Avr 132017
 

Enjeux économiques, rôle de l’Etat et intérêt national

CLES202

La Constitution de la Ve République fait du chef de l’Etat le personnage central, la clé de voûte de nos institutions. Chef des armées, garant de l’indépendance nationale et de l’intégrité territoriale, l’étendue de ses pouvoirs est directement liée à la légitimité démocratique qu’il puise dans son élection au suffrage universel direct.

Dans quelques jours maintenant…

Si la campagne électorale n’a pas été dominée par les grands enjeux et principaux défis internationaux qu’aura à relever le prochain locataire de l’Elysée, l’actualité vient de rappeler à tous le poids de sa charge.

Attentats islamistes de Londres, Saint-Pétersbourg et Stockholm, frappe américaine contre l’armée syrienne, crise en Guyane – qui souligne tout à la fois les atouts de la présence française outre-mer (avec ici la base spatiale de Kourou) et les tensions qui agitent le pays.

Un pays qui s’interroge sur son destin, faisant dire à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dans un entretien à la revue Conflits : « Il serait temps de trouver un point d’équilibre entre la grandiloquence et la dépression qui nous frappe quand nous constatons que nous ne sommes plus ce que nous avons été. »

Que reste-t-il de la puissance française ? Le dossier que la revue Conflits consacre à cette question ne prête guère à l’optimisme. D’un seul point de vue économique, la France pèse de moins en moins dans le monde d’aujourd’hui.

Elle représentait en 2015 de l’ordre de 3,2 % du PIB mondial (contre 5,1 % moins de 10 ans plus tôt, en 1996), 3,1 % des exportations de marchandises (5,6 % en 1996), 5,04 % des recettes touristiques mondiales (6,38 %), 3,09 % du stock d’IDE (7,61 %)…

Ce recul est certes en partie lié aux progrès des émergents.

Et les succès de la French Tech comme le rebond spectaculaire des constructeurs automobiles hexagonaux, tendant à prouver que l’industrie n’est pas condamnée, laissent à penser que le pays conserve des ressources.

La puissance française en question

D’un point de vue diplomatique, dans sa relation au monde, la France peut aussi miser sur son soft power, ce « pouvoir doux » théorisé par l’Américain Joseph Nye.

« En ce domaine, la France jouit d’un prestige qui tient très largement à son histoire », rappelle Frédéric Munier dans Conflits.

Grâce à sa langue bien sûr : le français est la langue officielle de 32 pays et est parlé par 275 millions de personnes, ce qui en fait la 5e langue la plus répandue dans le monde.

Tandis que le legs de l’épisode révolutionnaire (droits de l’homme, République, suffrage universel) constitue aujourd’hui encore le moteur de son influence internationale, attestée notamment par le succès de la COP21.

« Plus largement, la France offre l’un des plus larges éventails de patrimoine, artistique, architectural, paysager également. Ces ressources matérielles et immatérielles, couplées à ‘l’art de vivre à la française’ – qui rime bien souvent pour les étrangers avec l’art de la table – font de la France la première destination touristique du monde, encore en 2016, malgré la vague d’attentats récents, avec 83 millions de touristes. »

Un capital qui explique aussi les succès à l’exportation des secteurs véhiculant cette « image de marque » : luxe, agriculture et agro-alimentaire notamment.

« Reste à savoir si la douceur pourra payer dans un monde qui s’oriente vers la dureté, de Washington à Pékin, en passant par Moscou, s’interroge Frédéric Munier. Car, comme Joseph Nye a fini par le reconnaître, le ‘soft power’ est peu de chose sans le ‘hard’… »

Or si l’armée française est devenue la première armée européenne, c’est par comparaison avec les autres (britannique en particulier), en voie de délitement.

Et si elle peut intervenir au Mali et en Centrafrique, « ouvrir un théâtre » et être « nation-cadre » selon les normes de l’OTAN pour de telles opérations, elle ne serait plus qu’une ‘junior partner’ dans les coalitions internationales selon le général Vincent Desportes, qui évoque « un désastre militaire ».

En cause, la distorsion croissante entre les missions dévolues aux armées et les moyens budgétaires et capacitaires dont elles disposent.

Une situation qui avait été exceptionnellement dénoncée par le chef d’état-major des armées en exercice, le général Pierre de Villiers, dans une tribune aux Echos (20/12/2016).

Car le résultat est « une armée usée jusqu’à la corde », sur-engagée mais sous-équipée et sous-entraînée.

Dès lors, « nous intervenons partout, mais toujours avec des volumes trop faibles et sur des durées trop courtes pour transformer nos succès tactiques en résultats stratégiques ».

Ce qui tend à poser la question de ce type d’engagements, au-delà du format de notre puissance militaire, à l’aune de l’intérêt national.

La poursuite de l’intérêt national

La Revue internationale et stratégique, éditée par l’IRIS, revient fort opportunément sur cette notion qui est au coeur de la fonction présidentielle, en France, et a dès l’origine prétendu expliquer la politique étrangère des Etats.

