Juin 152011
 

Les ministres de l’Intérieur du G8 ont adopté, le 10 mai, “un plan d’action” contre le narcotrafic. Selon Youri Fedotov, directeur exécutif de l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le marché de la drogue représenterait, au minimum, “un marché de 320 milliards de dollars par an”.

Depuis vingt ans, gouvernements interlopes, groupes insurgés ou organisations criminelles et terroristes (AQMI, Farcs, talibans, mafias turques, albanaises, italiennes…) exploitent les zones de culture du pavot, de la coca et du cannabis.

Surfant sur les schémas de la mondialisation et de l’économie vertueuse, ils ont créé un véritable marché planétaire, au sein duquel les pays du Nord sont les principaux consommateurs, mais pas seulement…

L’hydre du XXIe siècle”. En qualifiant ainsi le narcotrafic,Youri Fedotov, directeur exécutif de l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) souligne combien les narcotraficants ont profité de la mondialisation pour étendre leurs réseaux sur toute la surface du globe, lançant ainsi un redoutable défi aux États et aux organisations internationales.

La cocaïne à l’assaut de nouveaux marchés

Jusqu’au début des années 2000, les flux de cocaïne concernaient essentiellement le continent américain. Selon l’agence Interpol, “la production, le trafic et la consommation illicites de cocaïne, auparavant considérés comme concernant principalement les Etats Unis, revêtent de plus en plus une dimension mondiale. Le trafic de cocaïne génère des milliards de dollars chaque année. Les organisations criminelles utilisent ces profits pour acquérir du pouvoir et pour financer d’autres groupes de malfaiteurs, des terroristes et des insurrections”. Colombie, Pérou, Bolivie, Équateur restent les principaux pays producteurs de coca. Le Mexique, miné par les “méga-gangs”,suit de près. Une fois le “marché” nord-américain saturé, les trafiquants se sont tournés vers le “marché” européen.

L’Afrique de l’Ouest constitue le nœud du trafic de cocaïne en provenance d’Amérique latine et à destination de l’Union européenne (21 tonnes convoyées en 2009), avec, en premier lieu, la Guinée Bissau (classée parmi les principaux narco-État).La drogue y arrive par cargos, avions ou sous-marins. Selon un dossier du Spectacle du monde (juin 2011) consacré au crime mondialisé et piloté par le criminologue Xavier Raufer, “à Conakry, la police a aussi découvert des laboratoires servant à élaborer la cocaïne et l’ecstasy. De plus en plus, en effet, les trafiquants acheminent la coca non raffinée en Afrique de l’Ouest, pour limiter les pertes en cas de saisie. La drogue est ensuite divisée en petits lots et envoyée, via les pays du Maghreb, sur le territoire de l’UE. Une partie est confiée à des ‘mules’ qui se remplissent les intestins de petits paquets de poudre et tentent de passer les frontières. Le reste voyage en vrac, au milieu de containers charriant des marchandises licites. En Europe, le trafic est étroitement lié à la diaspora nigériane, surtout en Suisse.”

Le cannabis à l’heure des OGM
et des partenariats criminels nord-sud

Le cannabis, “drogue la plus consommée dans le monde”, selon le Rapport mondial sur les drogues pour 2010 de l’ONUDC, provient des pays du Maghreb, principalement du Maroc :soit en “herbe”,soit en résine (“shit”) – même si l’Afghanistan concurrence de plus en plus la production marocaine. Les trafiquants maghrébins dominent une large part du trafic,sans toutefois en maîtriser toute la chaîne de production : les pains de résine “surdosés” en substance hallucinogène nécessitent des traitements intermédiaires (fournis par des Hollandais, qui possèdent les moyens techniques de modifier génétiquement les plants de cannabis pour multiplier leur teneur enTHC, le principe stupéfiant). Autant dire que la production et le trafic de cannabis sont le fait de réseaux multinationaux qui donnent lieu à des partenariats criminels nord-sud fort complexes.

L’héroïne : un marché de 65 milliards de dollars
dominé par l’Afghanistan

Depuis dix ans, les criminologues ont détecté le réveil duTriangle d’or (Birmanie, Laos, Thaïlande),deuxième plus grande région productrice d’opium au monde.La drogue produite transite cette fois par laTurquie (principalement) et l’Afrique, pour ensuite rejoindre l’Europe de l’Est et les Pays-Bas,avant de plongersurla France et l’Espagne.Le Triangle d’Or a produit 800 tonnes d’opium en 2008 – de quoi fabriquer 70 tonnes d’héroïne. Le principal circuit de l’héroïne part cependant d’Afghanistan (qui fournirait plus de 90 % de l’opium mondial). L’ONUDC estime, dans son Rapport mondial sur les drogues, que la production de ce pays (370 tonnes en 2008,soit 7 700 tonnes d’opium) “dépasse ce que le marché international peut absorber. Le pavot d’Afghanistan nourrit ainsi un marché estimé à 65 milliards de dollars par an pour plus de 15 millions de consommateurs dans le monde”. Selon l’ONUDC, les flux d’héroïne afghane transitant par l’Afrique de l’Est (Kenya,Tanzanie, Éthiopie…) rejoignent, au Sahara, la route de la cocaïne en provenance de l’Ouest, avant de terminer, via le Mali, le Niger, leTchad et les pays du Maghreb, sur le territoire européen. À elle seule , l’Union européenne représente 19 % de la consommation mondiale des opiacés.

