Nov 082018
 

Nos entreprises sauvées ou condamnées… par l’international

CLES220-1Alors que le déficit du commerce extérieur de la France s’accroit pour la quinzième année consécutive au point de dépasser, sans doute, 60 milliards d’euros en 2018, deux rapports parlementaires proposent des solutions.

Le caractère voisin de leurs diagnostics est d’autant plus intéréssant que chacun part d’un point de vue différent : celui de l’exportation pour le dernier en date, présenté fin septembre par les députés Pierre Cordier (app. LR) et Denis Masséglia (LREM), au nom de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; la défense de nos fleurons industriels face aux stratégies de fusion-acquisition menées par leurs concurrents étrangers, s’agissant du rapport de la commission d’enquête sur la politique industrielle de la France, rendu public en avril dernier par les députés (LR) Alain Marleix et (LREM) Guillaume Kasbarian. 

Semblable problématique ne peut qu’interpeller le dirigeant d’école de management que je suis. Offensive ou défensive, la posture de la France souffre, selon ces deux rapports, d’une même lacune : l’insuffisance d’une diplomatie économique capable de lui fournir, en arrière-plan, une armature logistique adéquate à ses ambitions. 

Cette armature n’est pas seulement d’ordre matériel, même si l’on constate une adéquation préoccupante (lire infra) entre la désindustrialisation de notre pays et les difficultés qu’il connaît à l’exportation.

Elle est aussi intellectuelle. Concernant la conquête des marchés extérieurs, la priorité des priorités, plaide le rapport Cordier-Masséglia, est de « placer la dimension internationale au coeur des politiques publiques » et de passer « d’une culture où l’export est vu comme un moyen d’écouler le surplus à une culture de conception des produits directement pour un marché mondial ou au moins européen ».

Une révolution culturelle analogue est préconisée en direction de nos entreprises visées par des stratégies hostiles que leurs responsables ne sont pas suffisamment formés à décrypter.

« Les organismes de formation initiale des cadres du secteur privé (universités, écoles d’ingénieur et écoles de commerce, etc.) devraient systématiquement incorporer aux sessions consacrées à la gouvernance une sensibilisation aux enjeux et, surtout, aux modes d’organisation de l’intelligence économique » insiste de son côté le rapport Marleix-Kasparian, rédigé après la conquête d’Alstom par General Electric au terme d’un processus de chantage d’une rare violence (voir à ce sujet l’excellent documentaire Alstom, une affaire d’Etat, plusieurs fois diffusé par la Chaîne parlementaire et disponible en replay sur la Chaine Parlementaire).

La nécessaire mobilisation de l’outil diplomatique au service des entreprises

En regroupant l’Agence française des investissements internationaux (AFII) et Ubifrance, l’agence pour le développement international des entreprises, afin de créer l’entité Business France en 2014, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, a incontestablement fait progresser la prise de conscience d’un nécessaire investissement public dans l’activité exportatrice. 

De même, la création, au sein même du Quai d’Orsay, d’une Direction des entreprises dotée de 75 agents, a bousculé beaucoup d’habitudes, tout comme la création, en 2015, de l’agence Expertise France, chargée d’assister les pays en voie de développement dans leurs appels d’offres internationaux…

Mais, rappelle le rapport Cordier-Masseglia, si l’initiative est à saluer, les moyens sont loin d’être au rendez-vous. Surtout si l’on compare, exemple parmi d’autres, le budget d’Expertise France avec ceux de son homologue allemand GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit)… 

C’est ainsi qu’en 2016, Expertise France a bénéficié de ressources d’exploitation à hauteur de 124 millions d’euros – provenant essentiellement de la vente de ses prestations, les subventions publiques ne contribuant au total qu’à hauteur de 12,5 millions – tandis que « GIZ a affiché la même année un carnet de commandes de 3,2 milliards d’euros (en progression de 38 % par rapport à l’année précédente) et un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros, dont 94 % provenant du secteur non marchand (ministère de la coopération et du développement, commande publique et subventions), ce qui lui permet de déployer des moyens et une activité considérables : plus de 130 pays couverts, 18 000 collaborateurs. » 

Peut-on mieux dire que l’Allemagne a, de longue date, fait de l’expertise technique un formidable outil public d’influence ? « Elle finance massivement des programmes dans de nombreux pays en développement, lesquels lui permettent de diffuser mondialement ses normes techniques, au grand bénéfice ensuite de ses entreprises. »

Augmenter significativement les moyens d’Expertise France pour en faire le principal agent de notre diplomatie économique, la voie est donc toute tracée. Reste l’essentiel : les moyens alloués… donc la volonté politique ! 

