, une marchandise comme les autres.

Il s’enchâsse dans une multitude d’échelles géographiques, mais également symboliques. Y compris au sein d’une région, par nature multipolaire, comme on le constate avec le dynamisme de Grenoble, par exemple, malgré le poids du Grand Lyon à l’échelle de Rhône-Alpes.

Dans leur Que Sais-Je sur Les 100 mots de la géopolitique, qui vient d’être réédité en septembre 2014, Pascal Gauchon et Jean-Marc Huissoud rappellent que la demande de territoire est le propre de toute communauté, et que « le contrôle et la formation des territoires restent l’enjeu majeur de la géopolitique ». Comme le soulignait Emmanuel Macron à Bercy: « On produit toujours quelque part »

Pour exister dans la mondialisation, un territoire doit donc résister au risque d’effacement ou de dilution. Mais cette nécessité n’est en rien synonyme de fermeture au monde, c’est–dire au réel. Dans L’Enracinement (1949), la philosophe Simone Weil estime ainsi que « les échanges d’influences entre milieux très différents ne sont pas moins indispensables que l’enracinement dans l’entourage naturel. Mais un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense ».

N’est-ce pas une très belle façon d’appréhender de manière moins pessimiste la pression qu’exerce, fatalement, le monde extérieur sur nos territoires, nos entreprises et nos emplois ?

Pour aller plus loin:

  • « Rapport d’enquête parlementaire sur l’exil des forces vives de France », n°2250, Assemblée nationale, 08/10/2014 ;
  • « Les villes face aux défis de l’attractivité. Classements, enjeux et stratégies urbaines« , par F. Cusin et J. Damon, Futuribles n°367, 2010;
  • « Territoire – Anteios ou la force de la terre« , in Les 100 mots de la géopolitique, coordonné par P. Gauchon et J.-M. Huissoud, Puf, « Que Sais-Je ? » n°3829, 128 p., 9 €.