Mai 122013
 

« Le Proche-Orient a son pétrole, la Chine a ses terres rares », Deng Xiao Ping, 1992.
Parmi les défis des prochaines décennies, l’épuisement des ressources n’échappe à aucun prospectiviste avec deux versions de l’avenir : la « corne d’abondance » version Claude Allègre, ou le changement de paradigme imposé (une nature sous le choc du « pic » décrit par Marion King Hubbert pour le pétrole et extrapolé).
Mais toutes les données des grands instituts géologiques (comme l’US Geological Survey ou le BRGM français) convergent vers un constat d’épuisement de 18 des 26 principales ressources minérales identifiées à l’horizon 2030-2050. La bataille des terres rares n’en trouve donc que plus d’intensité et d’enjeux stratégiques immédiats.

Cartographie et texte : Alain Nonjon

Des terres pas si rares que cela…

Trouvées sous forme d’oxydes dans les minerais, inventoriées dès le XVIIIe siècle déjà et définies comme un groupe de métaux aux propriétés chimiques et surtout magnétiques, les terres rares, c’est-à-dire 17 métaux1 appartenant à cette catégorie, sont moins rares qu’il n’y paraît — l’or est moins courant ­— et leur présence est comparable à celle du plomb et de l’étain.
Mais leur faible concentration impose d’extraire des quantités importantes de terre pour satisfaire un marché en 2011 de 128 000 tonnes et 1,25 milliard de dollars. Des pays comme les États-Unis, devant l’importance des coûts économiques (40 dollars le kilo), humains et écologiques de l’exploitation, ont décidé à la fin des années 1980 de suspendre cette production pourtant stratégique ouvrant ainsi la voie à un monopole de fait chinois.
La rareté n’est pas celle non plus de leur utilisation : vous allumez une lampe LED de basse consommation deuxième génération verte2, vous activez votre écran LCD, vous installez des panneaux photovoltaïques, vous optez pour un équipement en éolienne, vous achetez un véhicule équipé d’un pot catalytique, vous décidez de porter des lentilles optiques ? Vous rencontrerez sur votre chemin des terres rares.
L’industrie des céramiques, des alliages métallurgiques, des aimants permanents, des luminophores sont de grandes consommatrices de terres rares dont la demande va quasiment doubler de 2010 à 2015. Le vocable japonais de « vitamines de l’industrie » résume bien ces métaux stratégiques, terreaux des industries civiles, militaires et vertes.
La rareté est… organisée. Depuis 2006, la Chine, premier producteur (97 %) et jusqu’ici premier pays pour ses réserves (seulement un tiers des réserves mondiales) et premier consommateur (54 %), a réduit ses quotas d’exportations. Une diminution portée même à un niveau de pénurie relative (moins 35 % en un an entre les premiers trimestres 2010 et 2011) qui conjugue une volonté de contrôler toute la chaîne de production, de répondre à des besoins nationaux élevés, de centraliser la production dans de grands gisements comme avec l’entreprise Guangzhou Rare Earth dans le Jiangxi et de lutter contre la pollution… Mais, surtout, de faire des terres rares un des éléments d’affirmation de sa puissance dans un contexte régional et international. L’impérialisme minier est désormais pour les Chinois un registre de puissance possible.

Rarement on avait parlé autant des terres rares chinoises

Les Chinois occupent le devant de la scène de ce marché stratégique depuis quelques mois et y sont une puissance tutélaire.
Leur production monopolistique ne peut que susciter des tensions pour l’industrie de pointe des PITA, dont le Japon. Le bilan comptable est sans appel : la Chine, avec seulement un tiers des réserves pour 97 % des besoins mondiaux produits, est en position de monopole grâce aux potentiels du Jiangxi et de la Mongolie intérieure. L’empire du Milieu n’exporte pourtant plus que 40 000 tonnes sur les 100 000 produites — quantité correspondant aux seuls besoins annuels du Japon pour son industrie automobile !
La Chine, en pratiquant des restrictions aux échanges, crée une surenchère sur des produits volatiles et emballe les prix (le cours du néodyme, par exemple, a quadruplé en 2010 pour atteindre 200 dollars le kilogramme). Les risques de dégonflement des bulles spéculatives sont forts, comme le retournement de conjoncture de 2012 l’a montré avec la perte de 45 % de sa valeur du cérium (polissage du verre optique) et le Géant y a trouvé un justificatif de sa politique malthusienne… pour faire remonter les cours.
La Chine instrumentalise les terres rares dans ses démonstrations nationalistes contre le Japon à propos des îles Senkaku, prétexte à l’embargo.
La Chine, en opérant cette autolimitation, se met certes en porte-à-faux par rapport à l’OMC, dont elle est membre depuis 2001, et s’expose à des observations/sanctions. Elle est censée en effet honorer la décision de ne pas freiner ce type d’exportation stratégique.

