Le moment des entreprises françaises ?
La confortable réélection, dès le premier tour, d’Hassan Rohani au scrutin présidentiel iranien du 19 mai 2017 a été unanimement saluée.
D’une part, parce que ce résultat a le mérite de garantir la stabilité des grandes options politiques de l’Iran, dans un environnement régional et international particulièrement agité.
D’autre part, parce que Rohani est considéré comme un « modéré ».
Dans une chronique pour Le Figaro (23/05/2017), Renaud Girard rappelle qu’il a été élu la première fois, en 2013, face au « président populiste » Mahmoud Ahmadinejad, en faisant campagne « en faveur de la modération, de la prudence et de l’ouverture au monde ».
Et que cette année, opposé au conservateur religieux Ibrahim Raïssi, « il a eu le courage de s’en prendre au pouvoir judiciaire » accusé de maintenir « une chape de plomb sur la société iranienne ».
On se souvient que le principal succès d’Hassan Rohani tient dans l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, sanctionné par l’ONU, permettant à l’Iran un progressif retour sur la scène internationale et dans les circuits des échanges commerciaux.
L’Iran ayant démontré qu’il tient le cap, l’heure est venue pour la France et ses entreprises d’en profiter !
Tenter de comprendre l’Iran passe en premier lieu par l’appréciation de son histoire, créatrice d’une mémoire qui plonge ses racines dans l’une des plus anciennes et brillantes civilisations de l’Ancien Monde.
Le souvenir de cette puissance, la persistance de l’identité perse expliquent pour une grande part la conversion du pays au chiisme au XVIe siècle, par la dynastie safavide, afin de sceller son indépendance par rapport à l’Empire ottoman sunnite.
Quant à la République islamique instaurée en 1979 et si décriée en Occident, il convient de l’interpréter comme le dernier avatar de l’aspiration à l’indépendance retrouvée.
Alors que le XVIIIe siècle avait vu la Perse entrer dans une phase de décadence irréversible, le XXe est celui de la difficile reconquête de sa souveraineté, marquée par trois échecs (révolution constitutionnaliste de 1906, modernisation mais sous contrôle anglo-saxon par Reza Shah, « révolution nationale » de Mossadegh en 1951), avant le succès de l’ayatollah Khomeini.
La République des mollahs puise sa légitimité et son indéniable popularité précisément dans ce succès.
Les atouts de l’Iran
Si l’Iran renoue aujourd’hui avec la puissance, il le doit à des facteurs géopolitiques classiques comme sa démographie, ses réserves pétrolières et sa position géostratégique sur la route des approvisionnements pétroliers.
« Ainsi, le contexte iranien n’a-t-il jamais semblé aussi favorable aux investisseurs, légitimement attirés par les atouts encore trop méconnus de cet immense pays de 83 millions d’habitants, au 4e rang mondial pour les réserves prouvées de pétrole, et au 1er rang pour les réserves de gaz, rappelle Jacques Hogard, dirigeant du cabinet d’intelligence économique EPEE dans La Croix (15/05/2017).
Le pays peut aussi se targuer d’avoir une dette publique extrêmement faible (autour de 16 % du PIB), et la croissance y est à nouveau au rendez-vous : la Banque mondiale prévoit une progression de 4,6 %, en 2016 et 5,2 %, en 2017. »
Le grand reporter René Girard observe pour sa part que l’Iran est, avec la Turquie et l’Égypte, l’une des « seules vraies nations du Moyen-Orient » (Le Figaro, 23/05/2017) et que « la population iranienne, vaccinée contre l’islamisme au pouvoir, est très favorable aux valeurs occidentales ».
L’islamisme iranien, il est vrai très différent de celui de ses voisins sunnites, n’est pas synonyme d’obscurantisme.
La recherche-développement représente 0,7 % du PIB, le taux d’alphabétisation des jeunes (15-24 ans) atteint 99 % et le nombre d’universitaires 3,5 millions – dont 150 000 doctorants.
« L’Iran est un pays jeune (54 % de la population a moins de 30 ans) et très éduqué, souligne Jacques Hogard. Les étudiantes y sont plus nombreuses que les étudiants, et le système de formation iranien est mondialement réputé dans des disciplines comme les mathématiques ou la médecine.
Le pays compte parmi ses élites scientifiques de nombreux chercheurs mondialement connus…
La médaille Fields – équivalent du prix Nobel de mathématique – a été décernée en 2014 à la mathématicienne iranienne Maryam Mirzakhani, première femme à recevoir une telle récompense. »
Comprendre « l’Iran compliqué »…
Aborder l’Iran nécessite toutefois d’être ouvert à l’altérité.
« La République islamique d’Iran vit sous un curieux régime. Son principe est le ‘Velayat-e faqih’, c’est-à-dire le principe d’une tutelle des théologiens sur le système politique, rappelle René Girard.
La théocratie iranienne a la particularité d’être irriguée par le suffrage universel. Il désigne non seulement le président tous les quatre ans, mais aussi, tous les huit ans, les 86 religieux de l’Assemblée des experts.
C’est cette dernière qui élit à vie le guide suprême, gardant théoriquement le droit de le destituer. Si Rohani ou un autre modéré remplace Khamenei à sa mort, l’Iran rétablira définitivement ses relations séculaires avec l’Occident. »
Dans l’immédiat, il convient de se garder de toute naïveté.
