Retour sur notre contribution à la réflexion géopolitique
Il y a deux ans et demi, nous lancions la publication des notes CLES – pour Comprendre Les Enjeux Stratégiques. La diffusion du n°100 est l’occasion de dresser un premier bilan et de tracer des perspectives pour l’avenir.
D’autant plus que cet anniversaire correspond à la publication de trois ouvrages importants, illustrant l’intérêt sans cesse croissant que suscitent les questions géopolitiques. Je veux parler de l’Atlas géopolitique mondial 2013, aux jeunes éditions Argos, qui étoffent avantageusement l’offre éditoriale en la matière.
Pour l’histoire des relations internationales, aux Puf, sous la direction de Robert Frank, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui interroge en particulier la notion de « forces profondes » chère à l’historien Pierre Renouvin et s’attache aux « dynamiques » à l’oeuvre dans des champs aussi divers que l’économie, la sécurité, les mouvements de populations, les imaginaires, les pratiques culturelles…
Et bien sûr le tout récent Atlas géopolitique d’Yves Lacoste, chez Larousse : comment ne pas saluer ce grand précurseur au moment d’entamer une nouvelle phase de notre propre aventure ?
Pour Yves Lacoste, « la géopolitique est l’étude des rivalités de pouvoir sur un territoire ». Elle n’est donc pas neutre. Mais elle doit tendre à l’objectivité et à « l’équilibre » : équilibre des puissances comme des notions et des points de vue. C’est pourquoi, au-delà des débats d’experts et, parfois, des enjeux de pouvoir, l’ESC Grenoble a souhaité, dès l’origine, défendre une vision « œcuménique » et résolument pragmatique de la géopolitique.
Il ne s’agit pas en effet de se revendiquer d’une doctrine, de s’enfermer dans les certitudes d’une chapelle ou d’une obédience. Mais d’ouvrir des perspectives, de susciter un dialogue et des débats, d’exposer des éléments factuels pour permettre finalement à chacun de se constituer sa propre grille de lecture des enjeux du monde contemporain.
Notre approche est celle du réalisme et de l’ouverture au « polythéisme des valeurs » cher à Max Weber : la diversité des représentations atteste de celle des peuples et d’un monde toujours plus complexe, mais fascinant. Le « territoire » d’Yves Lacoste est aujourd’hui soumis – mondialisation oblige – à une dialectique permanente du global et du local, de l’économique et du politique, des structures et des flux.
La géopolitique, en tant qu’ »analyse dynamique des inerties » (Olivier Zajec), s’est elle-même profondément renouvelée ces dernières années. Suggérant une approche des « constantes » et des « changements » dans l’histoire et dans l’espace, elle ne saurait être atone, sclérosée, ou pire encore verrouillée.
Un positionnement novateur, mais finalement évident pour une école de management, et qui renforce sa valeur ajoutée
Depuis 2007, l’ESC Grenoble a placé la géopolitique au cœur de sa stratégie et de ses formations, car sa compréhension est tout simplement devenue l’une des principales clés de la prise de décision des managers et des entreprises.
Dans notre monde multipolaire, digital et complexe, les étudiants doivent savoir comment agir rapidement et avec responsabilité face à des situations inédites. Ainsi que le précisent Pascal Gauchon, Sylvia Delannoy et Jean-Marc Huissoud dans le Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie (Puf, 2011), l’intérêt de la géopolitique est en effet d’aider « à sortir de la superficialité et du sensationnalisme pour accéder à une connaissance approfondie et réfléchie des rapports de force qui travaillent ce monde« .
D’ailleurs, tous les invités de nos entretiens mensuels, d’Alain Juillet (octobre 2010) à Michel Goya (février 2013), ont immédiatement compris le sens de la démarche. Le fait qu’une école de management s’intéresse à la géopolitique leur a semblé à la fois naturel et judicieux. Les étudiants de l’ESC se voient ainsi proposer une progression en trois étapes : des modules de culture générale, obligatoires pour tous les élèves ; d’autres plus sélectifs pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet ; un double diplôme enfin avec l’IRIS, qui rencontre une demande croissante. Le premier diplômé de ce cursus novateur le sera en décembre 2013.
Si aujourd’hui toutes les écoles de management proposent des cours de géopolitique ou d’économie et de relations internationales, l’ESC Grenoble dispose incontestablement d’un « territoire de marque » géopolitique.
Pour deux raisons essentielles. Premièrement, sa cohérence avec son écosystème, sa résonance avec l’identité même de l’école. La spécificité des filières industrielles implantées sur le territoire avait en effet positionné l’ESC sur du management de la technologie, dont la géopolitique est un complément évident à l’heure de la mondialisation des marchés. Deuxièmement, la crédibilité, la pertinence du positionnement géopolitique. Cette crédibilité s’est construite avec le temps, par l’intermédiaire des notes CLES, dont deux éléments principaux assurent à mon sens le succès grandissant :
- Un contenu de qualité, mais accessible, rapidement lu. Paradoxalement, plus nous sommes submergés d’informations – voire créateurs de notre propre information via les outils numériques -, plus nous avons besoin d’une bonne information, d’éléments factuels, référencés, qui posent bien le problème. Les notes CLES fournissent ces nécessaires points de repères, tout en permettant d’élargir la problématique. Le monde va tellement vite que toute personne ayant à prendre des décisions a à la fois besoin d’être en prise avec l’actualité et de prendre du recul, de la hauteur par rapport aux évènements.