Un rapport direct entre la désindustrialisation et la capacité exportatrice de la France

Pourquoi est-il si urgent d’aider nos entreprises à conquérir l’international ?

Parce que celles-ci sont de moins en moins nombreuses à le faire (70% de notre volume d’exportation est dû à un petit millier d’entre elles sur les 124 000 qui se lancent dans l’aventure) et que, parmi celles qui réussissent, figurent très peu de PME. 

Or, comme le montre le rapport Cordier-Masseglia, on aurait tort de ne voir dans ce phénomène qu’une affaire de coûts de production et/ou de fiscalité comparative.

Le principal handicap français tient d’abord, comme le montre leur étude, à la baisse constante de notre capacité industrielle et à la montée symétrique d’une économie de service calquée sur les besoins d’un marché domestique qui, par définition, produit peu de valeur ajoutée à l’exportation. 

« Force est de noter que les pays où l’industrie reste très puissante, comme l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, l’Italie, les pays scandinaves, dégagent de forts excédents extérieurs, tandis que la France et le Royaume Uni, fortement désindustrialisés, sont en situation de déficit » notent les rédacteurs du rapport. 

Ils insistent aussi sur une autre carence, éducative celle-là, et qui donc devrait pouvoir trouver sa solution dans une décision politique : « L’insuffisante maîtrise des langues étrangères par les chefs d’entreprises petites et moyennes et les salariés français qui […] serait l’un des principaux déterminants de nos performances moyennes à l’international. « 

Les territoires, un atout à exploiter pour mobiliser les exportateurs 

Et si c’était à partir de leur cadre naturel – les régions et les bassins d’emploi – que les entreprises devaient finalement trouver les moyens de s’internationaliser ?

De même que le développement de l’intelligence économique constitue un levier essentiel pour permettre à nos créateurs de richesses de se battre à armes égales avec leurs concurrents, de même la diffusion du concept d’intelligence territoriale peut-elle aider les collectivités locales à s’ériger en premier chaînon d’une diplomatie économique efficace.

Dans leur rapport sur la politique industrielle, Alain Marleix et Guillaume Kasbarian citent en exemple la région Normandie qui, en 2017, a initié un dispositif pilote pour identifier les secteurs porteurs de croissance à l’exportation en associant dans une structure commune les services de la région, ceux de l’INSEE et de la Banque de France, la DIRECCTE de Normandie (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) et la Chambre de commerce et d’industrie. 

« Quel que soit le niveau de gouvernance, insistent les auteurs du rapport, il paraît aujourd’hui indispensable que l’intelligence économique ne soit pas seulement perçue comme un outil de sécurisation économique mais soit également un vecteur de la conquête des marchés internationaux par les entreprises françaises ».

Comment ? En définissant des cibles présentant un intérêt géopolitique essentiel (par exemple, la prise de contrôle d’un acteur étranger spécialisé dans les normes d’avenir – numérique, intelligence artificielle, etc.) et en fournissant aux entreprises locales des conseils spécifiques sur les dispositifs à mettre en place pour renforcer leurs chances de conclure des contrats.

A l’autre bout de la chaîne, Alain Marleix et Guillaume Kasbarian recommandent de compléter cette action par une stratégie d’influence systématique auprès des institutions de l’UE : « La politique industrielle européenne a, en effet, pendant trop longtemps été synonyme de politique de la concurrence, participant, dès lors, à une désindustrialisation de l’Europe sans pour autant, en retour, permettre une protection des entreprises européennes exposées à une concurrence nettement moins loyale pour ne pas dire clairement déloyale. »

Lueur d’espoir ? Dans son Document de réflexion sur la maîtrise de la mondialisation publié en mai 2017, la Commission de Bruxelles a pour la première fois reconnu que la défense de l’emploi justifiait peut-être de sa part une rectification de tir : « Le moment est venu de réfléchir à ce que l’Union européenne peut faire pour façonner la mondialisation en accord avec nos valeurs et intérêts communs ». 

Par exemple en associant les entreprises, les Etats et les régions à l’élaboration d’une véritable diplomatie économique ?

Pour aller plus loin :

  • Rapport d’information n° 1241 sur la diplomatie économique de la France et Rapport n° 897 de la Commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’Etat en matière industrielle, disponibles sur www.assemblée-nationale.fr;
  • Diplomatie économique efficace au service de l’économie française, par Roxane Ruscassie, Editions universitaires européennes, 2018.

 

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