Une tradition historique de l’international
Si les débuts historiques de l’entreprise allemande sont déjà symboliques d’un fort tropisme international, c’est avant tout une stratégie, un management et des pratiques d’influence ancrés dans la géopolitique qui peuvent aider à comprendre la réussite exemplaire de l’assureur munichois, devenu numéro un européen et numéro trois mondial.
Disséqué par une équipe de l’Ecole de Guerre Economique (L’assurance allemande à l’offensive – Le Groupe Allianz), ce succès est emblématique d’un authentique réalisme économique.
Le groupe a su équilibrer les risques de la croissance externe à l’étranger et les aléas de marchés extérieurs à forte dimension culturelle par des analyses et des choix géopolitiques très pertinents, tout en conservant le socle germanique solide de la rigueur, de la méthode et de la mesure.
Une tradition historique de l’international
En 1913, quelques années après sa création (1890) et sous l’impulsion de son second CEO, Paul von der Nahmer, la jeune compagnie munichoise réalise déjà 20% de ses revenus à l’international, particulièrement en France, en Suisse et en Hollande.
Bien sûr, ce développement initial est brutalement freiné par la Première Guerre mondiale.
Un quart de siècle plus tard, la Seconde Guerre mondiale laisse Allianz exsangue, avec un patrimoine immobilier en ruine.
De plus, la proximité de ses dirigeants avec le régime nazi ( 1 ) en a fait le principal assureur des entreprises SS implantées dans les camps d’extermination européens, lourd passif qu’elle doit assumer.
En 1945, après la défaite allemande, les lois d’indemnisation promulguées par les Alliés amènent l’entreprise à mettre en place un important réseau de communication en Europe, en Israël et aux États-Unis pour permettre aux victimes des spoliations de faire valoir leurs droits.
Derrière le souci d’une juste réparation des dommages et préjudices causés, se fait jour la volonté de structurer une présence commerciale à l’étranger.
L’influence, déjà… En 1998, l’entreprise rejoint l’International Commission on Holocaust Era Insurance Claims ( 2 ).
À la fin des années 1950, Allianz ouvre un bureau parisien, puis, une décennie plus tard, une filiale italienne.
Dès 1960 des filiales sont également créées au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne, au Brésil et aux États-Unis.
En 1986, Allianz prend le contrôle de Cornhill Insurance PLC à Londres et une participation dans la Riunione Adriatica di Securita’, la RAS de Milan.
De 38% en 1984, elle sera portée à 51% en 1987. La présence de l’assureur est déjà très affirmée dans l’Europe du Sud et de l’Ouest.
Sa politique « d’entrisme soft » également…Entre 1990 et 2000, Allianz accélère son développement à l’international.
C’est par la Hongrie qu’elle commence son expansion en Europe de l’Est. L’entreprise achète ensuite l’américain Fireman’s Fun Insu Rancé Complant et, en 1998, l’OPA réussie sur les AGF fait d’Allianz le leader européen de l’assurance.
Aujourd’hui, l’assureur opère dans 70 pays et sur tous les continents, Europe de l’Ouest, Europe de l’Est et Centrale, Asie Pacifique, Amérique et Afrique. Le monde est son terrain de jeu !
Une approche géopolitique concrète, incarnée dans la stratégie et le management
On pourrait s’en tenir à l’analyse financière des achats, prises de participation, OPA et créations multiples de l’assureur allemand et y limiter les raisons de son succès.
Mais un regard plus précis sur les pratiques stratégiques et managériales permet de découvrir l’ADN géopolitique de l’entreprise.
Le développement international du groupe n’a rien d’une conquête agressive et brutale. Il s’agit souvent de prises de participation progressives, parfois étonnamment modérées, comme Allianz a pu le faire en Afrique.
L’objectif n’est pas de s’imposer immédiatement en leader conquérant, mais de s’implanter pour découvrir rapidement une culture, un marché, des attentes client et des produits nouveaux.
