La géopolitique a sa place légitime dans le management
Créé en 2007, le groupe Axyntis – entreprise de taille intermédiaire, (ETI) – est, de par ses capacités industrielles et avec près de 460 salariés, le leader de la chimie fine dans l’Hexagone.
Produisant en France, il exporte plus de 70% de son chiffre d’affaires, notamment sur des marchés réputés difficiles comme la Chine et l’Inde.
Une réussite qui a poussé le groupe japonais Fuji Silysia à nouer une alliance stratégique avec Axyntis.
Son PDG, David Simonnet – qui en contrôle le capital – voit en la pratique au quotidien de la géopolitique l’une des clés essentielles de la réussite de son groupe.
Soutien depuis l’origine du Festival de géopolitique de Grenoble (Prix Axyntis), il forme ses collaborateurs à la géopolitique, publie livres et tribunes sur le sujet, et vient même de lancer une lettre trimestrielle intitulée Géopolitique et Entreprises.
Pour lui, la géopolitique s’impose comme une discipline ayant sa place pleine et entière dans le management.
Cette réussite constitue donc à plus d’un titre un « cas d’école » à disséquer soigneusement, tant il prouve que la géopolitique constitue une grille de décryptage du réel totalement opérationnelle pour l’entreprise.
Publié en mars, le rapport PIPAME ( 1 ), réalisé sous l’égide des ministères de l’Economie et des Finances, et des Affaires étrangères et du Développement international, a identifié le groupe Axyntis comme une ETI leader, devenue en une dizaine d’années, le groupe indépendant possédant le plus grand nombre de sites (7) dans l’Hexagone, dont trois ont également des centres de R&D.
Ses activités couvrent plusieurs marchés de sous-traitance industrielle – sciences de la vie, colorants et chimie fine de spécialités – et sont organisées autour de relations stratégiques avec les principaux donneurs d’ordre de ces marchés.
Un positionnement solide qui lui permet de se projeter à l’international.
Certes, une ETI – compte tenu de sa taille – ne peut bien évidemment pas prospecter sur toute la planète et doit concentrer ses efforts sur quelques zones.
Deux ans après sa naissance, Axyntis a affronté une crise sérieuse, l’obligeant à procéder à des choix pour son développement.
Sur les marchés développés et innovants, le Japon, l’Allemagne et les Etats-Unis ont été sélectionnés, puis l’Inde et la Chine comme marchés émergents.
« C’est là que la géopolitique s’impose – à différents titres – comme une excellente grille de décryptage du réel, explique David Simonnet.
En effet, pour se développer au Japon, il faut faire attention à la stratégie de développement que l’on mène en Inde ou en Chine. Car nos partenaires japonais vont avoir leur propre stratégie de développement chez ces deux géants d’Asie.
Dès lors, il ne faut pas que notre propre stratégie en direction de ces territoires se trouve en opposition avec celle de notre partenaire japonais. La dimension bilatérale ne doit pas entrer en contradiction avec la dimension multilatérale.
En ce sens, la géopolitique permet à l’entreprise de définir des priorités dans l’établissement de sa stratégie, priorités cohérentes et non contradictoires. »
La géopolitique a sa place légitime dans le management
Comment David Simonnet en est-il arrivé à se passionner pour la géopolitique?
« En classes préparatoires, puis à l’ESSEC, j’ai fait en parallèle des études d’histoire à Paris-IV, puis j’ai enseigné à mon tour en classes préparatoires.
Et tout logiquement, j’ai soutenu dès l’origine le Festival de géopolitique de Grenoble.
Il me semblait utile d’associer au corps enseignant et à Grenoble Ecole de Management des personnalités de la société civile, en particulier issues du monde des entreprises, qui sont des praticiens de la géopolitique. »
A l’instar de ce que nous écrivions dans le n°1 de Cas d’école, David Simonnet estime que « la géopolitique et plus généralement les sciences humaines et sociales ont leur place pleine et entière dans le management.
Les comportements, individuels ou collectifs, sont le fruit de la culture et des espaces au sein desquels on évolue.
