L’olivier raconte l’histoire de notre humanité
La légende rapporte que Cécrops, le premier roi mythique d’Athènes, reçut l’olivier des mains d’Athéna qui devint ainsi protectrice de la ville. Depuis, cet arbre sacré facilement millénaire est enraciné dans le monde méditerranéen.
L’oléiculture s’est répandue dans toute l’Europe, en Afrique du Nord, aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Australie.
L’huile d’olive est devenue un produit élitiste, sinon un luxe.
Ses propriétés organoleptiques et diététiques sont strictement encadrées, les meilleurs terroirs étant protégés par des AOC et classés dans des compétitions internationales.
Chargés de symboles et de vertus parfois imaginaires, l’olivier et « l’or vert » sont une part de notre culture.
C’est ce que raconte Émilie Borel dans Les Secrets de l’Olivier (Editions des Equateurs, 2019), mêlant avec bonheur sa propre histoire nomade et philosophique, son métier d’oléicultrice passionnée et son expertise de dégustatrice en huiles d’olive.
Elle décrit aussi son expérience d’entrepreneur confrontée aux aléas climatiques, aux jalousies locales et aux silences d’une administration indifférente.
Les débuts d’un commerce international
Les premières traces de l’olivier sauvage remontent à 11.000 ans avant notre ère et sa première consommation alimentaire à la période néolithique des cueilleurs-chasseurs.
L’oléiculture proprement dite est apparue en même temps que la vigne et le vin, il y a 6.000 à 8.000 ans, dans le Croissant fertile du Levant (1).
Les caractéristiques bioclimatiques de cette zone permettaient l’installation de plantes annuelles, riches en graines et fruits, comme les céréales, la vigne et l’olivier.
Les archéologues ont montré que l’on produisait de l’huile d’olive à Chypre, au Liban et en Crète dès le IVème millénaire av. J.-C.
Mais c’est vers 1.700 av. J.-C. qu’apparurent les premiers pressoirs à arbre, technique permettant une production importante et l’essor d’un commerce de l’huile, terrestre et maritime, vers des pays au climat moins propice.
Ainsi les Hittites d’Anatolie s’approvisionnaient sur la côte d’Asie Mineure, les pharaons d’Égypte et les rois mésopotamiens en Syrie.
Vers 1.200 av. J.-C., les Phéniciens créèrent de nombreuses colonies en Afrique du Nord et au sud de l’Espagne, ainsi que les Grecs en Asie Mineure, en mer Égée, en Sicile, dans le sud de l’Italie et de la France.
Cette colonisation s’accompagna d’une explosion de la production d’huile d’olive et de son commerce dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
L’huile était transportée dans des amphores de contenance étalonnée (2) qui, selon l’archéologue Jean-Pierre Brun, « pouvaient être réutilisées et contenir aussi bien du vin et des salaisons. » (3)
Pour répondre à une demande croissante, les méthodes de production furent rationalisées et codifiées dans de nombreux textes techniques (4).
Plus tard, l’unification politique de la Mare Nostrum sous l’empire romain permit un développement encore plus rapide de l’oléiculture jusqu’en Espagne et en Afrique du Nord.
À partir du XVIème siècle, elle s’étend jusqu’au Nouveau Monde, les Espagnols l’introduisant en Argentine, au Mexique, au Pérou, au Chili et en Californie.
On considère que l’olivier atteint son extension maximale au XIXème siècle.
Dès ses débuts, l’huile d’olive fait l’objet de nombreux usages domestiques, pour l’alimentation et la conservation des aliments, pour des utilisations cosmétiques et médicales.
Après les torches de résineux et les graisses animales, l’huile d’olive brûlant dans des lampes à mèche sert à l’éclairage.
Elle est souvent associée aux rituels religieux, particulièrement pour les onctions sacramentelles.
L’olivier est l’une des plantes les plus évoquées dans la Bible et, pour le Coran, c’est un arbre béni dont l’huile est une source symbolique de lumière divine.
Aujourd’hui encore, l’olivier conserve une très riche valeur symbolique.
La solidité de son bois en fait le symbole de la force et de la fidélité (5), son importance économique un symbole de l’abondance et de la richesse qui figurait sur les anciennes pièces de 1 franc.
