Oct 082010
 

Ces derniers mois, les débats qui ont accompagné l’élaboration du projet de Grand Paris ont souligné la place centrale de la ville dans les jeux de pouvoirs.

Ce mouvement est mondial : des métropoles se renforcent avec l’ambition de capter une part croissante des flux économiques, financiers et humains qui conditionnent la puissance et la prospérité.

Le XXIe siècle est et sera urbain. La ville s’impose en effet comme le lieu où le plus grand nombre d’entre nous est appelé à habiter et travailler. « L’urbain métropolisé est en voie de généralisation. Près de la moitié de la population du globe vit dans des ensembles urbains », constate Michel Lussault, professeur de géographie à l’École normale supérieure de Lyon. Car, autant que l’urbanisation, c’est l’essor des métropoles qui retient l’attention.

Mondialisation rime avec métropolisation

Certes le phénomène n’est pas nouveau, loin de là ! Dans un récent ouvrage, Thierry Paquot, éditeur de la revue Urbanismes, rappelle avec raison que la passion des villes somptuaires traverse l’histoire de l’humanité : « Quel fondateur d’empire militaire, religieux, économique ou idéologique n’a pas songé, ne serait-ce qu’un instant, à bâtir une ville à sa gloire et à celle de son destin qu’il considère comme nécessairement fabuleux ? » Reste que le développement des villes n’est pas nécessairement lié à la mégalomanie ni même à l’exercice de l’autorité. Il résulte aussi des nécessités plus contingentes de l’industrie et du commerce. Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de dénombrer la part considérable des villes portuaires ou fluviales dans les métropoles mondiales. Marseille dans l’Antiquité ou Shanghai aujourd’hui le démontrent : lorsque le commerce s’intensifie et s’étend, de nouvelles villes naissent, prospèrent et croissent jusqu’à voir parfois leur prestige concurrencer ou supplanter celui des capitales politiques. Amsterdam, NewYork, Shanghai, Djeddah ou encore Bombay en témoignent.

Les métropoles aux dépens des États ?

Faut-il y voir un basculement de pouvoir ? Certains le pensent. Expert des questions d’aménagement du territoire et délégué interministériel pour le Développement du cluster de Saclay, Pierre Veltz souligne ainsi que le monde actuel « structuré par de grandes régions urbaines en réseau, souvent maritimes ou liées à de grands deltas, est proche de celui que décrivent les historiens quand ils s’intéressent aux périodes précédant la révolution industrielle et le formatage du monde en États-nations et en “économies nationales” qui s’est opéré au XIXe siècle et au XXe siècle.» Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon et président du Grand Lyon partage son analyse: « Jusqu’aux Trente Glorieuses, écrit-il, on a assisté à l’avènement de l’État-nation. Puis, le progrès, l’émergence de nouvelles technologies, l’accélération des échanges ont conduit au développement d’un phénomène de mondialisation entraînant l’affaiblissement des États au profit des villes. Aujourd’hui, la planète est en voie de réorganisation autour de nœuds métropolitains gigantesques. » S’il faut se garder d’en conclure que l’État serait hors jeu, un constat ne souffre pas la contestation : les villes sont bel et bien des acteurs majeurs de la mondialisation.

“Coopétition” mondiale pour la captation des flux

Ce serait toutefois une erreur de focaliser notre attention sur la rivalité entre métropoles et États. Il est vrai que les villes s’opposent parfois aux États, notamment lorsqu’elles leur contestent telle ou telle prérogative relevant auparavant de leur compétence exclusive. Mais c’est d’abord avec leurs semblables que les villes sont en compétition. L’enjeu ? Capter les flux humains, économiques, intellectuels et financiers qui, dans la mondialisation, sont gages de puissance et de prospérité. Comment ? En devenant des villes insérées dans les réseaux mondiaux, des villes interconnectées. Michel Lussault observe ainsi « la montée en puissance du principe de la connexion généralisée entre toutes les réalités urbaines ». Dans ce contexte, les villes gagnantes sont donc celles qui nouent le plus possible de relations avec les autres de façon à devenir un carrefour incontournable.

