Déc 102015
 

Lecture géopolitique d’une question internationale

L’enjeu de la COP21, organisée à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, est d’importance, puisqu’il s’agit d’obtenir, pour la première fois en plus de 20 ans de négociations internationales, un accord universel juridiquement contraignant sur le climat.
L’objectif : maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C d’ici la fin du siècle – contre 4 à 6 °C si rien n’est fait, selon le GIEC. Un consensus se dégage quant aux intentions.

Mais il apparaît toujours aussi difficile de déboucher sur des engagements non seulement concrets, mais mesurables. Sur les 195 membres de la Convention- cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 155 pays – couvrant 86 % des émissions mondiales – sont arrivés à Paris avec des engagements permettant de limiter le réchauffement à + 2,7 °C en 2030.

Trop peu pour les experts du GIEC ! S’il est si difficile d’aboutir à un résultat autre que de principe, ou reposant sur des compromis tels qu’il en devient purement symbolique, c’est que le sujet, pour être d’intérêt planétaire, repose sur l’engagement des acteurs. Au premier rang desquels les États.

La recherche d’une réponse politique internationale au changement climatique débute au Sommet de la Terre, en 1992 à Rio. La « Convention de Rio » inclut l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Son objectif: la stabilisation des concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre (GES) pour éviter une « interférence anthropique dangereuse avec le système du climat ».

Entrée en vigueur le 21 mars 1994, elle est signée par 195 pays qui se réunissent lors d’une Conférence annuelle des Parties (« Conference of Parties », COP), afin de réviser la mise en œuvre de cette convention. La première COP est organisée à Berlin en 1995 et, depuis lors, ces réunions connaissent des fortunes diverses.

Si la COP 11 (2005) permet l’adoption du Plan d’Action de Montréal et la COP 17, à Durban (2011), la création du Fonds Vert pour le Climat, chacun garde en mémoire l’échec de la COP15 à Copenhague, en décembre 2009, où un accord pour prolonger le protocole de Kyoto (adopté lors de la COP3, en 1997) ne put être trouvé. D’où l’impression d’un décalage entre l’urgence de la situation et la lenteur des avancées.

Et donc l’appel du président de la République française, le 11 décembre, « pour que nous soyons capables de dépasser les intérêts des régions, des pays, les intérêts qui sont ceux de nos niveaux de développement pour que nous puissions être à la hauteur de la planète dans son ensemble ».

Une nécessaire mise en perspective historique

Les fluctuations climatiques sont inhérentes à l’histoire de l’humanité, ainsi que l’a démontré notamment Emmanuel Leroy-Ladurie (Histoire du climat depuis l’an mil, 1967).

L’actuelle période de réchauffement s’inscrit dans une série de cycles et contre-cycles, observables en Europe depuis un millénaire : « petit optimum médiéval » (900-1300), « petit âge glaciaire » (à partir du XIVe siècle), etc.

Elle a débuté dans la seconde moitié du XIXe siècle, concomitamment à l’expansion de la révolution industrielle. Dans son introduction à l’ouvrage collectif Le climat va-t-il changer le capitalisme? (2015), l’économiste et universitaire Jacques Mistral tire des observations historiques quatre enseignements: « D’abord, l’existence de fluctuations climatiques anciennes, amples, mesurables et datables.Ensuite, la difficulté pour les scientifiques de bien comprendre les causes de ces tendances et de leurs retournements qui ne font pas consensus. Troisièmement, le fait que le réchauffement observé depuis la fin du ‘petit âge glaciaire’ est, sans ambiguïté, plus ample que ce qu’impliquerait un retour à la moyenne bimillénaire […]. Enfin, le dérèglement climatique aurait été au XVIIe siècle l’un des facteurs majeurs qui ont provoqué une succession de famines, de guerre, d’épidémies et finalement la dépopulation de l’Europe. » Conclusion : « L’histoire nous impose de prendre très au sérieux la question du changement climatique. »

En évitant deux écueils : le relativisme et le catastrophisme.

Or les négociations internationales sur le changement climatique, dont la COP21 constitue une étape majeure, prennent pour socle scientifique le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont les conclusions sont encore plus alarmistes que les précédentes.

Avec trois messages clés : une « confiance croissante » dans la réalité du changement climatique, et dans la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement, qui serait établie de manière « de plus en plus certaine » ; la nécessité, pour limiter cette hausse, de réduire de 50 à 70 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2050 ; l’impératif de décisions drastiques et immédiates.

Un discours offensif qui se heurte à une évidence: « L’économie politique du réchauffement climatique n’est pas très favorable à la réalisation de l’optimum social: les coûts d’un comportement vertueux sont supportés aujourd’hui par le pays le mettant en œuvre, et la quasi-totalité de ses bénéfices vont à l’étranger et à des générations qui ne sont pas en âge de voter » (Jean Tirole, Le climat va-t-il changer le capitalisme ?).

Le climat : question internationale, objet géopolitique

Dès lors que l’on accepte de considérer les activités humaines comme le premier facteur du réchauffement climatique, il convient de s’intéresser à la carte des principaux foyers de pollution.