Souvent millénaire, il représente l’espérance et la longévité. Dans la Genèse6 (6), envoyée par Dieu à Noé à la fin du déluge, la feuille d’olivier portée par une colombe signifie la réconciliation et la paix.
Ainsi deux rameaux d’olivier entourent-ils la Terre sur le drapeau des Nations unies.
Un rameau figure aussi dans une serre de l’aigle, sur le grand sceau des États-Unis, pour exprimer la « puissance de la paix ».
Une production et des techniques très encadrées
Pour la campagne 2017-18, la production mondiale d’huile d’olive a atteint 2.894.000 tonnes, le premier pays producteur étant l’Espagne (1.090.500 t.), devant l’Italie (320.000 t.), la Grèce (300.000 t.), la Turquie (287.000 t.) et la Tunisie (220.000 t.).
Sa production nationale, de l’ordre de 6.400 tonnes, situe la France vers le 20ème rang mondial et représente 5% de sa consommation annuelle, le reste étant importé.
Ainsi, l’huile d’olive française est devenue rare et chère.
Elle provient de petits producteurs et de mouliniers (7) passionnés, comme les deux créateur du Moulin Oltremonti, Émilie Borel et Ivo Berta, qui racontent si bien leur vie et leur passion dans leur livre Les Secrets de l’Olivier.
Leur travail n’a rien à voir avec les logiques industrielles qui prévalent dans la production des huiles ordinaires.
Pour les produits de haut de gamme, il existe deux modes d’extraction : « la première pression à froid », qui utilise des presses artisanales, et « l’extraction à froid » qui met en oeuvre des systèmes continus et des centrifugeuses.
Selon la réglementation européenne, ces deux mentions garantissent une extraction à une température inférieure à 27 °C., donc sans altération du produit.
Les « huiles d’olive vierges » sont obtenues par des procédés mécaniques et sans autre traitement que le lavage, la décantation, le pressage, la centrifugation ou la filtration.
Elles sont classées en « huile d’olive vierge extra » (HOVE) et « huile d’olive vierge » (HOV) selon leurs qualités organoleptiques, leur fruité et leur niveau d’acidité, ces qualités étant normées et évaluées par des experts.
On trouve aussi dans le commerce des huiles d’olive de moindre qualité parmi lesquelles les « huiles d’olive raffinées » ou les « huiles de grignons8 ».
L’origine de l’huile d’olive est déterminée par le lieu de récolte et le lieu de transformation. En France, seul 1/4 de la production d’huile d’olive vierge extra est classé en Appellation d’Origine Protégée (AOP) ou Contrôlée (AOC) avec l’AOP de la Vallée des Baux-de-Provence, l’AOP de Nîmes, l’AOP de Nyons, l’AOC de Provence, l’AOP de Haute-Provence, l’AOP d’Aix-en-Provence, l’AOP de Nice, l’AOP de Corse (Oliu di Corsica) et l’AOP de Lucques-du-Languedoc.
Les caractéristiques organoleptiques de l’huile d’olive dépendent du terroir, de la variété des oliviers, des modes de culture et de la maturité des fruits au moment de la récolte.
Très codifiée (9), la dégustation s’attache d’abord à repérer les défauts pris en compte par les classifications règlementaires.
S’agissant des qualités d’une huile, le dégustateur recherche d’abord « l’intensité » du fruité et les sensations aromatiques découvertes par rétro-olfaction du produit.
On peut y découvrir des arômes d’amande, d’artichaut, de fruits rouges, d’ananas, de camomille, d’abricot, de banane, de feuilles, de foin, de noisette, de poivre, ou de vanille…
La palette aromatique est sans limite et s’enrichit régulièrement de nouvelles sensations, les différents terroirs et variétés de fruits présentant des arômes spécifiques.
Le dégustateur recherchera ensuite l’amertume, seul goût (10), stricto sensu, que peut présenter une huile d’olive, puis son « ardence » ou son piquant, perception qui rappelle la brûlure de certaines épices comme le poivre ou le piment.
Enfin, il qualifiera l’onctuosité de l’huile qui exprime la sensation alimentaire de sa viscosité.
