Texte : Alain Nonjon
À tous les déclinistes qui pensent que « la France tombe », qui se retrouvent dans de longs plaidoyers pour une France décadente (6e rang mondial désormais derrière la blanche Albion), à tous ceux qui se reconnaissent dans les pavanes pour une France défunte (61 % des Français perçoivent la mondialisation comme une menace), la carte proposée devrait être une réponse partielle, partisane, et relever le défi de Jules Michelet en 1846 « La situation de la France est si grave qu’il n’y a pas lieu d’hésiter… » (Le Peuple.) On peut aussi y lire un hommage à Bernard Maris qui livrait à Grasset juste avant d’être assassiné le manuscrit d’un ouvrage au titre sans ambiguïté, Et si on aimait la France…
Si on l’aimait pour…
• Son attractivité : la France accueille sur son territoire le 4e stock mondial d’investissements directs étrangers (IDE) entrants (1 095 milliards de dollars en 2012 selon la CNUCED) derrière les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni. De même, avec 1 497 milliards de dollars d’investissements à l’étranger en 2012 (chiffre multiplié par 5 en 30 ans, passant de 4 % du PIB à plus de 60 % !), elle est le 5e détenteur d’IDE hors de ses frontières, après les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Chine. Depuis 2009, la France enregistre des flux entrants dits « en capital social » (ceux impliquant une nouvelle implantation en France) supérieurs à ceux de l’Allemagne. 300 000 emplois ont été préservés ou créés par l’étranger en France en 10 ans ! Comment en serait-il autrement avec des infrastructures qui par leur qualité nous positionnent au 4e rang mondial ? avec une productivité horaire des travailleurs français unique (45,40 € de richesse produite par heure travaillée contre 42,60 € pour les Allemands) ? Que dire aussi des 83 millions de touristes qui, en 2012, ont permis d’engranger 42 mds d’euros de recettes ?
• Sa créativité : Paris est en belle position pour l’innovation avec 4 000 start-up (12 000 en Île-de-France). 120 000 PME parviennent à exporter et une dizaine des 71 pôles de compétitivité ont été des leviers de croissance .
• Son anticipation : la France est en 2e position (juste derrière les États-Unis) dans le classement des entreprises mondiales les plus innovantes. Dans le top 10 européen, la moitié des places sont trustées par les Français.
• Sa repentance : les coûts salariaux sont désormais (enfin ?) revus à la baisse, surtout pour effacer le complexe vis-à-vis de l’Allemagne (écart réduit avec 50 cts de hausse contre 1,23 € en 2013), et sans abuser du temps partiel (20 % des emplois créés contre 70 % en Allemagne).
• Ses conversions : la France de Méline, celle qui refusait de s’ouvrir (« Boire peu mais dans son verre ! », selon sa formule), est aujourd’hui celle où 2 500 groupes, hors secteur bancaire, possèdent au moins une filiale à l’étranger. Plus de 33 300 filiales françaises à l’étranger emploient près de 5 millions de salariés.
• Ses niches : comme Parrot, leader des drones… de loisir dans 100 pays, Costral, n° 2 mondial des machines à embouteiller, Ubisoft et ses jeux fétiches (« Assassin’s Creed ») vendus dans 105 pays.
• Ses excellences : comme Carmat cœur artificiel, une des 450 start-up médicales qui honorent la filière ; mais aussi le luxe à la française, avec 78 sociétés fédérées par le Comité Colbert représentant 3 % du PIB européen, 1,5 million d’emplois directs et indirects sur un marché potentiel de 1 000 milliards d’euros en 2014!
Si on la respectait pour…
• Sa diplomatie et sa contribution à la création d’un système international, avec 169 ambassades, 92 consulats, 27 représentations permanentes auprès d’une organisation internationale. À la clé, une surreprésentation au Conseil de sécurité avec 23,5 % des résolutions du Conseil de sécurité depuis 2000 et des positions bien trempées dans le souverainisme (Dominique de Villepin en 2003).
• Sa pugnacité. Attendre plus de 30 ans sans être « désarmée » par les échecs (Brésil) et rebondir avec des contrats de vente de Rafale qui s’enchaînent (Inde, Égypte, Qatar et bientôt EAU), voilà le « tout est possible » français ; la marque France nous positionne, selon le spécialiste Simon Anholt, entre le 2e et 4e rang mondial, foi de Pascal Lamy (Quand la France s’éveillera, Odile Jacob, 2014).
• Son rayonnement, que d’aucuns appelleraient le « soft power à la française » (Gary Ziegler), porteur de valeurs universelles. Certes, c’est là l’expression d’une « grande puissance moyenne » avec un maillage culturel de grande puissance: 811 Alliances françaises depuis 1883 (Barcelone) dans 137 pays, 488 établissements français à l’étranger (320 000 élèves dont une classe à Oulan-Bator !), 143 centres culturels et instituts français dans le monde depuis Florence, en 1907, relayés par RFI et TV5 Monde — piratée par Daesh, preuve de la portée de son message. Et avec France 24, « Partout et toujours » n’est plus la devise de Coca-Cola mais de la France !
• Son rôle de magnet avec 330 000 étudiants étrangers (4e rang mondial) qui ne sont que la « cinquième colonne » de notre influence, mais aussi ces quelque 2 millions de Français à l’étranger (Europe surtout), ambassadeurs de la french touch plus que du masochiste french bashing.
