Que disent du monde les dernières analyses Coface ?
Le 27 janvier 2015, la société Coface a organisé, au Carrousel du Louvre, à Paris, un important colloque consacré à l’actualité du « risque pays ». Experte des risques commerciaux, anciennement publique et connue pour son offre d’assurance-crédit, Coface est une bonne source d’information.
Sa capacité d’analyse est particulièrement utile aux acteurs économiques engagés à l’international, et qui ont à prendre des décisions commerciales ou d’investissement. En contribuant à définir une stratégie pour conquérir des marchés prometteurs, tout en se protégeant contre les risques, et en soulignant la prégnance du politique sur les facteurs économiques, tant micros que macros, l’analyse du risque pays rejoint celle de la géopolitique.
L’enjeu restant d’y voir clair dans ce « monde en ébullition » décrit par Les Echos dans L’année de l’économie, publiée également ce mois de janvier 2015.
« Fait inquiétant, nous observons une détérioration croissante de la situation des pays avancés. Je pense en particulier aux incertitudes liées au sort de la zone euro, où se concentrent nos risques.
Nous y constatons une explosion des impayés extrêmement préoccupante », analysait Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface, dans l’entretien qu’il m’avait accordé il y a deux ans (cf. note CLES Hors-Série n°23, Géopolitique du risque pays, mars 2013).
Il relevait a contrario « une amélioration indéniable des risques dans la majeure partie des pays émergents » : « Globalement, on y constate une plus forte résilience du tissu des entreprises.
Moins d’impayés, une capacité nouvelle à résister à des chocs externes, des dettes publiques qui se sont réduites, en un mot, nombre d’émergents sont mieux gérés ».
Qu’en est-il aujourd’hui? Cette dichotomie entre « vieux monde industriel » et émergents est-elle aussi frappante?
Cartes rebattues au sein des pays émergents
De décembre 2001, date du défaut argentin, jusqu’à la faillite de Lehman Brothers, en 2008, les émergents ont connu une période de forte croissance, notamment en raison du soutien du secteur bancaire international.
Or cette décennie est définitivement close. Le ralentissement chinois symbolise à lui seul l’entrée dans une nouvelle phase, avec des cartes rebattues au sein des émergents.
Pour Coface, six pays apparaissent particulièrement fragiles d’un point de vue financier, avec un risque de dépréciation de leurs taux de change : Indonésie, Turquie, Brésil, Afrique du Sud, Inde et Russie.
Ce groupe est certes évolutif : l’Inde et l’Indonésie n’ont pas marqué de fragilité en 2014, tandis que la Russie a rejoint de manière manifeste ce groupe, principalement du fait des conséquences de la crise ukrainienne et de la chute des cours du pétrole.
L’un des « tests » qui permet de mesurer ces fragilités nouvelles concerne le taux de change des monnaies. Il apparaît, contrairement à ce que l’on pouvait croire, une décorrélation entre le montant des réserves de change de ces pays et la stabilité de leur monnaie.
En témoignent par exemple le Brésil et la Russie, qui ont subi une crise de la valeur de leur monnaie malgré des réserves de change extrêmement élevées (12 à 14 mois pour le Brésil, davantage encore pour la Russie). Or le taux de change a un impact direct sur la balance des comptes courants, et donc sur la solvabilité des pays telle que la définissent les investisseurs.
Le ralentissement économique que l’on observe chez nombre d’émergents a « une forme bizarre » pour Coface. Car autant l’investissement se rétracte, autant la consommation des ménages se maintient, pour des raisons structurelles (montée des classes moyennes, augmentation des salaires, baisse du taux de pauvreté…).
Dès lors, il y a moins de production nationale pour contenter la demande finale, domestique, ce qui entraîne une augmentation des importations et donc une dégradation de la situation budgétaire et monétaire des pays – comme l’illustrent par exemple la Malaisie et la Thaïlande.
Pire : l’augmentation – plus forte que la croissance – de la dette des ménages provoque une augmentation des prix, notamment immobiliers, constituant pour le FMI une forme de « crise insidieuse » très proche de celle connue par les États-Unis en 2007, juste avant l’explosion de la bulle immobilière.
Dès lors, « il faut penser de plus en plus aux pays émergents, non pas avec les indicateurs externes, de leur relation avec l’extérieur, mais du point de vue de ce qui se passe à l’intérieur de chaque pays ». Il faut aussi être attentif aux relations nouvelles qui s’établissent entre eux, y compris en termes de « hiérarchie ».
Outre la Chine, le Brésil s’affaiblit considérablement : Coface estime faire preuve d’optimisme en tablant sur une croissance brésilienne de 0, 8 % en 2015. En cause : le ralentissement des importations chinoises, qui affectent le commerce extérieur du Brésil, mais également de graves problèmes structurels, internes, sur lesquels nous reviendrons prochainement.
En revanche, de « nouveaux émergents » apparaissent pour assurer de nouveaux relais de croissance : Philippine, Pérou, Indonésie, Colombie, Sri Lanka et Vietnam.