Un produit star… qui séduit les stars
Aujourd’hui, comme le vin, l’huile d’olive est un produit de consommation courante qui présente toute une gradation de qualité et de prix.
Paré de qualités gustatives et médicales parfois exagérées, associé pour le meilleur et pour le pire au soleil et aux vacances, ce « produit régional » est souvent l’objet de tromperies estivales et d’étiquetages menteurs pour les touristes crédules…
Mais les grands crus « d’or vert » ont leur place dans les plus fameux restaurants du monde et le prix d’un litre d’huile HOVE primée aux grands concours peut atteindre 100 euros.
Aujourd’hui, on investit dans l’huile d’olive comme dans le vin. Ce peut être un choix entrepreneurial et financier, comme celui de Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF, rachetant Oliviers&Co, grosse PME familiale spécialisée dans la sélection et la vente d’huiles d’olive haut de gamme, avec plus de 80 boutiques dans 17 pays.
Ce peut être aussi un divertissement lucratif pour des stars internationales attentives à leur image de bon goût et d’écologie.
Après avoir investi dans la production viticole, Angelina Jolie et Brad Pitt ont acquis l’oliveraie de Miraval et produisent 10.000 bouteilles d’huile HOVE bio par an.
Le chanteur Sting, feu Charles Aznavour et l’acteur Jean Reno ont, eux aussi, choisi de diversifier leur patrimoine dans l’oléiculture.
Mais c’est sans doute le chanteur et acteur Patrick Bruel qui s’est le plus impliqué dans ses oliveraies de l’Isle-sur-la-Sorgue.
Son « Huile H » a déjà reçu une médaille d’or au concours agricole de la Région Paca.
Produit de luxe, elle est vendue à la Grande Épicerie du Bon Marché, référence gastronomique et people du bon goût, et figure sur les tables triplement étoilées de Guy Savoy et Yannick Alléno.
La starification récente de « l’or vert » ne doit pas faire oublier la vie très compliquée d’une majorité de petits producteurs.
Comme le raconte le couple passionné du Moulin Oltremonti (11), ils sont bousculés par les aléas climatiques, menacés par les maladies de l’olivier (12) et les applications déraisonnables d’un principe de précaution censé les protéger.
Comme beaucoup d’agriculteurs, ils n’attendent pas grand-chose des banques, des institutions professionnelles, ni des complexités de l’administration…
Malgré les jalousies locales et les déloyautés corporatistes, ils ne doivent qu’à leur courage et à leur talent la joie profonde d’une récolte réussie, la satisfaction experte d’une dégustation parfaite et la fierté d’avoir produit, en quelques année, l’une des dix meilleures huiles d’olive du monde (13) selon le prestigieux classement des World’s Best Olive Oils.
Pour en savoir plus :
Les secrets de l’Olivier, par Émilie Borel (Éditions des Équateurs, Paris, 2019).
1/ Bande de terres cultivables en forme d’arc située entre le sud du Levant et le Golfe Persique, passant par la Syrie, l’est de l’Anatolie, l’Iraq et l’Iran.
2/ L’amphore est devenue une mesure de capacité pour les liquides.
3/ Cours de Jean-Pierre Brun au Collège de France : « Technique et économie de l’huile d’olive dans la Méditerranée antique », (5/12/17).
4/ Comme les textes du botaniste grec Théophraste, des latins Caton, Pline l’Ancien et Columelle, et du carthaginois Magon.
5/ La massue d’Hercule, le pieu dont Ulysse se sert pour aveugler le cyclope et le lit que Pénélope refuse aux prétendants sont en bois d’olivier…
6/ Genèse 8.11.
7/ Le moulinier extrait l’huile des olives dans son moulin.
8/ Résidus de l’extraction de l’huile.
9/ Il existe une abondante littérature codifiant la dégustation, publiée par l’Association Française Interprofessionnelle de l’Olive. https://afidol.org/
10/ Les quatre goûts sont le salé, le sucré, l’acide et l’amer.
11/ La femme qui veut sauver les oliviers, Sébastien Le Fol, Le Point 2449, 8 août 2019, cliquez ici
12/ Par exemple, l’affection mortifère causée par la bactérie Xylella fastidiosa apparue en 2013 dans les Pouilles italiennes.
13/ cliquez ici
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