- Une diffusion régulière, qui fait des notes CLES un outil fiable, sur lequel on sait pouvoir compter – même si on ne les consulte pas immédiatement. Ainsi, bien des professeurs en classes préparatoires s’en servent pour leurs cours et certaines notes ont été reprises dans des manuels, ou sur d’autres vecteurs. Créateur de confiance et de lien, cet outil de communication est une contribution que l’école doit à ses communautés (entreprises, étudiants, institutionnels, académiques…). Il leur permet également, collectivement, de rayonner, de susciter l’intérêt de leurs parties prenantes et d’afficher leur capacité à mener à bien leurs projets.
Un public de plus en plus nombreux, varié et participatif
L’une des particularité des notes CLES est leur forte présence et visibilité sur les réseaux sociaux. Cela s’explique par la composante des lecteurs issus de la génération Y. Mais c’est aussi tout l’avantage d’un outil simple, facile, pédagogique et compréhensible par tout le monde, particulièrement adapté aux modalités d’échanges et de connexions sur les réseaux sociaux.
Les notes CLES sont ainsi régulièrement signalées sur Twitter, partagées dans les groupes de discussion ou citées dans des médias spécialisés, comme Diploweb.com ou la Lettre d’actualités de l’intelligence économique et de l’innovation de CCI France. Par les réseaux sociaux, l’ESC a établi de très nombreux contacts avec des chercheurs en géopolitique ou en relations internationales dans le monde entier, comme encore récemment au Department of War Studies du King’s College de Londres, qu’il aurait été difficile (et coûteux) de contacter d’une autre manière, sauf à participer à tous les salons et colloques spécialisés… Même si être « ami » sur LinkedIn ne veut pas toujours dire grand-chose, c’est une première étape qui facilite les contacts ultérieurs et l’élaboration de projets, de partenariats.
À l’avenir, nous entendons d’ailleurs renforcer nos partenariats, avec les entreprises, en premier lieu, mais également avec le réseau de consultants, professeurs et chercheurs qui s’est constitué autour de la lecture des notes CLES. Un troisième niveau de partenariat concerne le monde académique, avec le développement d’une alliance des écoles de géopolitique – au sens de « géopolitique appliquée au management ».
Il s’agit enfin de faire grandir encore notre festival de géopolitique. Les notes CLES s’insèrent en effet dans une stratégie globale et un dispositif dont le point d’orgue est constitué par cette manifestation annuelle.
Le festival de géopolitique, une manifestation tournée vers l’avenir
Le festival de Grenoble se veut, depuis sa création en 2009, le festival de toutes les géopolitiques. À rebours des clichés académiques, la géopolitique s’y exprime également sous des formes hétérogènes, de la bande dessinée aux films et jusqu’aux jeux.
Notre souhait reste que chacun améliore sa compréhension du monde, ce qui peut certes passer par la participation à une conférence de haut niveau, mais également par la lecture d’une BD. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’album primé au festival d’Angoulême 2013 soit Quai d’Orsay, de Christophe Blain et Abel Lanzac, ou que l’un des grands succès dans ce domaine soit une série comme Largo Winch !
Une deuxième caractéristique de ce festival est de veiller à s’adapter, non seulement à la diversité de ses publics, mais à leurs modalités de participation. Dans les années à venir, les rassemblements de ce type, avec une unité de temps et de lieu, seront de plus en plus difficiles à organiser. Les contraintes d’agendas deviennent proprement démentielles, les nouvelles technologies accélèrent les vies et détruisent les barrières entre sphère privée et professionnelle, une sollicitation permanente rend les arbitrages de plus en plus difficiles. Surtout lorsque l’on s’adresse à un public international, puisque s’y ajoutent des considérations écologiques, de coût des déplacements.
La manifestation du futur, au-delà du festival de géopolitique, s’inspirera des modalités numériques que nous développons déjà pour nos cours, autour de trois publics et espaces distincts : 10 à 15 personnes présentes physiquement dans la salle avec le professeur, 500 personnes connectées dans le monde pour suivre en direct cet enseignement, et 3 000 autres qui auront consulté dans l’année, sur Internet, l’enregistrement vidéo de ce cours.
Pour capter l’attention de tous ces publics, il faut travailler sur l’interactivité, le dynamisme qui anime pour partie les réseaux sociaux. La capacité à innover n’est pas qu’affaire de technique. Elle suppose surtout une capacité à penser « hors des clous », ou comme le disait le philosophe Martin Heidegger, à emprunter des chemins de traverse. Sur la forme et le fond, c’est aussi ce que nous vous proposons avec les notes CLES.
RENDEZ-VOUS
5e Festival de géopolitique & de géoéconomie de Grenoble
L’édition 2013 de ce festival désormais incontournable (6 000 visiteurs en 2012) se tient du 4 au 7 avril à Grenoble École de Management ainsi qu’à Sciences Po Grenoble, à l’Institut de Géographie Alpine et dans les locaux de la CCI.
Co-organisé avec les Presses universitaires de France et l’association Anteios, sous la houlette de Jean-Marc Huissoud, directeur du Centre Géopolitique de l’Ecole, il bénéficie du soutien de nombreux partenaires publics et privés, et de l’intérêt croissant des médias (RFI, Diploweb.com, Diplomatie magazine, Alternatives internationales, Valeurs actuelles, Les Echos, L’Expansion, etc.).
Thème retenu cette année : « Mondialisation – Abus, menaces, perspectives« . Avec la participation de près de 120 spécialistes français et internationaux, dont Daniel Cohen, Eric Delbecque, Gérard-François Dumont, Jean Guisnel, Charles Millon, Pierre Péan et Xavier Raufer.