Oct 082011
 

Le 19 juillet 2011, lors d’une cérémonie aux Invalides, le chef de l’État a rendu hommage aux sept soldats français tombés en Afghanistan la semaine précédente. A ce jour, ce sont 75 militaires français qui ont donné leur vie dans ce théâtre d’opérations lointain, au cours d’un conflit ingrat dont l’opinion publique ignore presque tout. En effet, à l’inverse de ce qui se produit dans d’autres pays ayant des hommes en Afghanistan, l’engagement de nos soldats, leur mission et même leurs sacrifices sont très peu médiatisés. Pourtant, comme le démontrent deux récents ouvrages rédigés par de jeunes engagés français, le travail délicat et périlleux qu’accomplissent là-bas, à Nijrab, Tagab et dans la vallée d’Alassaï, les 4.000 militaires du contingent français force l’admiration. C’est aussi pour rendre hommages à ces héros très discrets que j’ai souhaité présenter, dans cette note d’analyse, les motivations qui ont poussé ces jeunes gens – leur âge n’excède souvent que de très peu celui de nos étudiants – à choisir de servir leur pays sous l’uniforme.

Le contingent militaire français en Afghanistan compte 4.000 hommes. Mais, en réalité, en raison de la rotation des effectifs, ce sont quelque 50.000 militaires français qui ont déjà combattu là-bas.Qui sont-ils ? En quoi consiste, au jour le jour, leur mission ? Quelles sont leurs motivations ? Les ouvrages rédigés par le Lieutenant Nicolas Barthe et le Sergent ChristopheTranVan Can, deux jeunes officiers du 21e régiment d’infanterie de Marine (RIMa) permettent de répondre à ces questions. Ces documents de première main permettent de découvrir ce que sont réellement les conflits dits “de basse intensité” et la difficulté des opérations dites de “peace building” qui constituent désormais l’essentiel des missions accomplies sur le terrain par les militaires occidentaux. Ils éclairent également les ressorts de leur engagement et offrent quelques précieux conseils en termes de leadership et de management des hommes. Mais surtout,sans que leurs auteurs l’aient pourtant recherché, ces ouvrages donnent une belle leçon de courage.

Des jeunes gens ordinaires
accomplissant des choses extraordinaires

La lecture de ces deux livres permet d’abord de réduire à néant un cliché encore trop répandu : non, les jeunes gens qui décident de servir dans l’armée ne sont pas des “marginaux” ni bien sûr des “ratés” ! Ils n’ont pas choisi cette voie par défaut, mais par vocation et souvent par idéal. Le parcours du Lieutenant Barthe, engagé volontaire à 23 ans, en témoigne de façon éloquente. Lui-même écrit : “Un jour, appre nant que je servais sous le drapeau français, une personne m’a demandé spontanément : ‘Ah ? Vous n’aimiez pas l’école? » Or,ce n’est pas parce que je me sentais en situation d’échec dans le monde civil que je me suis engagé. J’ai eu la chance de suivre de longues études.Elles se sont achevées par l’obtention d’un master en relations économiques internationales à Sciences Po.” Fort de ce diplôme, plusieurs options s’ouvraient : la finance, le concours de l’Ena ou celui de l’Institut régional d’administration… Mais le jeune homme hésite plutôt entre l’humanitaire et l’armée, deux voies permettant d’étancher sa soif d’engagement et aussi d’aventure. Ce sera donc cette dernière. Un cas isolé ? Nullement : parmi les hommes de sa section, comme parmi les camarades du SergentTranVan Can, plusieurs ont suivi des études supérieures ou disposent de compétences techniques recherchées sur le marché de l’emploi. Enfin, les discussions qui s’établissent entre eux dans la promiscuité du camp permettent aussi de constater qu’ils ne sont nullement des êtres asociaux : comme tous les jeunes hommes de leur âge, les militaires français présents en Afghanistan se passionnent pour le sport,suivent les résultats des championnats de football, aiment les sorties entre amis, chérissent leurs fiancées, leurs épouses et leurs enfants et font des projets d’avenir. Pour le dire clairement : ce sont des jeunes gens ordinaires – à bien des égards comparables à ceux qui suivent leur étude à l’ESC Grenoble -, qui accomplissent et vivent des choses extraordinaires.

Les affres d’une “drôle de guerre”,
dans laquelle l’ennemi est partout et nulle part

En effet, leur quotidien n’a, en revanche, que peu de choses à voir avec celui de leurs camarades restés à la vie civile.Relatant une conversation téléphonique avec sa fiancée restée en France, le Lieutenant Barthe confie : “Entendant la musique en arrièrefond, j’ai mesuré l’ampleur du fossé qui séparait nos deux mondes : d’un côté, la légèreté d’une nuit d’été dans le sud de la France ; de l’autre, mes hommes harnachés de fusils Famas en partance pour les vallées de Kapisa.” On l’imagine bien : ce genre de virées n’a rien de touristique… Et elles ne correspondent pas non plus à l’idée que l’on se fait traditionnellement de la guerre. Officiellement d’ailleurs, il ne s’agit pas d’une guerre, mais d’une mission d’assistance à l’Armée nationale afghane (ANA). Face aux soldats français et à leurs camarades des forces internationales, il n’y a pas d’armée régulière mais des terroristes et des insurgés mêlés à une population dont il s’agit de “gagner les esprits et les cœurs”.