En terme franco-français, cela signifie notamment qu’il convient de dépasser enfin le vieil antagonisme Paris-province, la compétition stérile et les multiples blocages qui en résultent. Lorsque Gérard François Dumont, démographe et professeur à la Sorbonne remarque que « dans la compétition entre villes mondiales, la France en aligne une grande, Paris, comptant 10 millions d’habitants, soit la seule mégapole européenne hormis Moscou », cela ne doit nourrir ni l’arrogance des parisiens ni la rancœur des provinciaux. Car, pour maintenir son rang, Paris doit pouvoir s’appuyer sur des pôles de dynamisme en province. Et de la même façon, ces derniers ne pourront ni se passer du vaisseau amiral qu’est la capitale, ni se reposer sur lui.

La nouvelle donne de l’économie de la connaissance

Mais cet élan coopératif ne doit pas concerner les seules villes. Il faut impérativement y associer aussi les entreprises. Car, face à la concurrence induite par la mondialisation, villes et entreprises ont partie liée. En effet, dans l’économie de la connaissance, la performance des entreprises repose avant tout sur leur accès au savoir. Or, comme l’écrit Pierre Veltz, « La ville est une machine privilégiée pour permettre aux grands acteurs mondialisés de bénéficier des idées et des contributions productives des petits acteurs locaux, de leur créativité et de leur renouvellement incessant, dopé par l’ambiance métropolitaine. » La conséquence coule de source: « désormais les villes ont besoin d’attirer les entreprises, certes, mais de plus en plus les entreprises ont besoin des villes ».  Pourquoi ? Parce que, dans la compétition mondiale pour les talents, les fameuses « classes créatives » décrite par l’Américain Richard Florida, la  localisation de l’entreprise devient cruciale. « À court terme, les salariés suivront les entreprises dans leur choix de localisation ; mais à moyen terme, ce sont les entreprises qui suivront les choix de vie et donc de résidence de leurs collaborateurs », prévient Pierre Veltz.

Pour une entreprise inscrite dans son “terroir urbain”. Cette nouvelle donne mondiale bouleverse bien des certitudes. Ainsi, il apparaît qu’impératifs économiques et souci de la qualité de vie ne sont pas antagonistes mais qu’ils vont de pair. « Pour les autorités municipales, écrit encore Pierre Veltz, la question de la qualité urbaine et du cadre de vie devient cruciale. Ce n’est plus une question annexe par rapport à la stratégie économique des villes. C’est une question centrale. »

Quant aux entreprises, même mondialisées, elles ne peuvent plus se désintéresser du territoire sur lequel elles sont installées. Elles doivent certes penser à l’échelle du monde et se projeter sur les marchés internationaux, mais sans perdre de vue leur enracinement territorial et le « terroir urbain » dans lequel elles s’inscrivent. Loin de toute attitude parasitaire ou opportuniste, il leur revient de contribuer loyalement à sa valorisation, de respecter ses équilibres sociaux et même de s’insérer dans son écosystème. Il est ainsi de leur ressort de participer à la vie locale et de contribuer à son rayonnement, par exemple en multipliant les actions de mécénat et de partenariat en coopération avec les villes et les divers acteurs urbains. En d’autres termes, pour relever le défi de la mondialisation, villes et entreprises doivent apprendre à travailler ensemble et nouer un pacte gagnant-gagnant.

« L’urbain métropolisé en voie de généralisation », par Michel Lussault ; « Associer les métropoles», par Gérard Collomb ; « Quel avenir pour les métropoles », par Pierre Veltz ; « Forces et faiblesses de la mégapole parisienne » , par Gérard-François Dumont, in Constructif, n°26, juin 2010 (cette revue d’idées publiée par la Fédération française du bâtiment est consultable librement sur www.constructif.fr) ; Les faiseurs de villes : 1850-1950, sous la direction de Thierry Paquot, Infolio Éditions, 509 p., 12 €.