Discrètement, Allianz prend pied dans de nouveaux espaces et prend date pour de nouveaux développements.
Ainsi, commentant l’acquisition « modeste » (29,2 millions d’euros) de l’assureur nigérian Assure Insurance, Oliver Bäte, actuel CEO d’Allianz, affirmait à la 44ème Conférence de l’Assurance à Sun City (Afrique du Sud) : « L’utilisation très répandue d’Internet et du téléphone mobile permet aux différents pays d’Afrique de procéder à des innovations considérables. Les clients cherchent des offres et des canaux de distribution entièrement numérisés, ce qui pousse nécessairement le marché de l’assurance à se transformer et à innover… »
Et d’ajouter : « Toutes les conditions sont remplies pour que le continent africain prenne le leadership dans l’assurance numérique. » ( 3 )
Le modus operandi d’Allianz est à la fois prudent et respectueux. Plutôt que des OPA brutales, le groupe pratique volontiers la joint-venture et la co-entreprise.
L’acheteur prend en compte les personnes, les process et les produits locaux.
Ainsi le management germanique, qui associe étroitement autonomie et reporting, évite les hémorragies de cadres supérieurs qui suivent souvent les changements d’actionnaires.
Il permet en même temps de repérer les bonnes pratiques.
La volonté de généraliser ce qui fonctionne bien dans un pays se retrouve dans les quatre principaux axes stratégiques d’Allianz : la gestion des RH, le développement durable, la politique commerciale et les systèmes d’information.
La gestion des RH est ancrée dans les valeurs revendiquées par le groupe et elles trouvent facilement un écho transnational : valorisation du travail, légitimité du reporting et du benchmark, collaboration, partage et solidarité ainsi que respect des procédures.
Ces éléments d’une vision partagée forment un socle commun à toutes les entités du groupe, quels que soient le pays d’origine et l’histoire des filiales.
Partout, le recrutement est fondé non sur le seul parcours académique des candidats mais sur les compétences opérationnelles dont les filiales ont localement besoin.
Des outils de « e-recruiting » rationalisent les embauches et les évolutions de carrière internationales dans l’ensemble des structures d’Allianz.
Le choix du développement durable
La politique de développement durable est déclinée concrètement par toutes les filiales dans des projets locaux conçus à partir d’études initiales financées par le groupe et confiées à des organismes internationalement reconnus, comme le WWF.
Dans une interview, Joachim Faber, CEO d’Allianz Global Investors, explique comment ce partenariat permet au groupe de connaître l’impact environnemental de ses choix stratégiques et de ses investissements internationaux ( 4 ).
Il s’agit par ailleurs de valoriser son important patrimoine immobilier (photovoltaïque ou labellisation HQE, par exemple) et de réduire l’impact carbone de ses activités dans les différents pays, stratégie géopolitique qui permet aussi de diffuser l’image positive, moderne et consensuelle d’une conduite présentée comme exemplaire…
La politique commerciale d’Allianz est, elle aussi, une pièce maîtresse de son pilotage géostratégique. Elle se fonde sur l’écoute du terrain et des clients.
Le groupe n’impose pas de produits standards, ou seulement « importés », à ses nouvelles filiales.
Les équipes locales, présentes in situ bien avant l’arrivée du nouvel actionnaire, ont une connaissance solide des besoins et des attentes du marché qui permet une politique personnalisé – donc efficace – de produits et de tarifs.
Les centres de formation locaux en assurent la diffusion auprès des vendeurs et un coaching pris en charge par les séniors garantit la qualité de service attendue par le terrain.
Bien sûr, Allianz s’emploie aussi à intégrer en douceur des éléments de standardisation.
Outre les économies de gestion induites, ils facilitent le reporting et les mesures chers à la culture d’outre-Rhin.
La diffusion de ces nouvelles pratiques partagées fait souvent l’objet de réunions internationales.