Aussi, la géopolitique est intéressante en ce sens qu’elle permet de bien appréhender les contextes historiques et géographiques, de façon dynamique, ainsi que les rapports de force qu’ils peuvent engendrer et que l’entreprise ne peut ignorer. »
La géopolitique s’impose donc dans l’entreprise comme un outil d’aide à la décision particulièrement performant dans les zones où elle souhaite se développer – investir ou vendre – mais aussi comme un formidable booster de compétitivité.
En effet, à l’heure de la globalisation, les enjeux géopolitiques peuvent modifier la donne dans un secteur d’activité.
Axyntis fabrique des molécules actives pour le marché pharmaceutique.
Quid de ce marché à l’échelle mondiale ?
Où sont fabriqués les médicaments ?
Quelles sont les normes qui en encadrent la production et la commercialisation ?
Y a-t-il des contrôles effectifs et sérieux ?
D’où viennent les composants ?
Comment s’articulent les relations entre producteurs de matière première et fabricants de médicaments ?
Des normes toujours plus exigeantes : un atout majeur
« Un produit ou service a d’autant plus de valeur que des normes de qualité y sont associées et que celles-ci sont contrôlées, explique David Simonnet.
Or les Etats, (comme les Etats-Unis avec la FDA, Food and Drug Administration), prennent part à l’établissement des normes et à leur mise en oeuvre, et en ce sens, exercent de fait un pouvoir sur d’autres pays, qui, eux, doivent les appliquer.
Ensuite, se profile un second enjeu : la lutte contre les contrefaçons.
D’autant que les médicaments contrefaits peuvent aboutir à des désastres humanitaires. »
La géopolitique aide donc l’entreprise à évoluer au sein de son secteur d’activité, depuis sa fonction d’aide à la décision en matière d’options stratégiques jusqu’à la gestion des enjeux juridiques, en passant par le marketing et le commercial.
Pour David Simonnet, elle lui permet en outre d’être proactive et offensive, d’optimiser la création de valeur en prenant en compte les normes des marchés sur lesquels elle souhaite se développer.
« C’est là l’une des grandes leçons de la mondialisation.
Les Etats jouent un rôle beaucoup plus important que ce que l’on peut imaginer, ne serait-ce qu’en définissant les normes et en veillant à leur application.
La prise en compte de la géopolitique est devenue un impératif pour le manager mais aussi pour ses équipes.
Car leur sort est lié au devenir de leur entreprise et leur savoir-faire doit en permanence s’adapter à des paramètres en vigueur dans d’autres territoires.
D’où l’importance d’initier tant les ingénieurs que les cadres commerciaux aux règles de la géopolitique. »
Axyntis forme ainsi depuis des années ses cadres à la géopolitique, via des conférences et des séminaires.
Cette année, sa « garde rapprochée » accompagnait même David Simonnet au Festival de Géopolitique de Grenoble.
Qualité, R&D, formation à la géopolitique : des atouts-clés
« La formation des équipes, le haut degré de technicité des équipements, l’extrême rigueur et la mise en oeuvre des normes HSE – hygiène, sécurité, environnement – qui sont les nôtres constituent ainsi un formidable avantage concurrentiel, précise le Pdg d’Axyntis.
Bien avant la mode du Made in France, nous avons mis en avant notre solide implantation en France et nos efforts en matière de R&D.
La France est reconnue comme un pays qui a des normes très strictes en matière de qualité, ce qui constitue un atout majeur dans la compétition internationale. Ainsi, sciemment, on ne va pas sur les marchés qui ne valorisent pas ces normes.
Le faire signifierait entrer dans une spirale low cost qui tire inéluctablement vers le bas.
Notre capacité à respecter des normes extrêmement strictes constitue un gage de qualité, un atout majeur quand on sait que l’avenir est à des marchés qui vont devenir de plus en plus exigeants sur ces points.
Nous produisons en France, nous vendons en Inde et en Chine.
Preuve que rien n’est impossible. Car les classes moyennes qui émergent dans ces pays – et se comptent en dizaines de millions de personnes par an – sont de plus en plus attentives à ces questions de normes, a fortiori quand elles portent sur des questions de santé ou environnementales, créant à notre profit un formidable appel d’air. »
Et David Simonnet d’ajouter : « A titre personnel, j’ai milité – et ça a été relayé – pour que, sur les boites de médicaments, soient très clairement mentionnées les origines des composants, surtout pour ce qui concerne le principe actif, ce qui met en relief la valeur de la norme associée au producteur. »
Les normes jouent donc bien un rôle capital dans la stratégie d’influence d’un Etat ou d’un ensemble d’Etats ( 2 ).