Le pays se considère certes comme une démocratie (cf. l’entretien avec l’ambassadeur de la République islamique d’Iran en France, Ali Ahani, publié dans la revue de géopolitique Conflits en 2015), et cinq sièges sont réservés au Parlement aux minorités religieuses.
Mais la structure de l’Etat a conservé le caractère « révolutionnaire » de ses débuts.
À Téhéran comme ailleurs, le pouvoir n’est pas toujours où il prétend être.
À côté de l’Assemblée des experts, il convient de signaler notamment l’importance du Conseil des Gardiens de la Constitution, dont les membres sont nommés directement ou indirectement par le Guide suprême de la Révolution islamique sans lui être totalement inféodés.
Ce Conseil valide l’élection du président, et celle-ci doit être ratifiée par le Guide suprême.
« Cette fonction est assumée depuis juin 1989 (décès de l’ayatollah Khomeini) par l’ayatollah Khamenei. Il est assisté du Conseil suprême de sécurité nationale, dont le responsable est le vice-amiral Ali Shamkhani et du Conseil de discernement des intérêts supérieurs du régime, présidé par le hodjatoleslam Rafsandjani (ancien président de la République), qui exerce depuis octobre 2005 une fonction de supervision des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire », rappelle l’ambassade de France en Iran (www.diplomatie.gouv.fr).
Qui ajoute que « l’architecture institutionnelle de la République islamique octroie une marge de manoeuvre relative au Président qui demeure tributaire du Guide suprême, mais également de l’influence des milieux conservateurs ainsi que des cercles sécuritaires, notamment les Gardiens de la Révolution » (pasdarans), dont les réseaux ont une influence directe dans l’organisation de l’économie et des relations extérieures du pays.
Les atouts de la France et de l’Europe
Pour Jacques Hogard encore, qui accompagne des entreprises sur ce marché, « les possibilités pour les entreprises françaises sont immenses. Et ce, d’autant plus que notre pays jouit historiquement d’une relation très privilégiée avec l’Iran ».
La France a cependant pris du retard par rapport à la Chine, aux Émirats arabes Unis, à la Corée du Sud, la Turquie, l’Allemagne, l’Inde, la Russie, la Suisse, le Brésil ou encore l’Italie.
Une diplomatie d’Etat plus réaliste, moins alignée sur le Qatar et l’Arabie saoudite – principal rival de l’Iran – doit pouvoir y contribuer. Mais aussi une approche plus offensive en matière de diplomatie économique.
« Et pas seulement dans les secteurs pétroliers et gaziers, estime Jacques Hogard. Il y a d’immenses opportunités dans les domaines de l’agroalimentaire, de l’eau, de la haute technologie (l’Iran est le 5e pays en matière de nanotechnologies), ou encore des cosmétiques (7e marché mondial !). »
Pierre Razoux, directeur de recherche à l’IRSEM, le confirme : « L’élite dirigeante (y compris une partie des Pasdarans) a compris qu’elle gagnerait davantage d’influence en imposant l’Iran comme un pôle économique dynamique régional, plutôt qu’en recherchant l’affrontement armé.
Le tourisme est perçu comme un vecteur de développement économique et d’apaisement des tensions avec l’Occident (le nombre de touristes occidentaux a été multiplié par 20 en 2 ans).
Même Mohsen Rezaï, l’inoxydable représentant conservateur du lobby des anciens combattants (il fut commandant en chef des pasdarans pendant la guerre Iran-Irak) et longtemps soutien de la politique d’autarcie de l’Iran, a publiquement déclaré que l’Iran devait désormais miser sur le tourisme et développer une véritable stratégie d’ouverture économique ».
Le revirement de la diplomatie américaine, acté par la visite de Donald Trump à Ryad en mai 2017, est une chance à saisir par la France.
C’est l’analyse de Renaud Girard : « Renonçant à la diplomatie équilibrée dans le Golfe qu’initia Obama, Trump revient à la classique et juteuse alliance stratégique américano-saoudienne nouée par Roosevelt et Ben Saoud en février 1945.
C’est l’occasion pour la France de se démarquer de son allié américain et de devenir leader en Occident du rétablissement des ponts culturels, politiques et économiques entre l’Europe et la Perse. »
Une telle entreprise passe par la résolution de la crise syrienne dans un sens qui préserve les fragiles équilibres régionaux, c’est-à-dire l’intégrité territoriale et la spécificité politique et confessionnelle de la Syrie.
Ce qui nécessite de renouer le dialogue, non seulement avec Téhéran, mais aussi avec Moscou. Un défi à la hauteur des ambitions du nouveau président de la République française, Emmanuel Macron.
Pour aller plus loin :
- « Transformons l’essai des modérés iraniens », par Renaud Girard, Le Figaro, 23/05/2017 ;
- « Élections iraniennes : un accélérateur de développement pour les entreprises françaises ? », par Jacques Hogard, La Croix, 15/05/2017 ;
- « Téhéran, un retour éclatant », note CLES n°166, 17/09/2015 ;
- « Géopolitique du droit international », entretien avec Ardavan Amir-Aslani, note CLES HS n°51, janvier 2016 ;
- « Le grand retour de l’Iran », dossier de la revue Conflits, n°6, juillet-août-septembre 2015, www.revueconflits.com ;
- « Où va l’Iran à l’heure de l’élection présidentielle de mai 2017 ? », par Pierre Razoux, note de recherche n°40 de l’IRSEM, 18/05/2017, www.defense.gouv.fr/irsem.
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