Une stratégie d’influence multiforme, construite et maîtrisée
Les marchés de la bancassurance, qu’ils soient B2B ou B2C, traitent de produits immatériels et culturels pour lesquels la notoriété du fournisseur et la confiance qui lui est associée prennent une importance commerciale discriminante.
Cette caractéristique justifie la stratégie d’influence méthodique développée par le groupe Allianz dans les pays où il est implanté, en direction des autorités politiques et régulatrices, des leaders d’opinion, de la presse et des médias ainsi que des prospects et des clients.
On peut considérer comme un élément important de sa politique d’image et d’influence la décision prise par Allianz d’adopter le statut de « Societas europeae » (SE).
Outre le fait qu’elle facilitait grandement les activités transfrontalières de l’entreprise, cette évolution a aussi transformé son image géopilitique.
« Allianz va perdre une partie de ‘germanité’ et devenir un peu plus européen », affirmait ainsi il y a peu Paul Achleitner ( 5 ).
Par ailleurs, ce nouveau statut rend plus facile les actions de lobbying auprès de l’Union Européenne.
L’influence auprès des élus et décideurs politiques prend des formes différentes selon les pays et les situations politiques.
Ainsi, la libéralisation des marchés de l’Europe de l’Est amena-t-elle Allianz à monter des actions de lobbying en direction des gouvernements (particulièrement en Hongrie) pour promouvoir la mise en place de systèmes de retraite par capitalisation plutôt que par répartition.
En revanche, sur le continent africain, il s’agit plus souvent de financer des fondations ou des associations liées à des décideurs politiques de haut rang.
À chaque marché sa culture et ses canaux d’influence !
Quant au client final, particulier ou entreprise, il est d’abord touché par les effets d’investissements importants dans la presse locale et l’achat d’espaces publicitaires dans les médias.
Mais c’est en priorité par le canal du sport que le groupe Allianz gère la promotion de sa marque et de son image auprès de ses marchés.
Présent dans la course automobile via le sponsoring de la Safety Car officielle des circuits de F1, Allianz est aussi partenaire de plusieurs parcours, stages de formation et compétitions de golf.
L’entreprise s’enorgueillit du titre de « global partner » du plus ancien et plus fameux golf du monde, St Andrews Links. Plus populaire, le football est un moyen de contact avec des millions de supporters.
Outre le sponsoring de nombreuses équipes locales, l’assureur a lié son nom à deux stades européens emblématiques, l’Allianz Arena à Munich et l’Allianz Riviera à Nice ( 6 ).
On imagine aisément l’effet de notoriété que peuvent développer la diffusion des innombrables annonces, les commentaires dans les médias et les millions de billets imprimés à sa marque distribués sur tous les continents…
Bref, la bancassurance et le sport se trouvent ici réunis par la géopolitique, dans une stratégie gagnante !
Pour en savoir plus :
– L’assurance allemande à l’offensive – le groupe Allianz, 06/2010, par Serge Tishchenko, Rama Divehi, Benjamin Guesdron, Jean-Luc Didier, Florent Visse, publication de l’AEGE
– Allianz and the German Insurance Business, 1933 – 1945, par Gérald D. Feldman, Cambridge University Press, 2001
– Le site fr. du groupe Allianz
1/ Ainsi, Kurt Schmitt (1886 – 1950), important dirigeant d’Allianz, fut ministre de l’économie du Reich de 1933 à 1935 et membre du Cercle des amis de Himmler.
2/ Voir L’honneur retrouvé des entreprises allemandes, Blandine Milcent, L’Express, 24/08/06.
3/ Cité par Christophe Bourdoiseau, l’Argus de l’Assurance, 25/07/17
4/ Interview de Joachim Faber, membre of the board of management of Allianz SE, 22/01/08
5/ Allianz, première grande entreprise à devenir une société européenne – Les Echos, 13/10/06
6/L’Allianz Arena de Munich (75.000 places) est le stade de résidence de la fameuse équipe du Bayern. L’Allianz Riviera de Nice (45.000 places) est celui de l’OGC Nice.
Sorry, the comment form is closed at this time.