Ce dernier pays est symptomatique de la recomposition en cours. Il est passé en quelques années du statut de sous-traitant de l’industrie textile chinoise à celui de producteur important de biens à haute valeur ajoutée. L’électronique (dont les smartphones) représente d’ores et déjà 30 % de ses exportations, grâce aux milliards investis par les Coréens.
Rebond américain et incertitudes persistantes sur la zone euro
Pour Yves Zlotowski finalement, prise dans son ensemble, la situation économique actuelle est moins déprimante qu’en 2013. Avec une prévision de croissance à 3,1 % pour 2015, il estime ainsi que « la reprise mondiale se confirme ». Et le grand contributeur de cette croissance, à hauteur d’un quart, est l’Amérique.
Ce nouveau rebond (+ 2,9 % de croissance du PIB attendue en 2015) démontre l’incroyable capacité des États-Unis à se sortir de périodes de contre-performance, de doutes, de « déclin » régulièrement annoncé. Barack Obama n’a pas eu totalement tort d’affirmer, dans son récent discours sur l’état de l’Union, que « la crise est finie ».
La force de l’économie américaine tient à celle de ses entreprises, et à l’extraordinaire modération de leurs coûts – salariaux et bien sûr coût de l’énergie avec le développement de l’exploitation des gaz de schistes et la baisse du prix du pétrole.
Ainsi depuis 2012, le coût du travail n’a augmenté que de 4 %, quand la production industrielle augmentait de 12 % (contre – 1 % en zone euro), ce qui permet à l’industrie américaine d’être de nouveau très compétitive. On assiste ainsi à « une véritable renaissance de l’industrie, à l’instar de l’automobile, dont les entreprises tournent à 90 % de leurs capacités ».
Au sein des « pays avancés », la situation de l’Europe reste plus incertaine. En particulier au sein des pays de la zone euro, avec une « reprise très molle » prévue en 2015 (+ 1,2 %, mieux que les 0,8 % de 2014, mais toujours très en deçà des capacités des pays concernés).
« Après les crises souveraines, l’Europe découvre aujourd’hui un risque inverse : celui de conserver une dette lourde qui pèse considérablement sur la reprise et entretient les pressions déflationnistes », estime Yves Zlotowski.
Mais « la croissance est également entravée par des événements géopolitiques à l’issue toujours incertaine, au premier chef la crise géopolitique russo-ukrainienne, qui affecte le moral des acteurs économiques. Enfin, le retour du risque politique en Europe même pèse sur la confiance. Les scrutins électoraux qui ponctuent 2015 seront, à cet égard, des tests importants ».
De ce point de vue, la France et dans une moindre mesure l’Italie cumulent les facteurs de risque – quand la situation de pays comme l’Irlande, le Portugal et même l’Espagne paraît pratiquement rétablie, ou en passe de l’être.
L’éternel retour du politique?
Les facteurs (géo)politiques sont donc essentiels à l’analyse des risques. La crise ukrainienne le démontre amplement. Si Coface maintient sa « surveillance » sur les pays d’Europe centrale et orientale, malgré des fondamentaux macroéconomiques relativement sains (comme en Pologne ou en Hongrie), et des perspectives de croissance plutôt positives, c’est en raison de leur forte dépendance au gaz russe, mais aussi à l’impact psychologique de cette crise qui déchire le Vieux continent.
A contrario, c’est le retour à une forme de stabilité politique en Egypte et en Tunisie, après les soubresauts des « printemps arabes », qui explique les perspectives positives accordées par Coface à ces deux pays.
Et si l’Inde conforte sa bonne santé économique, elle le doit beaucoup au regain de confiance observé depuis l’élection du Premier ministre Narendra Modi en mai 2014.
L’économie reste donc fortement dépendante des facteurs et événements politiques. Ce qui peut apparaître rassurant d’un point de vue démocratique ne l’est pas forcément d’un point de vue sécuritaire, la politique restant la scène privilégiée des affrontements d’intérêts et de puissance.
Or comme le rappelle Antoine Reverchon en avant-propos du Bilan du Monde 2015, le réalisme conduit à ne plus exclure, nulle part, « la possibilité d’une guerre ». « Dans ces trois périphéries de l’Europe que sont le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Ukraine, la violence politique a atteint de nouveaux sommets avant de gagner la France elle-même, avec l’attaque meurtrière du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo ».
« Sans doute notre monde est-il plus dangereux » aujourd’hui, estimait pour sa part Yves Zlotowski dans son entretien de mars 2013 pour CLES. « Mais il faut reconnaître que nous étions bien contents de nous bercer d’illusions! A nous maintenant de sortir de nos certitudes infondées et de regarder la réalité en face. »n
Pour aller plus loin :
- Colloque Coface Risque Pays 2015, 27/01/2015, synthèse et vidéos des interventions sur www.coface.fr;
- Géopolitique du risque pays, entretien avec Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface, note CLES HS n°23, mars 2013 ;
- « 2014/2015, Un monde en ébullition« , Les Echos, HS n°12, janvier 2015, 162 p., 9,95 € ;
- « Le bilan du monde » édition 2015, Le Monde hors-série, 218 p., 12 €.