Si on la craignait pour…
• Sa force brute, avec un territoire maritime de près de 12 millions de km2 de zones économiques exclusives dispersées sur le 6e continent, de la Nouvelle-Calédonie aux îles Kerguelen, en passant, par la Polynésie.
• Sa capacité de dissuasion : avec le nucléaire, bien sûr, et une armée qui peut se projeter en Libye, au Mali, en Centrafrique.
• Sa capacité de persuasion, sa ténacité diplomatique : « l’emmerdeuse du monde », selon J.-C. Rufin, n’a pas remis les Mistral à Poutine et pèse encore avec l’Allemagne sur les destinées ukrainiennes.
• Son sens du devoir quand, nonobstant ses déficits budgétaires abyssaux, elle intervient au nom d’idéaux européens de fraternité, de solidarité et de justice sur des terrains extérieurs (700 millions d’euros/an) sans la possibilité de défalquer ces sommes de ses déficits (3,8 % du PIB).
• Son prosélytisme. La francosphère (36 pays où le français est langue officielle ou d’usage) et les pays francophiles représentent 16 % du PIB mondial et environ 14 % des réserves de ressources minières et énergétiques, alors que la francophonie représente 4 % de la population mondiale… Des opportunités, donc, à transformer au quotidien.
• Ses performances tous azimuts : 6e puissance scientifique, 4e pour l’impact de ses publications, un système de santé efficace (1er rang mondial et 15 % des dépenses de santé mondiales)… L’indigestion de palmarès nous guette !
Si on l’admirait pour…
• Sa culture gastronomique célébrée sur l’autel des trésors du « patrimoine de l’humanité » de l’Unesco ; on comprend que le Quai d’Orsay en fasse son étendard et les TV françaises leurs choux gras (« Chef », « Top Chef »…).
• Son excellence technologique, de la BB au TGV, désormais vendu au Maroc (Tanger, Casablanca), au Royaume-Uni, Eurostar de Marseille à Londres désormais en Belgique avec Thalys, l’Égypte AVE en Argentine Buenos Aires.
• Ses géants de la télécommunication. « Universal Musique » numéro 1 mondial, promu par J6M (« Jean-Marie Messier moi-même maître du monde », pourtant détracteur de la France d’Astérix crispée sur son territoire).
• Sa langue promue au travers de la francophonie comme « un humanisme intégral tissé au travers des valeurs émanant de la langue française, ce merveilleux outil trouvé dans les décombres du régime colonial » (Léopold Sedar Senghor, 1962). Désormais, ce sont 57 États qui militent à l’OIF (Organisation internationale de la francophonie, sans l’Algérie mais avec le Qatar !) et 20 pays qui sont des observateurs bienveillants. Le français est bien la 2e langue de traduction après l’anglais, une langue apprise par 116 millions d’étrangers dont seulement 1 % par le relais des instituts français !
• Sa diversité : « agrégat inconstitué de peuples désunis » pour le jeune Mirabeau, la France d’aujourd’hui fait (pourrait faire ?) de sa diversité une force, et pour « faire tenir ensemble toutes ces diversités, elle a inventé des moyens originaux et délicieux : l’humour, la conversation et la gastronomie » (J.-C. Rufin). Quand le prix Nobel de littérature 2000, Gao Xingjian, réside en France, quand le prix Renaudot 2008 est décerné à un écrivain guinéen, Tierno Monénembo, la décolonisation des esprits est en marche dans une France où le plus grand événement du xxe siècle, ayant attiré 31 millions de visiteurs, a été l’Exposition coloniale. Et si la puissance passait par l’indifférence aux différences ?
• Sa générosité surprenante « pour des petits paysans assis sur leur magot » (Keynes). La France a donné l’exemple avec le lancement par Jacques Chirac d’une « taxe de solidarité » (Unitaid) pour lutter contre le sida, le paludisme, la tuberculose. 160 millions d’euros par an dont elle acquitte (hélas ?) 93 % à elle seule.
• Ses superlatifs, ses médailles Fields (Cédric Villani), ses Nobel surtout en littérature (de Le Clézio à Modiano), et son M.Germain, simple instituteur oranais « qui a tendu la main au petit enfant pauvre, avec lequel grâce à son enseignement et son exemple » Albert Camus fut… prix Nobel de littérature. Comme Jean Pisani-Ferry, réjouissons-nous d’une France qui a su, dans le passé, « peser plus que son poids démographique économique et militaire parce qu’elle a inventé, parce qu’elle a créé et parce qu’elle a servi d’exemple. Notre pays n’est jamais plus lui-même que lorsqu’il est imité » (Alexis de Tocqueville).
Bref, cette carte se démarque du plan ternaire d’énarque dénoncé par Jacques Marseille en 1993, déjà : « 1/ la France a connu son apogée ; 2/elle découvre désormais son déclin ; 3/elle ignore encore sa condamnation. » Faut-il oser dire avec P. Drouin qu’« il vaut mieux vivre aujourd’hui qu’hier, ici qu’ailleurs » ?
La dure contrainte des concours valait bien une pause d’optimisme car « les pessimistes ne seront que des spectateurs », Goethe. Et pour ceux qui souhaitent trouver un rééquilibrage à ce credo, qu’ils se reportent à l’Atlas de l’influence française au xxie siècle de Michel Foucher : « L’influence, elle, a quelque chose de plus que la présence. Être influent, c’est venir avec une valise pleine d’idées et laisser la valise sur place. »
Cartographie et textes : tous droits réservés par Groupe pour Grenoble Ecole de Management.
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