En résumé, et l’exemple d’Axyntis le prouve, la géopolitique permet à l’entreprise :
– de prendre les bonnes décisions pour s’installer ou aller vendre sur un marché,
– d’affiner sa stratégie en prenant en compte les sciences humaines et sociales,
– d’éviter de commettre des impairs dans les échanges bilatéraux et multilatéraux,
– de valoriser ses produits en matière de normes, de sécurité et de qualité,
– donc de créer de la valeur.
Au final, l’entreprise devient bel et bien un acteur des rapports de force géopolitiques.
Extraits – Guerre économique, Géopolitique & Entreprises
La Lettre Géopolitique & Entreprises – Début 2017, David Simonnet, Pdg d’Axyntis, a lancé Géopolitique et Entreprises, une lettre trimestrielle associée à la revue Conflits, dont la vocation répond à l’objectif suivant :
« La lettre Géopolitique & Entreprises est née d’un constat : en dehors des grands groupes, rares sont les entreprises, TPE, PME ou ETI, qui usent de la grille de décryptage du réel que constitue la géopolitique.
Or, pour combattre dans la guerre économique, il faut connaître les rapports de force à l’échelle planétaire. Sans cette connaissance, le risque externe est subi plutôt qu’anticipé. La menace d’un risque externe empêche l’entreprise de prendre des risques internes nécessaires à l’innovation. Plus le risque géopolitique est élevé, plus la prise de risque interne à l’entreprise est faible.
Observer tous les terrains de la guerre économique, trier et traiter les informations désormais abondantes et souvent contradictoires permettront de mieux agir dans un monde global et multipolaire. […] Dans une conception extensive de ce qu’est une entreprise, avant tout un projet de long terme porteur de sens pour toutes ses parties prenantes, inséré dans son écosystème mais également dans un monde à risques, la lettre Géopolitique & Entreprises donne la parole à des acteurs qui sont situés aux frontières des nouveaux risques géopolitiques et donc également des nouvelles opportunités. »
Pour recevoir la Lettre : geopolitique.entreprises@axyntis.com
L’entreprise dans la guerre économique : géopolitique et rapports de force à l’international – David Simonnet a publié en 2016 aux Puf un Que sais-je ? intitulé Les 100 mots de l’entreprise.
Voici l’extrait qu’il consacre au concept de guerre économique.
« La « guerre économique » s’est progressivement imposée comme la forme privilégiée des conflits entre les puissances, États ou entreprises, alors que la mondialisation efface les frontières entre sphère privée et sphère publique, et menace à la fois l’indépendance des entreprises et l’intégrité des secteurs stratégiques nationaux.
La France l’a compris tardivement, puisqu’elle n’a reconnu qu’en 2014 l’importance d’une diplomatie économique en la rattachant au Quai d’Orsay.
Alors que la guerre économique fait voler en éclats les sacro-saintes règles des théories du libre-échange, sa durée est celle de l’émergence de nouvelles puissances économiques régionale et mondiales.
L’un de leurs objectifs est de garantir l’accès aux ressources rares indispensables à l’indépendance d’une nation : il ne s’agit plus seulement des matières premières, des capitaux ou des hommes, mais également des produits industriels stratégiques tels que les médicaments.
Comme dans toute guerre, il y a les entreprises qui « montent au front » et les autres.
On mesurera l’exposition des entreprises par leur taux d’ouverture commerciale.
Pourtant, même les entreprises « sédentaires » sont fortement liées au devenir des entreprises « nomades » qui sont implantées dans leur écosystème. Frontalement ou en soutien, toutes les entreprises seraient ainsi devenues des « régiments » de la guerre économique. »
1/ http://www.entreprises.gouv.fr/etudes-et-statistiques/enjeux-et-perspectives-principes-actifs-medicaments?utm_campaign=pipame-pa-medicaments&utm_source=pipame-pa-medicaments%20&utm_medium=mars-2017
2/ Voir le rapport de Claude Revel (Bercy, 2013), Développer une influence normative internationale stratégique pour la France – http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/14133.pdf
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