Le destin brisé d’une potentielle « Suisse de l’Afrique »…
Le 31 octobre 2016, la France met fin à l’opération Sangaris, lancée en décembre 2013 afin de ramener la paix au plus fort de la troisième guerre civile centrafricaine. Ce type d’opération n’est pas nouveau, puisque c’est la septième fois que la France intervient en Centrafrique depuis son indépendance en 1960.
Pourtant, cette fois, le contexte est différent. Le conflit est complexe.
Ses enjeux sont sociaux, politiques, ethniques, religieux, centrafricains mais aussi internationaux.
La France envoie pendant près de trois ans un contingent qui compta jusqu’à 2000 militaires.
Quel est son bilan ?
Comme on peut le lire dans un article de Nathalie Guibert pour Le Monde : « Venu à Bangui pour la clore le 31 octobre, le ministre de la Défense put, sans craindre de susciter de vifs débats, solder une mission ‘réussie’ ».
Pourtant, la France garde sur place près de 350 soldats pour, suivant le même article, constituer « une force de réaction rapide pour la MINUSCA », la force de maintien de la paix organisée par l’ONU comptant plus de 10 000 hommes.
Est-ce à dire que Sangaris n’a pas réglé les problèmes ?
Parmi les opérations extérieures menées pendant le mandat de François Hollande, celles entreprises en Afrique centrale et occidentale occupent une place particulière.
Sangaris n’a pas été celle qui aura mobilisé le plus d’hommes, comparée aux 3 000 militaires de l’opération Barkhane dans la région du Sahel.
Mais elle est révélatrice des débats sur la capacité que peut avoir une telle mission à pacifier un pays, et une puissance comme la France à cesser d’être « l’éternel gendarme de l’Afrique ».
Pourquoi cette intervention militaire ?
Il faut ici rappeler, à grands traits, les raisons de l’intervention de la France.
Le conflit qui déchire la Centrafrique depuis 2013 a plusieurs causes. La cause immédiate est liée à la proclamation comme président de Michel Djotodia, musulman originaire du nord du pays. Il s’oppose alors à François Bozizé qui refuse de quitter son poste.
Dans un pays à 90 % chrétien, avec une minorité musulmane représentant 9 % de la population, selon les chiffres de L’Atlas des religions publié en 2015 par Le Monde et La Vie, Michel Djotodia s’appuie sur une milice musulmane, la Seleka (« coalition » en langue sango), largement formée par des mercenaires venus de pays voisins.
Dès mars 2013, la Seleka prend Bangui et pille la ville, s’attaquant à la population majoritairement chrétienne.
Les chrétiens organisent alors, début septembre 2013, des milices appelées anti-balaka, perpétrant à leur tour des violences sur les musulmans. S’agit-il d’une guerre de religions ? Si cette dimension existe dans le conflit, il relève aussi d’oppositions culturelles plus larges.
Comme le rappelle Didier Giorgini dans sa Géopolitique des religions (Puf, 2016) : « Depuis plusieurs siècles, les nomades des bandes sahéliennes, islamisés, mènent des incursions chez des peuples sédentaires des zones situées plus au sud, le but étant parfois de razzier des esclaves qui ne pouvaient être musulmans ».
Le 5 décembre 2013, François Hollande décide d’intervenir. Il existe depuis 2002 des forces d’interposition sous mandat de l’ONU dans le pays.
En 2008, l’opération a pris le nom de MICOPAX, puis de MISCA en 2013 et enfin de MINUSCA en 2014.
Cette force est essentiellement formée de troupes des États africains. Sangaris s’inscrit dans ce cadre.
L’opération rencontre plusieurs difficultés, mais mène efficacement la tâche d’interposition entre les combattants dans la capitale.
Pour le contrôle du reste du pays en revanche, « la doctrine française du ‘frapper et transférer’ (en transférant la sécurité du pays à l’ONU) a ensuite rencontré de nombreux obstacles », selon Nathalie Guibert (Le Monde, 29/10/2016). La pacification du pays n’a pas empêché de nombreux massacres.
Dès 2014, François Hollande manifeste le souhait de réduire l’opération, puis de la clore au plus vite.
Outre la situation locale, Nathalie Guibert précise que « depuis 2014, le président français, François Hollande, a lancé deux nouvelles opérations lourdes, Barkhane au Sahel et Chammal en Irak et en Syrie. Le ministère, en fermant Sangaris, avait en tête un nouvel impératif : dégager des marges de manoeuvre pour tous les fronts, ouverts ou à ouvrir ».
Sous le feu… des critiques
L’opération Sangaris a suscité plusieurs critiques.
Tout d’abord au sujet de son manque d’efficacité, généralement imputée au manque de moyens.
C’est ce que rapporte encore Nathalie Guibert : « Fin 2013, l’état-major avait convaincu l’Elysée de ‘vendre’ aux Français une opération ‘de quatre à six mois’. L’appréciation de la situation s’est révélée erronée. Attendue par les différentes parties, la présence militaire française a déclenché une violente surenchère entre les combattants de l’ex-Seleka chassés du pouvoir après l’avoir pris par la force, et les milices d’autodéfense anti-balaka. Le retour à un calme relatif a pris des mois, après une vague de massacres intercommunautaires ».