Le continent européen :
un débouché croissant pour les trafiquants.

Sur la marché mondial de la drogue, les consommateurs européens prennent hélas une place croissante. Selon Var Matin du 7 juin – qui présentait les activités du Centre de coordination pour la lutte antidrogue en Méditerranée (CeCLAD) – “en début d’année, les navires de la marine nationale déployés aux Antilles ont saisi à quelques semaines d’intervalle 3,7 tonnes, puis 2,7 tonnes de cocaïne. Plus près de nous, la Méditerranée occidentale a également été le théâtre d’une nouvelle belle prise de stupéfiants. Le 14 mai dernier, la marine et la douane françaises, en coopération avec les autorités espagnoles, ont intercepté un go-fast transportant 675 kg de cannabis.”
Les autorités s’alarment notamment de la façon dont la consommation de cocaïne s’est démocratisée.“D’un point de vue comptable, et pour ne citer que l’exemple de la cocaïne, le nombre de consommateurs a plus que doublé en Europe au cours des dix dernières années, passant de 2 à 4,5 millions. Selon le ministère de l’Intérieur, le vieux continent absorberait aujourd’hui près de 20 % de la production d’Amérique latine.”

L’Europe à son tour productrice de stupéfiants…

Mais désormais, l’Europe s’impose aussi, dans la géoéconomie du narcotrafic, comme une zone de production.Ainsi, les principaux fabricants de drogues de synthèse – comme l’ecstasy – sont situés aux Pays-Bas, en Allemagne et en Pologne. Faciles à fabriquer et à revendre, ces pilules sont en train de devenir “la valeur refuge” des trafiquants soucieux de maximiser les profits en minimisant les risques. Les informations trouvées sur Internet favorisent en effet l’éclosion de petits laboratoires clandestins très difficiles à déceler. En outre, pour palier aux difficultés croissantes d’acheminement, les mafias investissent dans la culture massive de cannabis en intérieur (indoor), à proximité directe des zones de consommation. Cette forme spécifique de “relocalisation” est loin d’être anodine : désormais, 60 % du cannabis consommé en Grande-Bretagne est produit au RoyaumeUni. La mafia vietnamienne, à l’origine de ces plantations clandestines (hangards désaffectés, zones industrielles), exporte ses savoir-faire vers la France, où d’importantes plantations ont récemment été démantelées : 700 pieds à La Courneuve, et à Orléans 1.000 à Dinan, 600 à Strasbourg… Le journaliste Jean-Marc Leclerc précisait dans Le Figaro du 25 mars 201 comment ces nouvelles méthodes réjoignent d’autres trafics, notamment d’êtres humains : “La pègre paie le voyage à des immigrés,venus en l’occurrence du Vietnam, et ceux-ci, tels des esclaves, remboursent leurs‘bienfaiteurs’ en travaillant comme ‘jardiniers’ dans leurs entrepôts, où la drogue pousse sous lumière artificielle”. Aux Pays-Bas, cette culture indoor générerait un chiffre d’affaires annuel de plus 2 milliards d’euros pour une production qui s’élèverait à plusieurs centaines de tonnes…

La délicate riposte des États
dans le contexte de la mondialisation

Face au défi du narcotrafic, les États se sentent souvent démunis tant leur adversaire se meut avec aisance dans la mondialisation. Comme l’expliquent les criminologues Xavier Raufer etAlain Bauer,l’explosion des trafics criminels de toutes natures représente “la face noire de la mondialisation”. À problème global,solution globale :face à des réseaux criminels souples, horizontaux et rapides, la riposte passe par une coopération internationale accrue et à une fluidification des moyens des acteurs étatiques.
Selon Le Monde du 10 mai, les représentants des vingt et un Etats et des neuf organisations internationales qui participaient au G8 élargi sur le trafic de drogue ont notamment décidé d’“améliorer la collecte et la mutualisation du renseignement” à propos des trafics internationaux de stupéfiants.A cet effet,quatre plates-formes opérationnelles européennes devraient être reliées aux “centres régionaux d’échange d’informations” établis en Afrique de l’Ouest,à Accra (Ghana) et à Dakar (Sénégal), en offrant à l’Amérique latine d’en créer d’identiques. Par ailleurs, il faut “faciliter les interceptions maritimes (des bâtiments transportant la drogue), en simplifiant les cadres internationaux qui les régissent. Le G8 s’est prononcé pour la mise en place d’“accords bilatéraux ou régionaux”.
Les participants ont également chargé l’ONUDC de la création d’un “fonds fiduciaire international” destiné à financer la lutte contre le trafic de drogue et alimenté, comme le suggérait la France, par les avoirs saisis aux narcotrafiquants. Une telle proposition est porteuse d’espoir : elle démontre en effet que, dans la lutte engagée, les États sont, à leur tour,capables de faire preuve d’imagination, d’agilité et d’inventivité. Dans un monde fluide et face à un adversaire mouvant, c’est une condition du succès. 

Pour aller plus loin :