Robert Chouad insiste sur le caractère fluctuant, voire paradoxal, de la notion, car mobilisée rhétoriquement de manière très diverse selon les pays et les époques : « Le concept d’intérêt national est glissant et sert à la fois à décrire et à prescrire la politique étrangère » (Joseph Nye).

Il s’inscrit cependant dans un corps de doctrine à la fois politique et stratégique : survie de l’Etat, préservation du territoire et de la souveraineté (au sens de liberté d’action et de décision), sécurisation des voies de transports et des ressources vitales…

Ainsi que le précise R. Chouad, « l’école réaliste tient l’Etat pour l’acteur principal des relations internationales, celles-ci reposant sur des rapports de forces qui se développent dans un espace caractérisé par sa dimension anarchique – la scène internationale -, et à l’intérieur duquel la défense de l’intérêt national – défini en termes de sécurité nationale – et la recherche de la puissance sont les moteurs de l’action politique ».

Les Etats, donc les gouvernements, doivent cependant s’adapter aux nouvelles réalités transnationales et à la diversité sociale croissante.

Pour Christopher Hill en effet, « penser l’intérêt national dans le contexte contemporain nécessite de tenter de concilier quatre logiques : la politique étrangère ; le caractère multilatéral de la diplomatie moderne ; la hausse de la diversité ethnoculturelle au sein de nos sociétés ; les processus transnationaux qui traversent les frontières géographiques et conceptuelles ».

Un certain consensus politique est évidemment nécessaire à la définition de l’intérêt national.

En s’attachant aux négociations commerciales internationales (CETA, Tafta…), Jean-Marc Siroën interroge : « Est-il conforme à l’intérêt national de conclure des accords commerciaux qui laisseraient cohabiter des citoyens perdants et des citoyens gagnants ? »

Cette question est en réalité au coeur des enjeux de la campagne pour l’élection présidentielle.

L’importance des facteurs économiques

Robert Chouad le rappelle : « L’intérêt national se définit comme renvoyant à la défense et à la préservation de l’intégrité physique – territoire -, politique – souveraineté -, culturelle – valeurs – d’un pays et de sa société, à la promotion de la richesse économique de la nation et à la protection du bien-être matériel de la population. »

Ces derniers objectifs ne peuvent être considérés comme mineurs.

« La France est-elle sur la voie du redressement ou s’approche-t-elle toujours plus près de l’abîme ? »

Rédacteur en chef France et International aux Echos, Etienne Lefebvre refuse de céder à la tentation du déclinisme, mais fait sienne l’analyse de Gilles Babinet dans l’Audit de la France : « La France marche, les autres courent ».

C’est-à-dire que, malgré ses atouts, notre pays souffre d’une compétitivité trop faible, et si nos entreprises maîtrisent mieux leurs coûts, elles n’offrent pas toujours la qualité correspondant à ces coûts.

« Pour reprendre le mot qui fâche, il y a un problème d’offre, explique Jean-Marc Vittori. Dans ce contexte, des usines ferment, des fleurons sont rachetés par des groupes étrangers, des centres de décision disparaissent du territoire (même si des étrangers continuent d’investir en France). Le renouvellement est trop lent : les nouvelles pousses ont du mal à grandir… puis à rester au pays ». La crise de l’industrie en témoigne.

Le secteur ne représente plus que 11,1 % de l’emploi total en 2015 (contre 15,1 % quinze ans plus tôt) et 10 % du PIB (quand il atteint 12,1 % en Espagne par exemple), faisant de la France la 4e puissance industrielle européenne, derrière l’Allemagne bien sûr, mais également l’Italie et le Royaume-Uni.

Face à cette situation et à ses conséquences sociales, face aussi à l’imprévisibilité voire la dangerosité du monde concrétisée par la menace terroriste, les Français en appellent à l’Etat. « La grande question de l’Etat est au coeur du malaise français et de la sévère crise de confiance dont souffre notre pays », estime ainsi le journaliste Vincent Giret dans Le Monde (06/04/2017).

Avec un paradoxe : « Jamais en France la puissance publique n’a été aussi présente ni aussi imposante. Elle avale, chaque année, pas loin des deux tiers de la richesse nationale. Et n’en finit plus de gonfler : en dehors même de toute intervention politique, la machine publique engloutit près de 50 milliards d’euros supplémentaires chaque année ».

Et ce, sans compter le poids de la dette, qui atteint pratiquement 100 % du PIB et réduit d’autant les marges de manoeuvre du pays, tant sur son marché domestique que sur la scène internationale.

Si l’élection présidentielle a un sens, elle doit être l’occasion de (re)définir un avenir à la France. Ce qui revient à poser la question de l’Etat, à la fois comme stratège, comme acteur économique et comme garant de l’intérêt général.

Pour aller plus loin :

  • « Que reste-t-il de la puissance française ? », dossier de la revue Conflits n°13, avril-mai-juin 2017, 82 p., 9,90 € ;
  • « Intérêt national », dossier de la Revue internationale et stratégique (RIS) sous la direction de Robert Chouad, n°105, printemps 2017, 194 p., 20 € ;
  • « Audit de la France », dossier des Echos, 28/03/2017.

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