Par ailleurs, Sangaris est accusée par certains d’avoir été une force d’interposition et non un moyen de lutter contre la Seleka.
Bernard Lugan, dans un article de L’Afrique réelle du 30 octobre 2016, n’hésite pas à avancer que « l’actuelle situation catastrophique est clairement la conséquence de ce choix militairement incompréhensible. Ce dernier s’explique probablement parce qu’il ne fallait pas ‘choquer’ l’opinion musulmane en paraissant intervenir aux côtés des chrétiens ». Si le propos est polémique, il est incontestable que la majorité de la population centrafricaine, chrétienne, n’a pas compris le positionnement « équidistant » de la force française.
Des soldats de l’opération sont également accusés de crimes sexuels. Ces affaires sont actuellement en cours de jugement, mais elles ont alimenté autour de Sangaris un climat de doute et de suspicion, même si la réaction gouvernementale a été immédiate.
François Hollande déclare en effet rapidement que si les allégations « d’abus sexuels innommables » visant des soldats français étaient confirmées, « c’est l’honneur de la France qui serait engagé » (Le Monde, 1er avril 2016).
De manière plus globale, un certain nombre d’ouvrages dénoncent la dimension néocolonialiste qu’aurait revêtue la mission, tel le livre de Yanis Thomas, Centrafrique : un destin volé, histoire d’une domination française (Agone, 2016).
Le bilan reste difficile à dresser, faute de recul. Reste que ces polémiques sont emblématiques des conflictualités africaines, où se mêlent l’impact symbolique des ingérences étrangères et les conséquences toujours vives d’une déstructuration politique et sociale sur la longue durée, comme nous l’avons évoqué lors du 8e Festival de géopolitique de Grenoble, au mois de mars 2016 (www.festivalgeopolitique.com).
Les enjeux de l’après-Sangaris
Quelle est aujourd’hui la situation du pays ? Dans un premier temps, une présidente de transition a été nommée, Catherine Samba-Panza, le 20 janvier 2014.
En 2015, dans un article pour le Diploweb, Didier Niewiadowski dresse un premier bilan de la situation et constate que « si des progrès en matière de sécurité sont indéniables, on les doit surtout à la MINUSCA, appuyée par la Force française Sangaris. De même, si la cohabitation entre musulmans et chrétiens renaît, l’action des ONG en est largement à l’origine. La création d’une Cour pénale spéciale et le rejet de toute impunité sont de réelles avancées ».
En somme, Sangaris aurait contribué à mettre en route un réel processus de restauration de l’État centrafricain.
En témoigne l’élection d’un nouveau président, Faustin-Archange Touadéra, le 30 mars 2016.
Toutefois, le maintien de 350 soldats français malgré la fin de Sangaris et la poursuite de la MINUSCA sont justifiés par le fait que les violences n’ont toujours pas cessé. En effet, la Seleka contrôle toujours une part importante du territoire.
Bernard Lugan, toujours dans L’Afrique réelle, dresse ainsi un bilan plutôt pessimiste de la situation sur le terrain : « Aujourd’hui, les massacres sont quotidiens et le pays est coupé en deux. Aucun administrateur sudiste n’ose en effet s’aventurer dans le Nord où il s’y ferait massacrer, cependant que les fonctionnaires nordistes ne sont guère volontaires pour venir se faire lyncher à Bangui… Quant aux bandes de la Seleka et à leurs diverticules, elles tiennent plus de la moitié du pays. »
L’avenir de la paix en Centrafrique est donc lié à des logiques complexes et l’avenir du pays à moyen terme ne saurait se résumer à l’efficacité d’une mission ponctuelle, aux moyens de surcroît limités.
Un parallèle existe entre la situation en Centrafrique et celle des pays voisins.
Le même rapport conflictuel entre éleveurs du Nord et sédentaires du Sud existe aussi au Nigeria, où il est ravivé régulièrement par le terrorisme islamiste porté par Boko Haram, qui a donné son soutien à la Seleka.
Quant à la reconstruction économique du pays, elle pose la question de la gestion de ses ressources.
Une question d’autant plus cruciale que les enjeux économiques du conflit ont rarement été évoqués.
Pourtant, dès le 6 décembre 2013, le magazine La Vie publiait un article à ce sujet, rédigé par Anne Guion et Elena Fusco.
On peut leur accorder le mot de la fin : « Ce pays couvert de forêt aurait pu être la Suisse de l’Afrique. Entre or, uranium, pétroles et autres ressources, la Centrafrique est un pays potentiellement très riche et dont les gisements représentent un enjeu dans le conflit en cours, surtout les diamants ».
Pour aller plus loin :
- Afrique, la fin de l’euphorie, numéro spécial n°3 de la revue Conflits, 2016, 82 p., 9,90 €, www.revueconflits.com ;
- « Centrafrique, les illusions perdues », article de Didier Niewiadowski pour le Diploweb, www.diploweb.com,17/06/2015 ;
- Centrafrique : un destin volé – Histoire d’une domination française, par Yanis Thomas, éditions Agone, 240 p. , 13 € ;
- Les guerres africaines de François Hollande, par Grégor Mathias, L’aube, 2014, 252 p., 17,80 € ;
- Géopolitique de l’Afrique, par Philippe Hugon, Armand Colin, 2013 (3e édition), 128 p., 9,80 €.
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