Les mesures de mobilisation générale : tout sauf la rareté

L’avenir ne s’invente pas, il se prépare : le scénario catastrophe est écrit. La recherche de nouvelles terres rares devient un impératif facilité par le fait que les gisements sont en réalité assez également répartis entre les continents (400 projets d’exploitation dans le monde). D’après les estimations de l’US Geological Survey de 2007, les États-Unis possédaient plus de 10 % des réserves mondiales, l’ex-URSS plus de 15 % et l’Australie environ 5 %. L’ultimatum chinois aux Japonais et l’embargo ont réactivé les mêmes peurs et les mêmes réponses que face au choc pétrolier.
L’Australie participe à l’effort de réactivation de mines et l’exploration de nouvelles réserves à Mountain Weld mais la Chine est aux aguets. C’est en Malaisie, à Kuantan, que l’entreprise Lynas travaille des terres rares importées d’Australie. Le Canada, le Vietnam, le Groenland, le Kazakhstan se mettent au diapason mais avec des délais de mise en œuvre de 5 à 10 ans. Tandis que la Chine investit dans la mine kazakhe de Boschkul… et, à la façon d’un joueur de go, encercle les pions de l’adversaire.

Les États-Unis veulent remobiliser leur production à Mountain Pass en Californie.
L’Union européenne amorce une politique de stockage.
Le Japon se prend à découvrir des gisements marins surévalués près de l’île Minamitorishima, à quelque 2 000 km au sud-est de Tokyo, dans l’océan Pacifique. Des échantillons de boues prélevés à 5 800 mètres de profondeur révèlent d’importantes concentrations de terres rares. Rien n’est laissé de côté dans la communication de cette découverte. Cette concen-tration serait en outre de 20 à 30 fois plus forte que celle des minerais prélevés dans les mines chinoises.
D’après les scientifiques, les fonds sous-marins autour du Japon pourraient contenir environ 6,8 millions de tonnes de ces minéraux précieux, soit 220 fois le volume annuel moyen utilisé par l’industrie dans l’archipel ! Bref, la fin de la dépendance minérale est programmée.
Le recyclage devient une priorité pour les industries électroniques et des groupes privés comme Toyota ou General Electric. Elles essayent de trouver des produits de substitution et de pratiquer le zéro gaspillage. Rhodia ouvre la voie d’une industrie du recyclage à La Rochelle ; Hitachi propose même un moteur électrique dépourvu de terres rares.
Les États sont au rendez-vous avec des organismes centralisés pour faire face aux déséquilibres des marchés : le comité d’État français aux métaux stratégiques finalise des mesures de recyclage.
L’OMC vitupère, stigmatise — interpellée par les États-Unis et l’Union européenne — et attend le bon vouloir chinois qui use et abuse de tout l’arsenal à sa disposition : taxes à l’exportation, quotas, embargos même et promesses de créer un « développement sain » des producteurs et une régulation raisonnable des prix.
Reste, bien sûr, à épingler ses terres rares sur l’autel de l’environnement : pollution du fleuve Jaune dont un tiers des eaux seraient impropres, même à l’usage industriel et quand bien même elles sont au centre du processus de dépollution des moteurs diesel.

À plus d’un titre les terres rares évoquent une nouvelle donne :

  • le grand basculement du monde vers la Chine qui a les moyens d’exercer sa suprématie dans cette niche stratégique des terres rares, que les États-Unis ont abandonnée provisoirement depuis 1990, mais avec le risque d’un jeu qui tourne mal : effondrement des cours après une surchauffe ;
  • l’inversion des raretés décrite par Jean-Michel Severino : « une nouvelle abondance humaine et une raréfaction croissante des ressources naturelles qui interdit de compter désormais sur le stabilisateur de la baisse des coûts des matières premières et fait du coût de la nature une révolution qui est vouée à étrangler les pays industrialisés chaque jour davantage » ;
  • l’ambiguïté des nouvelles technologies et de la révolution de l’information, si libératrices mais aussi symboles de dégradation de l’environnement, de conditions d’exploitation prédatrices sans que la prise de conscience ne soit assez forte. Terres rares, indispensables et inquiétantes à la fois.
  • Terres rares légères : lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, samarium, prométhium et scandium. Terres rares lourdes (moins fréquentes et plus précieuses) : europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium, yttrium.
  • Les lampes basses consommation de deuxième génération contiennent cinq terres rares avec, pour la luminescence, des terres rares 4N, donc pures à 99,99 %. Le terbium, le lanthane et le cérium, nécessaires pour la couleur verte, sont mélangés et calcinés pour donner la poudre luminophore qui émettra ce vert. Pour le rouge, ce serait avec l’yttrium et de l’europium ; pour le bleu avec le seul europium. 

Cartographie et textes : tous droits réservés par Groupe Studyrama pour Grenoble Ecole de Management.