Avec 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 9 977 millions de tonnes de CO2 émises chaque année (chiffre 2013), la Chine est de loin le pays le plus pollueur de la planète.

Au deuxième rang se trouvent les États-Unis, avec 5 233 millions de tonnes de CO2, soit pratiquement la moitié du précédent et le double du troisième, l’Inde (2 407).

Pékin et Washington représentant donc à eux seuls une bonne partie du problème. Car arrivent ensuite, mais loin derrière, la Russie (1 812 millions de tonnes de CO2) et le Japon (1246), puis l’Allemagne (759), la Corée du Sud (616), l’Iran (611), l’Arabie saoudite (519) et le Canada (503).

Avec 344 millions de tonnes de CO2, la France se classe 17e parmi les 20 pays les plus pollueurs au monde, faisant mieux, notamment grâce à son énergie nucléaire, mais peut-être aussi en raison de sa désindustrialisation accélérée, que l’Indonésie, le Brésil, le Mexique, le Royaume- Uni, l’Afrique du Sud et l’Italie.

Cette carte dresse un portrait contrasté des « puissances polluantes » dans le monde.

Il apparaît nettement que ce ne sont pas les pays les plus en pointe, politiquement, dans le combat contre le réchauffement climatique, à savoir ceux de la « Vieille Europe » industrielle, qui sont les premiers en cause. Mais leur activisme dans ce domaine a longtemps indisposé les puissances émergentes du Sud, notamment l’Inde, soucieuses de se développer rapidement.

Un récent rapport du Sénat souligne les bouleversements géopolitiques à venir en cas de poursuite du réchauffement. Bouleversements négatifs, bien sûr, avec l’élévation du niveau de la mer, qui pourrait provoquer 200 millions de « déplacés environnementaux » d’ici à 2050 et « mettre sous tension nos systèmes économiques, sociaux et politiques ».

Mais dans le même temps,« l’ouverture des routes maritimes du Nord pourrait conduire à l’émergence d’un nouvel espace d’échanges et d’activités économiques » (cf. à ce sujet la note CLES n°61, 29/03/2012).

Les limites de la « gouvernance mondiale »

Si le premier pays pollueur de la planète, la Chine, s’est engagé à soutenir l’idée d’un accord « juridiquement contraignant » à l’occasion de la COP21, ce n’est pas le cas du deuxième, à savoir les États-Unis. Non parce que le président Obama serait « climatosceptique ».

Mais parce que Washington s’est toujours refusé à abandonner sa souveraineté à une instance internationale par trop contraignante – en témoigne notamment sa résistance constante à l’instauration de tribunaux pénaux internationaux (TPI).

La question du « mécanisme de révision » d’un accord international reste l’un des points durs des négociations, ainsi que l’a souligné François Hollande dans son discours du 11/12/2015.

S’y ajoutent « l’ampleur du financement » des efforts des pays en développement, « la question de la différenciation » entre pays riches et pauvres et « le partage des technologies » – soit des questions qui relèvent toutes, en réalité, des relations entre États ou groupes d’Etats.

La révolution peut-elle se faire par le bas ? « Parce que les villes et les zones urbaines abritent la majorité de la population mondiale et contribuent à 70 % des émissions de gaz carbonique de la planète, notre contribution est essentielle à la réussite de la COP21 », écrivent la maire de Paris, Anne Hidalgo, et l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, dans une tribune en juin 2015.

Mais selon une étude d’OpinionWay sur « les Français et la COP21 », publiée début novembre, l’opinion publique cite à 53 % les États comme étant les acteurs les plus à même de lutter efficacement contre le changement climatique. Loin devant une organisation mondiale de l’environnement qui resterait à créer (39 %) ou les collectivités territoriales (11 %).

Vox populi, vox dei? Les citoyens semblent plus réalistes que certains de leurs représentants. Dans Les Échos (03/12/2015), le philosophe et chercheur au CNRS Roger-Pol Droit met en garde contre les discours catastrophistes, « apocalyptiques », qui accompagnent les négociations de la COP 21 : « Attention à ce que les dérèglements de la pensée ne deviennent pas, eux aussi, contre-productifs pour le climat. ».

Attention en effet à une approche par trop idéologique de cette question, La politique, a fiortiori étrangère, reste toujours l’art du possible.

Pour aller plus loin:

  • Géopolitique du climat. Négociations, stratégies, impacts, par François Gemenne, Armand Colin,2e éd. octobre 2015, 272p., 25€;
  • Gouverner par le climat ? 20 ans de négociations internationales, par Stefan Aykut et Amy Dahan Dalmedico, Presses de Sciences Po, janvier 2015, 750 p., 23 € ;
  • Le climat va-t-il changer le capitalisme ? La grande mutation du XXIe siècle, sous la direction de Jacques Mistral, Eyrolles, juin 2015, 270 p., 17 € ;
  • Les conséquences géostratégiques du dérèglement climatique, rapport d’information de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 06/10/2015, www.senat.fr;
  • Climat, une nouvelle chance?, rapport Ramses 2016, sous la direction de Thierry de Montbrial et Dominique David, IFRI/Dunod, septembre 2015, 336 p., 32 €.