Au plan stratégique, cela signifie – comme l’a parfaitement théorisé 40 ans auparavant, David Galula, un officier du RIMa ayant servi en Algérie – que, dans un contexte de guérilla, la bataille se gagne en obtenant le soutien de la population.Au plan tactique, cela signifie que l’ennemi, inférieurement équipé, va se cacher au sein de la population afin de pousser les militaires professionnels à un usage non maîtrisé de la force voire à la bavure qui creusera le fossé entre eux et la population. Au quotidien, cela se traduit de la façon suivante : un harcèlement quotidien de la part d’individus fanatisés déclenchant des tirs ou des engins explosifs sans hésiter à s’embusquer dans la foule d’un marché… Cette “drôle de guerre”, ainsi que la qualifie le Sergent Tran Van Can, a bien sûr de quoi faire craquer les nerfs des hommes les plus aguerris. “Il n’y a pas de mission de routine, seulement des missions auxquelles nous sommes plus habitués. Même au cœur du bazar de Tagab, la situation pourrait basculer en quelques instants : une rafale qui part dans une ruelle, un ‘suicide bomber’… Le risque est omniprésent, où que nous nous trouvions, quelle que soit la mission”, écrit-il. En effet, l’ennemi est partout et nulle part. On ne peut être sûr d’aucun être humain – homme, femme et même enfant – croisé sur son chemin : chaque ruelle, chaque route, chaque piste peut être le théâtre d’une attaque meurtrière. Le lieutenant Barthe comme le Sergent TranVan Can en ont fait l’expérience : l’un comme l’autre ont connu la douleur de perdre des camarades dans des embuscades à la fois attendues et imprévisibles.

Le goût de l’engagement et celui du management

Qu’est-ce qui peu bien pousser des jeunes gens issus d’un pays prospère et en paix à s’engager dans un tel guêpier, à des milliers de kilomètres de chez eux, après avoir parfois connu d’autres situations délicates comme en ex-Yougoslavie ou enAfrique ? Bien sûr un certain penchant personnel pour l’aventure.Mais pas seulement. Lorsque, profitant de ses rares instants de calme,Nicolas Barthe s’interroge sur le sens de sa carrière militaire et sur les ressorts profonds de son choix, il ne trouve nul goût particulier pour la chose militaire. En passant en revue sa jeune vie, il découvre quand même un fil rouge : le goût de l’engagement qu’il a précédemment assouvi dans l’action associative et le sport. “Il se trouve, avoue-t-il, que je m’épanouis davantage dans le cadre collectif que sur le plan individuel.” Il reconnaît aussi une certaine aptitude à l’art du commandement, ce que l’on appellerait le leadership dans l’univers civil. Du reste, le jeune lieutenant n’hésite pas à recourir à la terminologie civile. Définissant l’officier comme un “lieutenant-manager”, voire un “manager multicartes”, il fait part de préoccupations que ne renieraient pas les cadres d’entreprise. “Le management de ma section est un combat quotidien. Certes, la formation qu’on m’a dispensée met un accent particulier sur la gestion des ressources humaines,mais je ne m’attendais pas à devenir un véritable ‘conseiller social’ ! J’ai appris que ce rôle, loin d’être anecdotique,constitue le nerf du commandement. Seul un engagement au jour le jour permet de gagner le respect de ses soldats. C’est grâce à lui que mes ordres sont suivis sur le terrain.” Et il conclut : “C’est ce qui fait le sel de mon travail.” Ce sens du groupe et de la hiérarchie habite aussi le Sergent TranVan Can qui le résume d’une formule digne des mousquetaires : “Chacun à sa place et tous ensemble !”

Un autre visage de la génération Y

À la lecture de ces récits,on est bien sûr saisi d’admiration pour ces jeunes gens. On songe d’abord à leur dévouement et aux risques qu’ils consentent de prendre – en toute connaissance de cause – au service de leur pays. Mais, plus prosaïquement, on ne peut aussi qu’être impressionné par leurs compétences, leur capacité à créer du collectif et de la motivation dans un contexte pour le moins délicat. Enfin, on est frappé par la façon dont ils acceptent et même recherchent les responsabilités qui vont de pair avec les fonctions d’encadrement. Ces observations sont réjouissantes. Elles démontrent en effet qu’il existe, dans les jeunes générations, des réserves considérables d’énergie, de compétences et de générosité qui ne demandent qu’à s’exprimer.Tel est aussi le message qu’adressent aux décideurs civils les jeunes engagés français de retour d’Afghanistan : il ne faut pas désespérer de la fameuse génération Y. Pour  peuqu’on lui donne des raisons de s’engager et qu’on lui fasse confiance, elle est bel et bien capable de se surpasser. C’est heureux, car sur le front économique et social aussi, notre pays aura besoin, dans les années à venir d’hommes et de femmes déterminés.

Pour aller plus loin :